Effectuation – Les cinq principes de la logique entrepreneuriale – 5: Le pilote dans l’avion

Cet article est le cinquième et dernier d’une série consacrée à l’Effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts dans la création de nouvelles entreprises et de nouveaux marchés.

L’effectuation consiste à passer d’une logique de prédiction (essayer de prédire le futur marché) à une logique de contrôle (l’inventer). La stratégie classique se résume ainsi: « Dans la mesure où nous pouvons prévoir l’avenir, nous pouvons le contrôler. » La prédiction ouvre la voie à la mise en oeuvre des décisions prises. L’effectuation inverse cette logique en affirmant: « Dans la mesure où nous pouvons contrôler l’avenir, nous n’avons plus besoin de le prévoir. » Derrière cette logique de contrôle se dessine une vision créatrice de l’entrepreneuriat, selon laquelle le rôle de l’entrepreneur est de créer de nouveaux univers, et non de découvrir les univers existants. La logique de contrôle signifie également que dans la démarche entrepreneuriale, c’est l’action qui est privilégiée à l’analyse. L’action est source d’apprentissage mais aussi de transformation de l’environnement, elle n’est pas un sous-produit de la démarche d’analyse, comme cela reste vrai dans la vision classique de la stratégie. Action, transformation et cognition sont étroitement liées.

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Effectuation – Les cinq principes de la logique entrepreneuriale – 4: La limonade

Cet article est le quatrième d’une série consacrée à l’Effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts dans la création de nouvelles entreprises et de nouveaux marchés.

Alors que la planification stratégique a pour but d’éviter les surprises, les entrepreneurs accueillent celles-ci favorablement et en tirent parti. C’est le principe de la limonade, quatrième de l’Effectuation. Celui-ci provient du diction anglais, “si la vie vous envoie des citrons, vendez de la limonade!” Vous démarrez sur une idée, et partez sur une autre à la suite d’une observation fortuite, d’une suggestion d’un client ou d’un accident.

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Effectuation – Les cinq principes de la logique entrepreneuriale – 3: Le patchwork fou

Cet article est le troisième d’une série consacrée à l’Effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts dans la création de nouvelles entreprises et de nouveaux marchés.

L’entrepreneur, lit-on souvent, résoud des problèmes. Cette caractérisation de l’activité de l’entrepreneur est trompeuse car elle dénote une situation relativement bien identifiée à laquelle il existe une solution et une seule, qu’il faut deviner. En fait l’entrepreneur n’essaie pas de résoudre un problème, comme un puzzle par exemple. Les questions auxquelles il s’intéresse sont en général non déterminées. Internet en 1991 n’est pas un problème à résoudre, mais un marché à construire à partir de rien, ou presque (Personne ne pense, en 1991, qu’Internet puisse être un marché).

La résolution de problème, comme un puzzle, n’est donc pas une bonne métaphore pour représenter l’action de l’entrepreneur. D’une part parce que l’entrepreneur fonctionne avec ce qu’on appelle une ‘rationalité expansive’ (créativité), et d’autre part parce que cette rationalité repose sur une dynamique sociale. C’est ce que traduit le troisième principe de l’Effectuation, le patchwork fou.

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Effectuation – Les cinq principes de la logique entrepreneuriale – 2: Raisonnement en perte acceptable

Cet article est le second d’une série consacrée à l’Effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts dans la création de nouvelles entreprises et de nouveaux marchés.

Comment un entrepreneur évalue-t-il ses choix dans la poursuite de son projet? Le modèle de prise de décision classique est basé sur une évaluation des gains attendus au regard des coûts supportés. Typiquement, un projet sera intéressant si le gain est supérieur aux coûts. Prenons un exemple (simplifié à l’extrême, les financiers sont invités à fermer les yeux) et imaginons un projet entrepreneurial qui nécessite 500K de dépense pour démarrer, et 150K les trois premières années. Le chiffre d’affaire attendu est de 0 la première année, 80 la seconde, 200 la troisième et 250 la quatrième. Faut-il se lancer?

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Effectuation – Les cinq principes de la logique entrepreneuriale – 1: Faire avec ce qu’on a

Cet article est le premier d’une série consacrée à l’Effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts dans la création de nouvelles entreprises et de nouveaux marchés.

Imaginez que vous souhaitiez inviter des amis à dîner. Comment allez-vous élaborer et préparer ce dîner ? Il y a deux approches possibles. La première consiste à réfléchir au menu, à décider des plats et à dresser la liste des ingrédients et ustensiles nécessaires. Une fois cela fait, il faut aller faire les courses pour acheter le nécessaire, revenir et faire la cuisine après s’être organisé (je fais le dessert d’abord car il doit rester 24h au frigo, je ferai les côtelettes au dernier moment après l’apéritif, etc). Dans cette approche, les ressources (ingrédients) sont déterminées par le but fixé initialement (menu, préférences des invités, etc.). L’approche est dite “causale” car une fois les effets (buts) déterminés, on peut agir sur les causes (ressources), c’est à dire ce qui produit les effets escomptés.

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Qu’est-ce qu’un projet entrepreneurial viable?

La question que se pose tout entrepreneur en herbe est celle de la bonne idée. C’est bien connu, il faut une bonne idée pour entreprendre. Une bonne idée, c’est celle qui correspond à une opportunité, c’est à dire à une demande insatisfaite du marché. Une fois qu’on a une bonne idée, il faut bâtir le projet autour de cette bonne idée, trouver les ressources nécessaires et se lancer. Un projet viable, c’est donc une bonne idée, validée si possible par une étude de marché, et un plan solide pour la mettre en oeuvre. Du moins c’est ce qu’on essaie de nous faire croire. La réalité, en fait, est tout autre. C’est ce que suggère l’effectuation, une théorie qui s’intéresse à ce que les entrepreneurs font vraiment.

Un projet ne démarre en général pas par une grande idée. Il démarre par un individu. Vous. Même si vous n’êtes pas riche, vous disposez de ressources: votre personnalité, votre connaissance, et vos contacts personnels. Votre personnalité vous rendra sensible à tel ou tel problème, que d’autres ignoreront. Elle vous fera imaginer telle ou telle solution, à laquelle d’autres ne penseront pas ou qu’ils trouveront impossible. Elle donnera corps à une idée et la fera évoluer de manière spécifique. Donnez une idée à trois personnes, revenez dans un mois, et vous avez trois projets radicalement différents. L’expérience a été confirmé de nombreuses fois. Qui il est, ce qu’il connaît et qui il connaît, voilà trois ressources considérables qui forment le point de départ du projet entrepreneurial. A l’idée initiale, qui peut n’être qu’une intuition, une interrogation ou un problème à résoudre, il faut un déclencheur: des circonstances, une rencontre, qui font qu’on commence à s’y intéresser. Ainsi donc:

Idée = N’importe quoi + Vous

Encore une fois, il faut insister que par idée, on n’a souvent guère plus qu’une intuition ou une interrogation, pas un éclair de génie, parfois même rien: les fondateurs de HP et de Sony ont trouvé leur idée 5 ans après la création de leur société. Au début, la seule “idée” de Hewlett et de Packard, c’était de travailler ensemble pour créer des produits électroniques. Ce qui compte, dès lors qu’on a un “n’importe quoi” qui nous fait tourner autour d’une idée, c’est d’agir. Plus que l’idée, c’est l’action autour d’une idée qui compte. On a tendance à concevoir l’action comme simple mise en oeuvre d’une idée, séparant bien l’une de l’autre dans la grande tradition cartésienne. Mais c’est une erreur. L’action est la vraie source de nouveauté dans le monde. Inutile de passer des heures à réfléchir dans votre chambre. Oubliez les séances de brainstorming et de créativité. Agissez pour donner corps à votre idée et la transformer par l’action en opportunité.

Opportunité = Idée + Action

A ce stade, vous n’avez encore qu’une opportunité, c’est à dire un ensemble d’idées, de croyances et d’actions qui visent à créer de futurs produits ou services. C’est bien, mais c’est peu. Vous n’avez aucune indication de la viabilité du projet, ni de véritable dynamique de celui-ci. Faire un business plan? A ce stade, il ne sera qu’un tas de papier basé sur des hypothèses au mieux fantaisistes. Réfléchir encore? Inutile, vous fonctionnerez en circuit fermé. La solution? Parlez autour de vous et suscitez l’engagement d’autres gens à votre projet. Les ressources dont vous disposez – rappelez-vous: votre personnalité, votre connaissance, et vos relations – vous permettent d’imaginer des objectifs possibles. Ces objectifs vous permettent de convaincre d’autres personnes de vous soutenir. Ce faisant, elles vous apportent de nouvelles ressources. Un bureau mis à disposition, une aide ponctuelle, un engagement d’achat, de la crédibilité, de l’information, etc. Leur engagement fait qu’elles deviennent parties prenantes à votre projet. Dès lors, celui-ci commence à réellement exister hors de votre tête.

Projet viable = Opportunité + Engagement de parties prenantes

Pour qu’un projet soit viable, il faut donc qu’il suscite l’adhésion d’un nombre croissant de parties prenantes – partenaires, employés, clients, etc. C’est cette dynamique sociale qui marque la viabilité du projet. L’adhésion d’une nouvelle partie prenante apporte de nouvelles ressources au projet, qui permettent de définir de nouveaux objectifs, plus ambitieux que les précédents.

En conclusion, un projet entrepreneurial est avant tout un processus social. Il ne s’agit pas d’avoir une grande idée pour chercher ensuite à la mettre en oeuvre, mais d’organiser un processus qui fera émerger non seulement une grande idée, mais inscrira celle-ci dans la réalité. La réflexion, l’action et la recherche de parties prenantes qui s’engagent sont donc les trois axes que les entrepreneurs développent simultanément. L’un ne peut aller sans l’autre. Analysez moins, agissez plus!

➕Pour en savoir plus sur l’effectuation, lire mon article Effectuation: Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment et mon ouvrage d’introduction: Effectuation: les principes de l’entrepreneuriat pour tous.