Découverte ou création de marché? L’incertitude nous rend libres

L’un des concepts les plus importants, mais également les moins bien compris, du management est le concept d’incertitude. L’incertitude est souvent confondue avec le risque, or les deux n’ont rien à voir.

Utilisant le vocabulaire des probabilités, l’économiste prix Nobel Frank Knight définit le risque comme un futur dont la distribution d’états possibles est connue. Par exemple, si l’on met trois boules vertes et deux boules rouges dans une urne, on connaît le ‘risque’ de tirer une boule verte (60%). L’incertitude ‘knigthienne’, en revanche, correspond à un futur dont la distribution d’états est non seulement inconnue, mais impossible à connaître: on ne connaît pas le nombre de boules à l’intérieur de l’urne, et encore moins leurs couleurs, on ne sait d’ailleurs même pas s’il y a des boules et s’il y a une urne. Cette incertitude est objective : elle ne tient pas au manque d’information ou à l’incompétence de l’observateur mais à la nature même du phénomène. L’incertitude caractérise les environnements nouveaux et complexes comme les marchés en émergence ou les guerres.

La conséquence directe de l’incertitude est l’absence de prédiction possible dans un tel environnement. Comme celui-ci est entièrement nouveau, on ne dispose d’aucune information historique sur laquelle baser une prédiction. Internet n’est créé qu’une fois…

Cette absence de prédiction possible est souvent la raison pour laquelle le mot incertitude a une connotation négative car elle signifie une absence de contrôle et donc la peur. Or l’incertitude signifie également, et peut-être surtout, que l’avenir n’est pas déjà écrit. Il peut être déterminé en grande partie par ce qui s’est déjà passé, mais jamais entièrement. Au contraire, il résulte du jeu des acteurs. Poussant plus loin le raisonnement, l’incertitude est la matière première de l’entrepreneuriat. Sans incertitude, tout serait déjà écrit et il n’y aurait qu’à attendre patiemment le déroulement des évènements pour s’y inscrire. Tout ce que nous pourrions faire serait de découvrir une “loi de l’histoire” pour la suivre, rien de plus. La notion d’incertitude telle que définie par Knight (et reprise par Keynes dans un rare moment de lucidité) rend caduque ce déterminisme. A l’heure où j’écris ces lignes, demain n’existe pas et n’est pas encore écrit. Je peux encore le changer. A ma mesure, certes, mais je peux encore le changer. Ainsi, comme le fait remarquer Peter Bernstein dans sa remarquable histoire du risque, l’incertitude nous rend libres. Nous ne sommes pas prisonniers d’un futur inévitable et déjà écrit, ou écrit par d’autres. Nous en sommes les acteurs. Si tout n’était que probabilités, nous ne pourrions être au mieux que des joueurs de casino, calculant des probabilités et attendant le résultat en priant les dieux que le sort nous soit favorable. Mais l’incertitude nous force à prendre conscience de notre avenir et à en être responsable. Certes, l’incertitude peut parfois être anxiogène, mais qui voudrait vivre dans un monde certain?

Pour en savoir plus sur la notion d’incertitude, voir mon billet sur Frank Knight. Voir également mon billet sur la distinction importante entre culture du risque et culture de l’incertitude. Voir enfin mon billet sur les implications stratégiques de la notion d’incertitude.

Référence du livre de Peter Bernstein chez Amazon ici.

5 réflexions au sujet de « Découverte ou création de marché? L’incertitude nous rend libres »

  1. J’en connais qui recherchent un monde certain : ils souhaitent un emploi garanti à vie, un avancement automatique et des responsabilités minimales. Le chemin est tout tracé, les occupations de la retraite préparées 10 ans à l’avance, l’achat de l’appartement pour “investir” est minutieusement planifié. Tiens en 2013, le 8 mai est un mercredi et le 9 c’est l’Ascension !

  2. J’aime beaucoup l’idée que : incertitude n’est pas synonyme d’inquiétude. C’est extrêmement important pour l’entrepreneur et enlève effectivement une partie du caractère anxiogène.

  3. Cette part de lâcher-prise face à l’incertitude est incompatible avec certains principes de gestion. C’est du moins ce que j’ai observé dans mon entreprise où mon associé s’occupe lui principalement de la Gestion. Je gère plus l’aspect métier et “défrichement” des nouvelles opportunités (tant client que technologiques).

    Cordialement,

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