Cet article est le cinquième et dernier d’une série consacrée à l’Effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts dans la création de nouvelles entreprises et de nouveaux marchés.
L’effectuation consiste à passer d’une logique de prédiction (essayer de prédire le futur marché) à une logique de contrôle (l’inventer). La stratégie classique se résume ainsi: « Dans la mesure où nous pouvons prévoir l’avenir, nous pouvons le contrôler. » La prédiction ouvre la voie à la mise en oeuvre des décisions prises. L’effectuation inverse cette logique en affirmant: « Dans la mesure où nous pouvons contrôler l’avenir, nous n’avons plus besoin de le prévoir. » Derrière cette logique de contrôle se dessine une vision créatrice de l’entrepreneuriat, selon laquelle le rôle de l’entrepreneur est de créer de nouveaux univers, et non de découvrir les univers existants. La logique de contrôle signifie également que dans la démarche entrepreneuriale, c’est l’action qui est privilégiée à l’analyse. L’action est source d’apprentissage mais aussi de transformation de l’environnement, elle n’est pas un sous-produit de la démarche d’analyse, comme cela reste vrai dans la vision classique de la stratégie. Action, transformation et cognition sont étroitement liées.
C’est un point en apparence mineur, mais il est fondamental. Ainsi on parle souvent de marchés matures, dans lesquels aucune innovation n’est plus possible. Or il n’existe pas de marché mature, mais uniquement des marchés où les acteurs en place on cessé d’innover, souvent parce que le statut quo leur convient bien, ou parce qu’ils sont incapables de réagir à une mort lente. Ainsi, dans les années 70, la consommation de café aux États-Unis était en baisse constante. La caféine avait mauvaise presse et pour tous il était évident que l’avenir était aux boissons diététiques comme les jus de fruits. Fallait-il pour autant éviter ce marché en apparence sans intérêt ? Ce n’est pas ce qu’une petite firme de Seattle pensait. Starbucks, au contraire, a remis le café à la mode aux États-Unis et à fait mentir toutes les études et prévisions.
On pourrait multiplier les exemples : Swatch a fait mentir ceux qui avaient annoncé la fin de l’industrie horlogère Suisse. Zara a créé un géant européen du textile et de l’habillement au moment-même où les médias de parlaient que de fermetures d’usines et de domination inéluctable de la Chine dans ce domaine. Les entrepreneurs sont des pilotes dans l’avion : ils décident de regarder l’environnement non comme on l’annonce mais comme ils peuvent le changer.
L‘incertitude signifie donc, et peut-être surtout, que l’avenir n’est pas déjà écrit. Il peut être déterminé en grande partie par ce qui s’est déjà passé, mais jamais entièrement. Au contraire, il résulte du jeu des acteurs. Poussant plus loin le raisonnement, l’incertitude est la matière première de l’entrepreneuriat. Sans incertitude, tout serait déjà écrit et il n’y aurait qu’à attendre patiemment le déroulement des évènements pour s’y inscrire. Tout ce que nous pourrions faire serait de découvrir une “loi de l’histoire” pour la suivre, rien de plus. La notion d’incertitude telle que définie par Knight (et reprise par Keynes dans un rare moment de lucidité) rend caduque ce déterminisme. A l’heure où j’écris ces lignes, demain n’existe pas et n’est pas encore écrit. Je peux encore le changer. A ma mesure, certes, mais je peux encore le changer. L’entrepreneur n’est donc pas un devin, mais un pilote qui trace sa route aux commandes de son avion.
Pour une introduction générale à l’Effectuation, voir mon billet “Effectuation: Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment.” Voir le premier article de la série ici: “Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.” Référence de “Lean startup”, de Eric Ries ici.
3 réflexions au sujet de « Effectuation – Les cinq principes de la logique entrepreneuriale – 5: Le pilote dans l’avion »
Bravo, je souscris en tous points à l’article. En fait, vous décrivez une approche qui ressemble à la “Stratégie océan bleu” ou encore à l’intérêt du chaos dans les entreprises. On baigne dans l’intelligence collective et le management paradoxal.
Bravo, je souscris en tous points à l’article. Mais votre approche ressemble à celle décrite dans le livre “Stratégie Océan Bleu” qui met en évidence les succès de Swatch, d’EBay et du Cirque du Soleil.
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