Décider en situation d’incertitude: Quatre approches possibles

La stratégie a pour but de décider quoi faire dans une situation donnée pour atteindre un objectif donné. Fondamentalement, la décision stratégique se ramène à la question « Que faire ensuite? ». Deux dimensions caractérisent les approches possibles dans cette démarche stratégique: la prédiction et le contrôle.

La première dimension est celle de la prédiction: dans quelle mesure ma démarche repose-t-elle sur une prédiction du marché futur? Une forte prédiction nous place dans des approches de type planification – j’approfondis ma prédiction du marché avant d’engager une action – ou de type vision – j’imagine le futur marché et je m’attache à faire de ma vision la réalité. Une faible prédiction nous place plutôt dans une approche de type adaptative: je n’essaie pas de prédire le futur marché, j’avance et je m’adapte aux changements qui surviennent.

La seconde dimension est celle du contrôle: dans quelle mesure puis-je contrôler l’évolution de mon environnement? Un présupposé de la stratégie classique est que l’acteur n’a que peu d’influence sur son environnement et que celui-ci est donné. Son action consiste donc à trouver sa place dans cet environnement (planification/positionnement) ou à s’y adapter quand celui-ci change (adaptation). Au contraire, le domaine de l’entrepreneuriat postule que l’acteur peut modifier de manière profonde son environnement, en particulier à partir d’une vision définie ex ante, ou dans une logique de transformation progressive de cet environnement.

Il y a donc quatre grandes approches possibles, illustrées dans la figure ci-dessous:

Quatre modes stratégiques possibles (Sarasvathy et al 2006)
  • Forte prédiction, fort contrôle (en haut à droite): dans cette configuration, l’acteur est visionnaire; il possède une vision forte du marché à venir et est déterminé à faire de cette vision une réalité au travers de ses actions car il est en mesure, ou pense être en mesure, de contrôler l’environnement.
  • Forte prédiction, faible contrôle (en haut à gauche): Dans cette configuration, l’acteur développe une vision forte du marché à venir mais n’est pas en mesure d’influencer celui-ci significativement. Le paradigme correspondant est celui de la stratégie classique, la planification, qui repose essentiellement sur la découverte d’une position possible (congruence, ou « fit » en anglais) pour l’entreprise dans un environnement sur lequel elle n’a que peu d’influence. Dès lors, la qualité de la prédiction est essentielle, et c’est à sa préparation qu’est consacrée l’essentiel du travail stratégique (d’ailleurs appelé analyse stratégique le plus souvent).
  • Faible prédiction, faible contrôle (en bas à gauche): Comme dans la configuration précédente, l’acteur est « preneur » de son environnement, à propos duquel il ne développe pas de vision ni de prédiction. Mais il ne peut pas non plus exercer d’influence sur celui-ci. On reste dans le cadre de la stratégie classique, mais modernisé pour traiter le cas des industries victimes de turbulences, comme le secteur des hautes technologies. Le paradigme correspondent est celui de l’adaptation ou essai par erreur. La clé du succès dans cette configuration est la flexibilité, c’est à dire l’adaptation à la fois rapide et peu coûteuse aux changements de celui-ci.
  • Faible prédiction, fort contrôle (en bas à droite): Plus intéressante est la dernière configuration dans laquelle l’acteur ne développe pas de vision ni de prédiction du futur marché, mais cherche à exercer un contrôle fort sur l’évolution de celui-ci, notamment par la création de partenariats, le montage de coalitions, l’influence des standards, etc. L’approche est dite transformative, car dans celle-ci l’acteur créé (au moins en partie) son environnement, et elle correspond à la démarche d’effectuation (voir mon billet sur l’effectuation). Elle décrit bien comment les entrepreneurs créent de nouveaux marchés lorsqu’ils sont confrontés à une situation d’incertitude forte, comme attesté par de nombreuses études. C’est cette démarche qui offre, aujourd’hui, le plus de perspectives de développement car elle fonctionne bien également pour les grandes entreprises.

La source pour ce billet est l’article suivant: Wiltbank, R., Dew, N., Read, S. and Sarasvathy, S. D. (2006) « What to do next? The case for non-predictive strategy, » Strategic Management Journal n°27: pp981-998.