Agence de l’innovation industrielle: une mauvaise solution à un vrai problème?

Dans son rapport remis au président de la République, Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, préconise un nouveau partenariat public-privé par le biais d’une “agence de l’innovation industrielle” (AII) à créer.
Ce rapport diganostique un “décrochage” de la France en matière industrielle et technologique dû à une trop faible spécialisation dans les industries de haute technologie. Ce décrochage se traduit par un recul global du poids de la France dans la valeur ajoutée des industries manufacturières. En bref, la France glisse vers les industries à faible valeur ajoutée, incapable d’investir dans les hautes technologies et l’innovation. Solution préconisée? La relance de la politique industrielle.

Selon le rapport, en effet, les pays qui réussissent sont ceux qui ont des systèmes combinant l’action d’entreprises privées et l’action des pouvoirs public. D’où l’idée de l’AII. L’agence apportera un soutien “ciblé” aux activités de R&D dans le cadre de grands “programmes mobilisateurs”. L’agence doit être aussi un nouveau lieu de “prospective industrielle”.

Sur le constat lui-même, et même s’il faut toujours se méfier des thèses de “déclin”, il est certain que la France n’investit pas assez dans la recherche et l’innovation. Il est donc heureux que les autorités, et les industriels en la personne de Jean-Louis Beffa, s’en alarment et essaient de faire quelque chose. Sur la solution préconisée, en revanche, on peut être plus dubitatif. D’abord parce que l’AII semble furieusement gaullo-pompidolienne : une agence de technocrates créant de grands projets façonnant la politique industrielle de la France. On sent quelques fantômes se rapprocher… : le plan Calcul, Bull, le Concorde, sans parler du Crédit Lyonnais.  Ensuite parce que des organismes s’occupant d’innovation, en France, il en existe déjà beaucoup. Quid de l’ANVAR? du CNRS? de l’INRIA? Depuis plusieurs années ces organismes – et bien d’autres – ont mis en place des politiques de partenariat et de valorisation de la recherche très efficaces. Certes, rien de grandiose mais un travail au quotidien qui a une vraie valeur industrielle. Ensuite, parce que donner deux milliards d’Euros à une nouvelle structure étatique alors que les universités et centres de recherche sus-mentionnés meurent de faim paraît insensé. Pourquoi ne pas s’attacher à améliorer ce qui existe – et il n’en faudrait pas beaucoup – au lieu d’ajouter une couche bureaucratique?
La solution au manque d’innovation ne réside probablement pas dans une nouvelle approche technocratique, mais bien plutôt dans le développement d’une culture entrepreneuriale. Et heureusement, cette culture s’est considérablement développée en France ces dernières années. Les effets ne sont pas encore là, l’impact macro-économique ne se fait pas encore sentir, mais quiconque fréquente les universités, grandes écoles et autres centres de recherche – sans parler des myriades de startups – ne peut qu’être frappé par le changement opéré dans ce domaine dans un pays où, il y a seulement quelques années, il était impensable de créer une entreprise. Jean-Louis Beffa est peut-être en retard sur son temps…

Voir sur le même sujet mes billets “Agence pour l’innovation industrielle, quelques précisions utiles” et Rapport Beffa : l’illusion d’une potion magique au manque d’innovation français. Voir un autre billet sur l’un des projets financés par l’AII, Quaero: Quo vadis Quaero.

Qui a besoin d’un capital-risqueur ?

Après m’être demandé s’il faut un business plan, je me demande maintenant qui a besoin d’un Venture-Capitalist (VC). En fait, j’ai en quelque sorte déjà répondu à la question, puisque Digital Airways, dont je m’ocupe, existe depuis 1998 sans financement extérieur. Mais la question mérite d’être posée. D’une manière générale, un projet innovant doit-il être financé? A cette réponse,  il convient sans doute de répondre "ça dépend" ou précisément "ça dépend du stade du projet".

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Faut-il créer son entreprise en France ou à l’étranger?

Lu sur le blog de Johann Romefort: faut-il créer une entreprise à l’étranger, ou peut-on le faire en France. Mon avis là-dessus: je l’ai fait en France et je m’en porte bien. Ce n’est pas pire qu’ailleurs. Je ne souscris pas du tout au discours ambiant sur la difficulté d’entreprendre en France. J’ai coutûme de dire que si ma boîte se plante, ce sera entièrement de notre faute, pas de celle de l’Etat.

Bien sûr je gueule comme tout le monde sur les impôts, les charges sociales délirantes, mais j’ai aussi géré une boîte aux US et il y avait pleins de trucs délirants aussi. Un seul pour la route: vous déclarez des impôts dans chaque état dans lequel vous avez ne serait-ce qu’un seul employé. Chaque état a une structure d’imposition spécifique. J’ajoute que les relations avec les administrations françaises – en tout cas dans mon expérience – sont toujours satisfaisantes, en tout cas en très net progrès.

En outre, il faut toujours se demander quel est le coût d’une optimisation. J’ai un ami qui a domicilié sa boîte en angleterre par ce que, croyait-il, on y paye moins d’impôts. Ca lui a coûté très cher (cabinet comptable spécialisé, statuts, etc) jusqu’au jour où je lui ai expliqué toutes les aides dont il aurait bénéficié en France, il en était malade. Il vaut mieux ignorer les discours dominants et regarder les faits.

Le blog de Johann, qui contient d’autres contribs intéressantes sur la techno et l’entrepreneuriat: http://www.romefort.net

Faut-il un business plan?

Une visite chez un VC récemment suscitait chez moi la réflexion suivante: faut-il un business plan pour une startup? Que cela soit nécessaire pour une entreprise investissant dans une innovation incrémentale, sur des marchés déjà structurés et identifiés, c’est raisonnable car la réussite dans ces conditions-là est liée au bon cadrage des paramètres du marché. En revanche, dans un marché émergent, tout changera dix ou cent fois entre le moment où on fait le BP et celui où il est mis en oeuvre.

Les prévisions faites au-delà de six mois tiennent plus de l’astrologie que de la prévision. Il me semble que bien souvent, le BP tient plus de l’exercice de style que de l’outil nécessaire à la réussite de l’aventure. Je discutais récemment avec un VC français, mais qui a fait toute sa carrière aux US et il m’avouait son incompréhension devant l’obsession européenne pour les BP, en particulier les compétitions de BP entre étudiants de MBA, qui le laissaient perplexe. En mettant l’accent sur la réalisation d’un document parfait, on donne l’impression, fausse bien sûr, que le projet est formalisable à l’Euro près. Et en plus on perd un temps fou à réaliser le-dit document. Mieux vaut une mise à plat des concepts du projet (produit, marché et processus pour avancer) complétée par un budget, avec révision des paramètres au fur et à mesure sur la base de l’apprentissage, qu’une formalisation ex-ante qui sera inutile et incertaine.

Les Indiens, un danger, ou une opportunité?

Il ne se passe pas de jour sans que les dangers de la mondialisation ne soient montrés aux Français. Tous ces étrangers qui nous prennent notre travail, il faut faire quelque chose ! Il est certain que la perspective de voir nos usines démontées et remontées en Chine est peu réjouissante. De même, la perspective de voir nos centres d’appel transférés en Inde ou au Maroc a ému nos politiciens, qui se sont élevés avec vigueur pour défendre le noble métier d’opérateur de centre d’appel. Les délocalisations sont-elles une catastrophe? Visitons Bangalore. Ces fameux étrangers qui nous volent nos emplois, qui sont-ils? La classe moyenne indienne en émergence. Que fait une classe moyenne en émergence, à la différence de la génération précédente qui économisait chaque roupie ? Elle consomme. Des voitures, des produits d’hygiène, des téléphones mobiles, des habits de marque, brefs plein de produits comme vous et moi. Cette classe moyenne fait donc le bonheur de ceux qui ont eu la bonne idée d’être présents sur le marché indien depuis longtemps: Unilever, Samsung, Honda, Sony, Cadbury. La France n’est pas absente, mais les 200 sociétés françaises implantées en Inde pèsent peu par rapport à celles des partenaires privilégiés de l’Inde : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Emirats Arabes Unis… ! Il parait que certaines sociétés françaises, Peugeot par exemple, ont connu des moments difficiles en Inde dans les années 90… Mais en 2004 des groupes comme l’Oréal ou Danone ont enregistré une croissance de 30% leur chiffre d’affaire en Inde. Si vous cherchez des relais de croissance, allez visiter l’Inde ; marché mûr, sophistiqué, et solvable. La classe moyenne indienne (vos futurs clients ?), c’est… 250 MILLIONS d’individus. Pour Goldman Sachs, l’Inde sera dans une vingtaine d’années la troisième puissance économique mondiale, derrière la Chine et les Etats-Unis. Innover c’est aussi sans doute laisser les hommes politiques disserter sur le temps qui passe, ignorer les préjugés et les orthodoxies, prendre les changements de technologies et de marchés tels qu’ils sont, et aller chercher la croissance là où elle est.

L’attitude des grandes entreprises envers les petites entreprises: différences franco-allemandes

Visite d’une startup chez un opérateur télécom français pour lui vendre un produit. Présentation, réaction de l’opérateur: “votre produit est super, c’est ce qu’il nous faut, mais vous êtes trop petit (10 personnes), alors vous comprenez, comment je peux travailler avec vous, moi, c’est trop risqué!”
Quinze jours plus tard, visite de la même startup chez un opérateur télécom allemand. Présentation, réaction de l’opérateur: “votre produit est super, c’est ce qu’il nous faut. Pour avancer, nous allons développer un prototype avec vous, et comme vous êtes très petit, on va vous payer les frais”.
Logique de sous-développement d’une côté, logique de développement de l’écosystème de l’autre.

La fin de l’empire américain

Petite visite à Dijon – tiens, feuilletons quelques livres. Je rentre dans une librairie, et demande le rayon "politique internationale". Intéressant! le rayon est totalement rempli de livres annonçant la fin de l’Amérique. Je passe sur les arguments, pour me demander si nos intellectuels ne pratiquent pas la méthode coué. Allons, l’Amérique au bord du gouffre? Certes le dollar ne va pas fort, les déficits sont impressionnants et l’unité sociale est fragile, mais quand même. Quand on voit la vigueur extraordinaire de l’économie, portée par une innovation massive, on a du mal à critiquer. N’oublions pas que quand l’Amérique est en récession, son taux de croissance est supérieur à celui de la France lorsque celle-ci est en pleine forme. Alors on se calme un peu, et on balaye devant sa porte… L’économie européenne est vieillissante, sa présence dans les secteurs d’innovation est modeste face à la machine technologique américaine. Qui est au bord du gouffre?

Bull

Lu dans la presse:
Bruxelles autorise l’aide “ultime” à la restructuration de Bull. L’Etat français va pouvoir débloquer 517 millions d’euros supplémentaires pour soutenir le plan de restructuration du groupe informatique Bull.

C’est comme l’alcolisme: ça fait longtemps qu’on ne sait plus pourquoi on boit, mais c’est impossible de décrocher.