Pourquoi Firefox avait, quand même, une chance

J’ai commis il y a six ans une erreur de débutant: je me suis risqué à une prédication sur la base d’une théorie (voir billet ici). La prédiction était que le navigateur Firefox n’avait aucune chance face à Internet Explorer. La raison était que Firefox était une innovation incrémentale qui ne remettait pas fondamentalement en question les fondements de la domination d’Internet Explorer. Il ne fallait pas être grand clerc pour faire cette observation, mais il fallait être singulièrement inconscient pour en tirer la conclusion logique et surtout l’exprimer publiquement.

La réaction n’a pas manqué: le billet a été très lu, et les insultes se sont mises à pleuvoir de la part de quelques ayatollah du logiciel libre qui m’ont accusé d’être, je cite sans rire, un “terroriste” à la solde de Microsoft. A ce jour, je ne retire pas un mot ni une seule ligne de ce que j’avais écrit à l’époque, d’autant moins que j’utilisais déjà Firefox par militantisme (il fallait de la persévérance au début) avant de basculer récemment sur Chrome qui est plus performant. Depuis ma prédiction, Firefox a survécu et atteint une part de marché confortable, sans pour autant dominer le marché (environ 30% avec des disparités régionales).

Je considère que l’argument que je donnais à l’époque reste entièrement valable. On pourra remarquer d’ailleurs que le fait qu’il ait fallu six ans à Firefox pour arriver à seulement 30% de part de marché témoigne que les difficultés de l’entreprise n’étaient pas imaginaires. Deux choses ont changé la donne, et c’est le propre de toute théorie de s’enrichir sur la base des exceptions qu’elle ne savent pas, ou insuffisamment expliquer. La première, c’est la volonté combinée de plusieurs acteurs de lancer un navigateur concurrent, Apple et Google notamment. L’introduction d’un navigateur Apple Safari sur la plate forme Mac éjecte ipso facto Explorer de cette plate forme. Quant à Google, la domination de cet acteur sur le Web favorise évidemment la diffusion de son produit Chrome, qui est en outre de très bonne facture technique. Cette volonté s’ajoute à la facilité avec laquelle chacun peut changer de navigateur – en gros cela prend une dizaine de minutes, tous les signets sont récupérés, et hop!

Le second facteur qui a changé la donne, et qui était encore moins prévisible, est la passivité stupéfiante de Microsoft dans le domaine. Il existe peu d’exemples d’entreprises restant sans réaction lorsqu’elles sont attaquées sur un terrain qu’elles jugent essentiel à leur capacité concurrentielle. Quand on connaît l’agressivité avec laquelle Microsoft a lutté contre Netscape pour l’évincer du marché, l’absence de réaction de Microsoft face à Firefox ne s’explique pas. Internet Explorer est resté plusieurs années sans une mise à jour majeure, et les deux dernières ont été médiocres. J’avais dans un autre billet expliqué certaines des difficultés auxquelles Microsoft était confronté dans sa stratégie (billet ici). Ou bien l’analyse de Microsoft avait changé – les navigateurs ne seraient pas si importants que cela après tout, et on peut laisser le champ libre à Firefox – ou bien l’entreprise a rencontré un problème technique ou organisationnel lui empêchant de garder la main. La première hypothèse ne tient pas un instant. Seule reste donc la seconde et dans ce cas on est bien dans le cas d’une défaillance organisationnelle. Celle-ci traduit, peut-être, la rigidité croissante d’une entreprise devenue trop grande, trop lourde, trop bureaucratique et qui poursuit trop de lièvres à la fois. De même qu’un ancien de MySpace reconnaissait récemment que la raison pour laquelle FaceBook avait gagné, c’est que MySpace “avait tout foiré”, on peut avancer que Firefox avait quand même une chance parce que Microsoft a tout foiré. Comme quoi, il faut toujours tenter sa chance dans le domaine de l’innovation.

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