Temps long: Le contresens attristant de Jacques Attali

Ainsi donc Jacques Attali, notre intellectuel national, vient de remettre un rapport au Président de la République pour préconiser diverses mesures destinées à réhabiliter le temps long. Il explique: « L’absence de prise en compte du long terme est la cause principale de la crise actuelle. » Et de regretter que nombre de décisions des entreprises soient guidées par un court-termisme destructeur. Parmi ses recommandations, citons la modification du code civil pour qu’il soit moins tourné vers l’intérêt des associés capitalistes, la promotion de la micro-finance, et la création d’un conseil du long terme. Au-delà, ce qu’Attali veut promouvoir c’est un capitalisme patient. Le problème, c’est qu’il n’a rien compris.

En effet, le diagnostic initial selon lequel c’est l’absence de prise en compte du long terme qui est la cause principale de la crise actuelle est tout à fait inexact. D’où sort-il cela? Mystère! Les causes de la crise sont multiples et toutes autres, même si tout le monde n’est pas d’accord sur les causes précises: les politiques publiques d’incitation à l’accession à la propriété ainsi que la gestion des banques basée sur des modèles erronés de leur estimation du risque ont en tout cas une part importante. Le refus de laisser faire faillite des banques gérées de manière inepte a naturellement également démultiplié les effets initiaux de la crise.

L’absence de vision de long terme du capitalisme est une vieille antienne jacobine pour justifier l’action de l’Etat: selon elle, les capitalistes stupides ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, alors voyez-vous, il faut bien les aider. Qui peut le faire? L’Etat voyons! Car l’Etat, lui, a une vision de long terme, construite par des serviteurs compétents qui, eux, au contraire des capitalistes, savent voir loin. Il est le maître des horloges, pour reprendre une expression qui a eu son heure de gloire, le maître du temps. On croyait ces niaiseries oubliée devant les désastres que de telles idées ont pu produire, eh bien non, nous sommes en France, le pays où Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Sylvia Pinel sont ministres. L’Etat était le maître des horloges au Crédit Lyonnais, et récemment encore chez Dexia. Beau résultat. L’Etat, c’est ce maître des horloges qui promeut l’instabilité juridique en changeant les lois en permanence, et il vient nous parler de tyrannie du court terme? On a connu Jacques Attali, notamment au temps du rapport sur la croissance, en meilleures forme.

Quant aux recommandations, elles seraient déjà bizarres tant le diagnostic initial est inexact, mais leur lecture laisse pantois: il faut encourager la micro-finance. Soit, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Jacques Attali étant fondateur d’une société de micro-finance, c’est de bonne guerre. Lutter contre la fraude fiscale, le rapport? Quant au conseil de long terme, on imagine déjà sa composition: quelques philosophes et sociologues, des industriels sur le retour et des officiers de rencontre, chacun convaincu que seul l’Etat sait où nous pouvons aller, vivant de sa solde, défendant la main qui les nourrit. Que pourra produire ce conseil sinon des niaiseries et des recommandations nuisibles? Et hop, un conseil, un rapport, des émoluments, des bureaux, des voitures, des huissiers, du bruit, de la fureur.

Un tel rapport, qui sera bientôt un livre nous dit-on, traduit une incompréhension persistante du capitalisme, parfaitement capable de gérer le temps long et l’innovation, n’en déplaise à nos jacobins nationaux. Qu’il existe des cas de court-termisme, naturellement. De là à jeter le bébé avec l’eau du bain… Le capitalisme a un mécanisme bien au point pour gérer ceux qui sont trop court-termistes: la faillite. Quiconque connaît un chef d’entreprise sait que les risques du court-termisme sont connus, et que le système le sanctionne régulièrement. Enron a disparu, comme Lehman Brothers, et d’autres, moins court-termistes, ont pris leur place. Merci, et au revoir. Si l’Etat, maître des horloges, n’empêchait pas au contraire les faillites des banques, augmentant le risque, le mécanisme de régulation naturelle jouerait le jeu et nous n’en serions pas là. 

Plus généralement, ce rapport traduit le désarroi de la classe politique française qui n’a plus aucune pensée économique et en est réduit à se raccrocher à des concepts bidons comme le temps long et à des chimères comme la politique industrielle, produits à la chaîne par une classe intellectuelle d’une créativité infinie. Quand tous ces expédients burlesques seront épuisés, que restera-t-il?

A l’occasion de la sortie de son livre « Une histoire de l’avenir » en 2007, j’avais souligné le caractère superficiel de la pensée de Jacques Attali et sa compréhension approximative de ce dont il parle (voir le billet ici); mais je n’avais aucun mérite, Michel Crozier l’avait fait bien avant moi…

Je suis retombé sur un billet que j’avais écrit en 2005 pour me rendre compte que déjà à cette éopque, le fameux Rapport Beffa avait mis en avant cette idée de temps long. Voir mon billet de l’époque ici « Rétablir le temps long?« 

6 réflexions au sujet de « Temps long: Le contresens attristant de Jacques Attali »

  1. Article étrange, vous dites qu’Attali n’a rien comprit puis qu’il est là pour faire son beurre avec la micro finance…. il est con ou intelligent ? Moi je dis il EST l’esprit du temps, du système…. « pour un gouvernement mondial »…. la fameuse « république mondiale » tant voulu par l’élite des frères la truelle.

  2. Je vous suis entièrement dans votre charge contre la prétendue expertise et compétence de l’Etat en matière de gestion de l’économie.Quant à la crise, ses causes sont protéiformes et systémique. La vision courtermiste de certains agents a certainement joué (voir les sociétés en Bourse dont les dirigeants gèrent les affaires de trimestre en trimestre et encore davantage les politiques dont l’agenda est rythmé par les échéances électorales) un rôle et encore, il serait bien imprudent de généraliser. C’est vrai qu’en temps normal, le marché sanctionne les entreprises tombées dans le piège du court terme. Mais pas toutes. La faillite de Lehman a d’autres ressorts (politiques entre autres) et on est en droit de se demander pourquoi on l’a laissé faire faillite alors que d’autres banques (Bears Stern par exemple), toute aussi mal en point, ont été sauvées. Enfin, tout ça pour dire que le tableau de la crise est beaucoup plus complexe et ne peut se résumer à deux ou trois causes précises.

    Quant à Jacques Attali que dire de plus à son sujet. C’est un opportuniste qui mange à tous les râteliers. Il est un pur produit de ce système et il en profite (rapport à Sarkozy, rapport à Hollande, etc.). Quant à sa pensée, elle est aussi profonde qu’une flaque d’eau. Et cela se voit dans les bouquins qu’il pond à un rythme ne permettant pas l’épaisseur de la réflexion.

    Bonne journée.

    1. Je vous trouve bien sévère avec J. Attali !
      Le fait qu’il rapporte sous Sarkozy puis sous Hollande est-il la preuve d’une légèreté de réflexion ? Le cloisonnement politique en 2013 me semble beaucoup plus dangereux, préoccupant et anachronique face aux changements technologiques qui vont nous impacter et qui passent presque inaperçus chez les élites des sphères économiques.
      S’offusquer d’une successions de rapports sous la droite puis sous la gauche participe (à mon sens) à l’immobilisme intellectuel ambiant qui paralyse la France.
      Attali produit régulièrement des chroniques et articles d’une grande profondeur, il est l’un des très rares penseurs français ayant produit des prévisions de natures technologiques et sociologiques à 15 ans et à 20 ans
      fidèlement réalisées depuis. ce simple fait le classe dans cette catégorie de penseurs d’exception.
      Soyons donc un peu prudent avant de le mener à l’échafaud !

  3. Philippe, encore un post remarquable. Sans doute faut-il préciser que le travail de la finance doit s’inscrire dans la disponibilité long terme des ressources, et s’il y avait eu effectivement pertinence dans la réflexion de M. Attali, c’est dans cette direction qu’elle aurait dû s’inscrire… le pilotage des entreprises par la bureaucratie financière égotique est un processus de destruction de valeur qui contrecarre les actions entrepreneuriales (disons, un mauvais contrepouvoir à l’action entrepreneuriale).
    On ne peut qu’être navré par ce manque d’humilité de M. Attali et de ses conseillers dont le propre modèle économique est en phase avec l’air du court-termisme : vendre vite quelque idées grâce aux accès presse et media complaisants puis disparaître (une nouvelle fois) très vite avant que l’on s’aperçoive de la vacuité de son contenu confronté à l’épreuve de la réalité.
    Plus généralement, à l’instar de Gramsci dont l’objectif était la conquête des esprits par le socialisme dès l’école (mission accomplie, on ne peut que s’incliner), la conquête des esprits pour une critique (constructive) des élites et une démocratisation (n’en demandons pas trop) des mécanismes vertueux du capitalisme passe, elle, par une poursuite de l’écriture patiente d’excellents billets comme celui-là dans le but d’essayer de détourner les esprits adultes des chemins de la prospective qui ne mènent nul part

Laisser un commentaire