Dans un scénario désormais familier, JPMorgan vient d’avouer avoir perdu deux milliards de dollars dans une opération de courtage. Il se trouve que j’avais l’occasion de m’adresser à un groupe de directeurs d’une grande banque française récemment pour une conférence. Voici en substance ce que je leur ai dit: Notre environnement est un Extrémistan, nos outils sont conçus pour gérer le Médiocristan, donc les catastrophes vont continuer.
1. Notre environnement est un Extrémistan
La distinction entre Médiocristan et Extrémistan a été introduite par Nassim Taleb dans son célèbre ouvrage “Le cygne noir”. En substance, le Médiocristan est l’environnement régi par une loi de distribution normale, c’est à dire qu’un évènement particulier ne modifie pas la moyenne des valeurs. Par exemple, dans le prêt-à-porter: Si quelqu’un rentre dans votre magasin, quelque soit sa taille, la taille moyenne de vos clients n’évoluera que très peu. Pour ce qui concerne la taille, votre environnement est donc intrinsèquement stable, on le qualifie de Médiocristan. Pour ce qui est du pouvoir d’achat, c’est très différent. Les dix premiers clients peuvent être des chômeurs en fins de droits, et le dernier assujetti à l’ISF. On parle d’Extrémistan parce que ce que vous savez des dix premiers ne vous permet en rien de prévoir ce que sera le onzième, qui peut représenter un écart massif par rapports aux précédents. Dans l’univers de la finance, on retrouve le même caractère aléatoire et non prédictif: ainsi, Taleb observe que 90% de la variation totale d’un portefeuille d’options sur 20 ans (1998-2008) s’est produite en un seul jour. C’est le syndrome de la dinde de Noël: tout au long de l’année, elle est nourrie avec amour par le fermier. Son poids et sa confiance augmentent régulièrement, jusqu’au 23 décembre où le même fermier lui tranche la gorge. Que pouvait tirer la dinde comme enseignement de l’année précédente sur ce qui allait se produire? Rien. L’observation passée n’est donc en rien utile pour prédire l’avenir.

2. Nos outils sont conçus pour gérer le Médiocristan.
Nos outils, que ce soit de stratégie ou de gestion du risque, sont essentiellement conçus pour le Médiocristan. Le terme même de gestion du risque le laisse penser. Comme j’en discutais dans un article précédent, le risque peut se calculer dès lors qu’on part de l’hypothèse que notre environnement obéit à une loi de distribution connue, en général normale ou gaussienne. C’est une hypothèse fort pratique, mais fausse. Notre environnement est géré par l’aléatoire, et la loi normale n’est qu’un cas particulier. Dit autrement, la plupart du temps, la loi normale fonctionne, sauf quand elle ne fonctionne plus. Et quand elle ne fonctionne plus, les écarts sont en général massifs. Dans l’exemple précédent, la dinde tirait leçon de l’amour évident du fermier pour elle, traçait une droite pour extrapoler l’avenir et en concluait que demain serait encore mieux qu’hier. Elle négligeait par là-même le fait que son univers était discontinu: des jours et des jours d’amour, et puis un jour, le couperet. Cette erreur ne concerne malheureusement pas que les dindes. Dans les affaires comme en finance, nos outils sont basés sur la même logique: ils sont prédictifs sur une hypothèse de linéarité et de continuité de l’environnement, et cette hypothèse est fausse.
3. Donc les catastrophes vont continuer.
Ce point se déduit logiquement des deux précédents. Les catastrophes ne sont pas des aberrations, elles ne se produisent pas parce qu’elles sont inévitables, mais parce que les outils et modèles que nous utilisons sont inadaptés à la nature aléatoire et discontinue de notre environnement. C’est comme si nous utilisions un altimètre pour naviguer sur l’océan. Ce qui rend les choses difficiles, c’est que nos (mauvais) outils marchent la plupart du temps: la plupart du temps nos prévisions sont à peu près justes; la plupart du temps, les catastrophes n’arrivent pas. Jusqu’au moment où elles arrivent. Comme la dinde: On pourrait dire qu’elle a eu raison 364 fois sur 365, ce qui est assez bon comme performance (ça lui vaudrait le prix du stratège financier si celui-ci avait lieu le 22 décembre, mais pas s’il avait lieu le 25). De même que le capitaine du Titanic n’a eu qu’un accident sur quarante ans de navigation, ce qui est également un bon historique de performance. Si l’on regarde l’histoire de la finance, il est frappant d’observer des catastrophes de manière continue: faillites de banques, énormes pertes de courtage, etc.
Etes-vous donc prêts pour la prochaine catastrophe?
Voir mon billet sur l’Extremistan et celui sur l’impossibilité de prédire l’avenir.
2 réflexions au sujet de « Message aux banques: êtes-vous prêtes pour la prochaine catastrophe? »
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