Réponse à Bernard Stiegler: Disruption, civilisation et lien social – L’angoisse de l’intellectuel français au moment du penalty

Dans une interview au journal Libération, le philosophe Bernard Stiegler déclare que l’accélération actuelle de l’innovation court-circuite tout ce qui contribue à l’élaboration de la civilisation. Il ajoute que la « disruption » (rupture, en français) constitue une barbarie « soft » incompatible avec la socialisation, pendant de la barbarie « hard » produite par Daech. On pourrait y voir là un entretien de plus d’un intellectuel français en déshérence, et passer son chemin, mais l’auteur est philosophe, ce qui en France équivaut à un passeport pour imposer sa pensée au monde, et directeur de l’institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou. Pas n’importe qui donc. Voyons cela de plus près.

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200 ans après, le malthusianisme a toujours tort: Vers une société d’abondance durable

Dans une conférence récente à l’Institut de l’Entreprise, Jean-Paul Delevoye prévenait: nous passons d’une société de l’abondance à une société de la rareté. M. Delevoye est président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE). Le CESE, on ne sait pas trop à quoi ça sert mais il y a plein de gens importants dedans. Le propos est donc à prendre au sérieux, car il n’est pas tenu par n’importe qui. Et c’est d’autant plus important qu’il est totalement erroné.

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La révolution entrepreneuriale qui vient

À lire la presse et la blogosphère ces dernières semaines, il est difficile de ne pas être saisi par l’impression de délitement qui prévaut dans notre pays. On peut débattre à l’infini sur le fait que la presse n’est pas le reflet du pays réel, mais il est difficile de nier que nous sommes au bord du gouffre financier et que notre classe politique, et plus généralement notre élite, est totalement désemparée face aux défis auxquels nous devons faire face. Nous nous retrouvons dans ces périodes que notre pays semble malheureusement connaître souvent, face à une étrange défaite qu’a si bien décrite Marc Bloch, une défaite intellectuelle qui nous empêche d’énoncer clairement le problème et de l’admettre, et qui nous fait renoncer même à nous battre.

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Dailymotion ou le vrai visage de l’hostilité du gouvernement envers les entrepreneurs

L’espoir fut de courte durée. A peine l’encre sèche des commentaires sur la grande réconciliation entre le gouvernement et les pigeons à la suite des assises de l’entrepreneuriat et du grand discours de François Hollande qu’Arnaud Montebourg se rappelait au bon souvenir des entrepreneurs en bloquant la vente de Dailymotion, un site de partage de vidéos français, à l’américain Yahoo!

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Le grand méchant MOOC ou la rupture en marche dans l’éducation supérieure

J’ai eu l’occasion d’exprimer dans deux articles précédents pourquoi je pensais que les grandes écoles de commerce étaient en train de subir une rupture profonde de leur environnement. La raison est que leur modèle économique est à bout de souffle et qu’elles se font attaquer de toutes parts, et en particulier par le développement de solutions lignes dites « MOOC » ce qui signifie massive online open courses. En fait il serait plus exact que les MOOC n’attaquent pas directement les grandes écoles, du moins pas encore, et c’est là tout la difficulté. Pour comprendre pourquoi, un petit détour historique s’impose…

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L’année zéro du libéralisme français

L’élection présidentielle qui vient de se clore a été singulière au moins sur un point: Tous les candidats du premier tour, sans exception, défendaient l’idée que l’Etat était la solution de la crise actuelle. Tous. Jamais la pensée politique n’avait été aussi unanime. Nous avons eu l’étatisme marxisto-chaveziste (Mélanchon, Poutou et Harteaud), l’étatisme keynésien (Hollande), l’étatisme vert (Joly), l’étatisme centriste (Bayrou), l’étatisme souverainiste (Dupont-Aignan), l’étatisme caporaliste (Sarkozy), et l’étatisme tribal (Le Pen). Sans oublier bien sûr l’étatisme lunaire de Jacques Cheminade, sorte de cerise comique sur un gâteau tragique.

Assez logiquement, le deuxième tour a opposé deux candidats qui, au final, tirent un diagnostic identique de notre situation. Le premier, Nicolas Sarkozy, a fait passer quelques réformes d’essence libérale mais s’est définitivement converti au dirigisme économique à partir de la crise de 2008, et au tribalisme le plus cru une fois connu le score du Front national au premier tour. Le second, François Hollande, est un social démocrate qui voit dans l’Etat la force motrice de la société.

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La grande rupture qui menace les écoles de commerce (et les autres)

Un spectre menace les écoles de commerce, le spectre du low cost. Victimes de leur succès, les écoles de commerce sont lancées sur une trajectoire de fuite en avant vers le haut de gamme qui conduit à leur mort, en tout cas dans leur forme actuelle. Pour comprendre le mécanisme infernal, il faut étudier plus en profondeur le modèle économique de ces écoles.

Pendant longtemps en France, les écoles de commerce ont fonctionné avec un modèle économique simple: très proches du service public, elles étaient financées par les chambres de commerce. Principalement consacrées à l’enseignement, les écoles fonctionnaient avec des budgets peu élevés et des frais de scolarité également faibles. Deux phénomènes se sont combinés pour bouleverser la donne: le premier est l’internationalisation des écoles, qui ont cherché à attirer des étudiants étrangers pour soutenir leur croissance. Il en est résulté une concurrence accrue des écoles au niveau mondial pour attirer les meilleurs étudiants. En France, cette concurrence a fait exploser au milieu des années 90 l’oligopole qui existait entre le petit groupe des écoles « Parisiennes » – HEC, ESSEC, ESCP et EM-LYON. Soudainement, HEC s’est rendue compte que son concurrent n’était pas ESSEC, mais INSEAD – qui bien que française n’avait jamais figuré dans un classement français – ou la London Business School, plus facile d’accès qu’HEC depuis Paris. Surprise stratégique de taille. Branle-bas de combat et cap sur l’internationalisation à marche forcée.

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Bienvenue au capitalisme français des copains de promo, Monsieur Hollande!

Ainsi donc s’il est élu, François Hollande veut rapidement réunir les patrons des entreprises du CAC 40 – les plus grosses entreprises françaises, en bref – et leur dire  “Vous êtes les fers de lance de l’économie française. Nous avons besoin de vous et vous avez besoin de l’État. Nous devons relever ensemble le défi du redressement de la France”. (source) Pour reprendre l’expression de l’économiste Frédéric Bastiat, ce qu’on voit derrière cette annonce martiale, c’est le volontarisme (« Retroussons nos manches ») et l’ouverture (« Vous voyez, je n’ai finalement rien contre les grands patrons »). Mais il faut aussi regarder ce qu’on ne voit pas…

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Le désir de création est universel: tout le monde peut être entrepreneur

On pense souvent que les entrepreneurs sont motivés par l’appât du gain, mais c’est faux. Ils sont motivés par le désir de création, et ce désir est universel… et très ancien…

Pour comprendre pourquoi, il nous faut faire un petit détour en Ardèche, plus exactement près du village de Vallon-Pont-d’Arc. C’est ici que se situe la Grotte de Chauvet, ornée de 420 représentations d’animaux datant du paléolithique, soit il y a plus de 31.000 ans.

Source: Wikipedia

La psychologie, et en particulier le fameux modèle de la pyramide de Maslow, nous dit que l’être humain hiérarchise ses besoins: il cherche d’abord à satisfaire ses besoins physiologiques (manger, boire, dormir, etc.) avant de satisfaire les besoins de sécurité, d’appartenance, de confiance et enfin ceux relatifs à l’accomplissement personnel. Rien de plus évident? Rien de plus faux, en fait, et c’est la grotte de Chauvet qui le montre.

Voilà des hommes avec lesquels nous n’avons presque rien en commun, vivant proches de l’état animal, confrontés chaque jour au froid, à la faim, à la maladie et à la mort, et qui, malgré tout, trouvent le moyen de peindre des fresques d’une beauté inouïe, capable des nous émouvoir plus de 30.000 ans plus tard! Ne pouvaient-ils pas attendre d’avoir un pavillon et une voiture avant de s’intéresser à l’art? Apparemment non.

Il y a une leçon dans cela: les êtres humains veulent créer. D’une manière ou d’une autre. Ce désir est universel. Il existe en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances, même s’il peut prendre des formes infiniment différentes. Comme je l’ai indiqué dans un billet précédent au sujet des boîtes à idées, la question n’est donc pas comment susciter le désir de créer, mais plutôt comment cesser de l’étouffer.

Si l’entrepreneuriat est une activité de création, alors tout le monde peut être entrepreneur, d’une façon ou d’une autre. Dans un autre billet, je m’interrogeais sur la motivation de l’entrepreneur. Alors que les ouvrages économiques expliquent systématiquement la création d’entreprise par l’appât du gain, j’évoquais la possibilité que cette motivation provienne d’un besoin de reconnaissance de l’individu au sein de la société, mais je montrais aussi les limites d’une telle explication. Peut-être plus que le désir de reconnaissance, c’est donc peut-être plutôt le désir de créer quelque chose de nouveau qui anime l’entrepreneur, rejoignant en cela l’artiste.

Pour reprendre la citation de Saras Sarasvathy, à l’origine de la théorie entrepreneuriale de l’effectuation, « L’entrepreneur transforme une idée en un artefact social. » Ainsi l’entrepreneuriat n’est pas une affaire de maximisation de profit, mais de création d’artefacts sociaux: entreprise, marché, produit, idées, œuvres.

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