Réglementation de l’IA: La logique de mort industrielle de la Commission européenne

La Commission européenne vient de dévoiler un projet très ambitieux de réglementation des usages de l’intelligence artificielle (IA). Les plus de cent pages (!) de règles proposées couvrent un large éventail de sujets. Si les risques liés à des utilisations non éthiques de l’IA existent réellement, cette volonté de réglementation repose cependant sur une conception erronée de l’innovation technologique et pose un grave danger à l’industrie européenne en compromettant les chances que nous disposions d’acteurs majeurs dans le domaine. Si ce projet était adopté, il constituerait un formidable cadeau à la Chine et aux États-Unis.

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Le stratège et la technologie: drôle d’endroit pour une rencontre

Il existe un modèle dominant de la stratégie dans lequel les buts sont déterminés, puis les moyens nécessaires sont rassemblés et déployés. Ce modèle, très cartésien, repose sur une séparation nette et unidirectionnelle entre la conception, noble, et la mise en œuvre, subordonnée. Or la révolution technologique que nous vivons depuis plusieurs années fait voler en éclat cette distinction: de plus en plus, ce sont les moyens qui permettent des buts. Tirer parti de cette révolution nécessite un intérêt sincère et profond des stratèges pour la technologie et ce qu’elle permet. Dans beaucoup d’entreprises, nous en sommes loin.

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Tech for good: Et si c’était une très mauvaise idée?

Le monde de la technologie est sur la défensive; ses abus sont largement exposés dans les médias (Facebook), ses contributions à peine évoquées comme évidentes, négligeables ou pire, contre-productive. Ses bénéfices sont questionnés (à quoi bon la 5G?) et ses dangers potentiels mis en avant (OGM). Des voix s’élèvent pour qu’elle soit mieux contrôlée et qu’elle contribue au bien commun, ce que traduit l’expression Tech for good (la technologie pour le bien). Mais qu’est-ce qu’on entend par ‘good’? C’est une question fondamentale parce qu’y répondre montre que derrière la noblesse de l’intention, Tech for Good est en fait une très mauvaise idée.

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Faut-il avoir peur du plan chinois d’intelligence artificielle?

Il n’y a rien qui fascine autant un intellectuel français, qu’il soit de droite ou de gauche, qu’une bonne dictature. Il en vantera toujours l’efficacité, la clairvoyance, la détermination, et l’ambition, en l’opposant au court-termisme souvent chaotique de nos démocraties occidentales chamailleuses et fatiguées. Nous avons ainsi eu droit récemment à une belle émission (C dans l’air) nous mettant en garde contre le plan chinois d’intelligence artificielle. Les chinois, nous y expliquait-on, ont une vision à “50, 100 ans”, avec l’IA, les routes de la soie, et le crédit social entre autres choses tandis que l’Europe avance à tâtons, quand elle avance, ce qui est rare. Alors faut-il avoir peur du plan chinois? Je ne pense pas.

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La technologie n’est pas qu’un outil, c’est le point de départ de la stratégie

Dans un séminaire que j’animais sur la transformation, j’entendais des managers dire “La technologie c’est juste un outil, ce qu’il faut c’est une stratégie claire.” Ce n’est pas la première fois, je l’entends souvent énoncé sur le ton de l’évidence, et chaque fois ça m’arrache les oreilles car comme tout ce qui semble évident, c’est inexact, et le prix de cette inexactitude est élevé, en particulier chez les grandes organisations qui n’ont toujours pas saisi l’ampleur de la révolution scientifique et technique en cours.

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Aristote pour tous: et si l’intelligence artificielle était la chance des moins qualifiés?

J’assistais récemment à une conférence sur l’intelligence artificielle. Les participants à la table ronde étaient unanimes pour prédire une sorte d’apocalypse du travail, joignant en cela l’avis de la plupart des experts. En gros l’argument est le suivant: l’IA va rendre obsolète un nombre très important de métiers, avec un impact majeur à très court terme. Les participants ont ajouté que l’IA permettrait certainement d’en créer beaucoup d’autres, comme cela a été le cas lors de toutes les vagues d’automatisation (métiers à tisser, distributeurs automatiques de billets, etc.) mais avec retard, et qu’il y aurait donc un décalage entre temps. En tous cas, les travailleurs les moins qualifiés seraient, selon eux, les principales victimes de cette vague d’innovation qui tire le travail “vers le haut”.

Eh bien je n’en crois rien. Je pense au contraire que l’IA est la chance des moins qualifiés.

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Quand la technologie est source de rupture: Le cas des tests de grossesse

On associe souvent technologie et rupture. On parle de technologie de rupture à tout bout de champ. C’est oublier que toute nouvelle technologie n’entraîne pas nécessairement une rupture. Inversement, on imagine souvent mal les impacts d’une nouvelle technologie, en particulier économiques et sociétaux. Regardons cette question à partir d’un exemple simple, celui des tests de grossesse.

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Conférence de Michel Serres : la technologie démultiplie nos capacité cognitives

Une conférence passionnante de Michel Serres à l’Ecole Polytechnique organisée par l’INRIA dans le cadre de la culture Web. Le thème est celui des nouvelles technologies et de ce qu’elles changent. C’est bien connu, lorsque les temps sont incertains (vous me direz, y a-t-il eu une époque où les temps ont été certains? Mais c’est un autre débat), il faut consulter les philosophes – sans bien sûr forcément les écouter.
Serres fait d’abord remarquer que beaucoup de choses que nous pensons nouvelles ne le sont pas: création et transmission rapide d’information sont vieilles comme le monde. Hannibal en Italie était informé presqu’en temps réel par sa base tunisienne, César se plaignait que les gaulois connaissaient ses informations avant qu’elles n’arrivent à Rome. Mais ce qui est nouveau avec le net c’est la dissociation entre l’adresse logique et l’adresse physique. Il y a création d’un nouvel espace dont le droit est à inventer. Selon lui, toute technologie est une extension de l’homme, une sorte de sous-traitance de ses capacités à l’outil. L’internet permet de sous-traiter ses capacités cognitives, comme le livre avait permis à nos ancêtres de sous-traiter la mémoire. Libéré du besoin de tout apprendre par coeur, ils avaient démultiplié leurs capacité cognitives, et Serres y voit là un facteur fondamental de l’explosion de la science moderne à cette époque.
Faut-il avoir peur de l’importance de la technologie? Serres se veut optimiste: chaque nouveauté est accueillie avec crainte et il raconte avec malice que l’arrivée des animaux d’élevage il y a plusieurs milliers d’années avait entraîné des épidémies très graves. Aujourd’hui, le principe de précaution interdirait cette innovation dangereuse. Selon lui, la technologie libère l’homme et il ne voit aucun déterminisme ni aucune soumission. La conférence se termine sur une belle anecdote où il raconte qu’étant marin dans sa jeunesse, il correspondait avec sa petite amie par lettre, ce qui évidemment n’était pas très pratique, ne pouvant envoyer ou recevoir que dans chaque nouveau port. Aujourd’hui, un coup de téléphone ou un email rendent l’amour distant possible. Si ça, ce n’est pas un résultat merveilleux de la technologie…

Mise à jour 2022: le lien vers la conférence n’est plus disponible.