“On n’a pas le choix” ou la démission du stratège

L’importance des ruptures auxquelles nous sommes parfois soumis, et le côté impératif de certaines d’entre elles, peut nous empêcher de penser sereinement et nous amener à conclure que nous n’avons pas le choix de telle ou telle action. C’est pourtant faux. On peut même arguer que plus la rupture est importante, plus la crise est pressante, plus le stratège doit éviter de tomber dans le piège de la voie unique. Les organisations qui survivent aux crises sont en effet celles qui, précisément, trouvent une réponse originale et créative aux défis auxquels elles sont confrontées. “On n’a pas le choix”, c’est la démission du stratège.

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L’importance de l’identité en situation de rupture: Kodak vs. Fuji

L’identité d’une organisation revêt une très grande importance stratégique car elle permet de comprendre les échecs. C’est ce que Milo Jones et moi avons montré dans notre ouvrage “Constructing Cassandra” au sujet de la CIA. C’est particulièrement vrai en situation de rupture. Examinons le cas des réactions de Kodak et Fuji face à la rupture du numérique dans les années 90.

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L’innovation de rupture ce n’est pas l’avantage au premier entrant

La théorie de la rupture permet d’éclairer d’un jour nouveau la question de l’avantage au premier entrant (first mover advantage). L’avantage au premier entrant est une théorie qui stipule que le premier entrant sur un nouveau marché bénéficie d’avantages lui permettant d’en prendre le leadership et de résister efficacement à l’entrée de concurrents tardifs. En énonçant que le principal facteur de compétitivité est l’ordre d’arrivée sur un marché, cette théorie recommande d’aller le plus vite possible pour y être le premier. Or cette théorie est fausse, et la théorie de l’innovation de rupture, proposée par Clayton Christensen, explique pourquoi.

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La réaction face à une rupture: L’importance de la dimension temporelle

J’ai plusieurs fois évoqué les difficultés qu’ont les entreprises établies à répondre à une rupture de leur environnement. L’une des raisons est que du point de vue de leur modèle d’affaire existant, la rupture n’a aucun sens car elle remet précisément en question ce modèle, ce qui est très difficile à accepter dans la mesure où celui-ci assure leurs revenus actuels. Dit autrement, le conflit de modèle d’affaire fait que pour l’entreprise existante, l’opportunité offerte par la rupture n’est pas attractive. Mais il y a une difficulté supplémentaire qui a trait à la nature particulière de la rupture, à savoir la dimension du temps. La rupture met du temps à produire ses effets, et cela peut donner l’illusion à l’entreprise qu’elle a le temps d’y répondre. Regardons comment fonctionne ce mécanisme au travers d’un exemple: Kodak.

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La source du dilemme de l’innovateur: 6 – Le bourrage

Ce billet est le quatrième d’une série sur le dilemme de l’innovateur et le modèle d’affaire.

Contrairement à ce qu’on pense souvent, les entreprises confrontées à une rupture de leur environnement échouent rarement parce qu’elles ont ignoré cette dernière. Elles échouent parce qu’elles ne sont pas capables d’y répondre et d’en tirer parti. Une erreur typique consiste à adopter l’innovation de rupture et à l’utiliser pour renforcer son modèle d’affaire existant plutôt d’en créer un nouveau, un phénomène qualifié de bourrage (cramming) organisationnel.

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L’innovation de rupture par le bas: Quand fonctionne-t-elle ou pas?

La théorie de la rupture proposée par le chercheur Clayton Christensen énonce que sur un marché, un acteur a tendance à servir ses clients les plus exigeants, car les plus rentables, ce qui le pousse inéluctablement vers le haut de gamme. Ce faisant, il développe une structure de coût croissante et néglige l’entrée de gamme, qui cesse progressivement d’être attractif pour lui. Inéluctablement, cette entrée de gamme est investie par un nouvel entrant qui, venant du bas, trouve lui ce segment attractif. L’acteur initial est donc expulsé de ce segment, souvent à son grand soulagement. Le problème c’est que le nouvel entrant subit la même attraction pour le segment supérieur, et commence lui aussi à monter, poussant à nouveau l’acteur initial vers le haut. Au bout d’un moment, celui-ci se trouve coincé tout en haut et ne bénéficie plus d’effets d’échelle, ce qui se termine souvent en catastrophe économique. C’est notamment ce qui est arrivé à General Motors qui a entamé sa fuite vers le haut dans les années 60 et a terminé en dépôt de bilan en 2008. Mais ce mécanisme ne fonctionne pas toujours. Regardons pourquoi.

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Innovation: Non, lieutenant, vos hommes sont déjà morts.

Il y a, dans le film Matrix sorti en 1999, une réplique culte. Alors que le lieutenant de police vient indiquer à l’agent spécial Smith qu’il contrôle la situation suite à l’intrusion d’éléments subversifs dans un immeuble, ce dernier lui répond avec assurance: “Non, lieutenant, vos hommes sont déjà morts.”

Il en va ainsi de l’innovation. Beaucoup d’entreprises abordent une rupture à laquelle elles font face en se demandant le profit qu’elles peuvent en tirer. L’hypothèse implicite qu’elles font toujours est qu’elles peuvent se permettre de ne pas y répondre. Plus spécifiquement, elles raisonnent comme si le scénario de base est celui de la continuation de leur business actuel comme si de rien n’était, et que les opportunités et menaces de la rupture sont en quelque sorte indépendantes de ce business. Dès lors, les discussions deviennent très vite académiques.

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Entreprises innovantes : il n’y a pas que la high-tech !

Un article récent des Echos évoquait l’étude récente menée par le cabinet de conseil BCG pour déterminer quelles sont les entreprises les plus innovantes. Dans un contexte de crise économique persistante, c’est évidemment une question importante car ces entreprises peuvent être un exemple à suivre. Un des résultats marquants de cette étude était le repli notable des entreprises high-tech dans le classement. Faut-il s’en inquiéter ? Non, et ce pour plusieurs raisons.

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Stratégie non prédictive (2): Connais-toi toi-même ou le biais identitaire

Dans la première partie de cette série, nous avons examiné le défi que représentent les environnements non linéaires et essayé de montrer comment, lorsqu’on est confronté à un tel environnement, il vaut mieux consacrer son énergie  à une compréhension profonde de la situation présente plutôt qu’à essayer de prédire son évolution. D’où notre recommandation d’une approche non prédictive de la stratégie.

Les systèmes non linéaires peuvent être trouvés dans la nature (en météo par exemple), mais ils sont particulièrement fréquents et problématiques quand ils impliquent des dimensions humaines. Bien que de tels systèmes puissent parfois afficher des régularités sur de longues périodes, donnant ainsi l’illusion d’être intrinsèquement linéaires, la plupart des grandes questions politiques, économiques et commerciales sont essentiellement non linéaires car imprégnées de faits sociaux. Ce que ces systèmes, centrés sur des questions humaines, ont en commun, mais qui est souvent négligé, est que l’on ne peut pas les traiter comme s’ils étaient des problèmes de sciences naturelles. Dès lors, comment vous définissez la question à laquelle vous avez affaire dépend aussi de qui vous êtes.

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