Manager la créativité: innover en s’inspirant de Pixar, Ducasse, Jean Nouvel, Hermès…

Qu’ont en commun Pixar, Alain Ducasse, les ateliers Jean Nouvel, le Design Renault et Hermès? Ce sont toutes des organisations dont la raison d’être est la créativité, et qui ne peuvent donc survivre, sans même parler de performance, qu’en maintenant leur capacité créative. A l’heure où l’innovation est dans toutes les bouches, leur réussite intrigue et il est étonnant que ce type de structure n’ait pas plus fait l’objet d’études. Cette lacune est désormais comblée avec l’ouvrage de Thomas Paris: « Manager la créativité: innover en s’inspirant de Pixar, Ducasse, Jean Nouvel, Hermès… » récemment paru chez Pearson. Enseignant à HEC et chercheur au CNRS et à l’École polytechnique (Centre de Recherche en Gestion), Thomas Paris anime depuis plusieurs années un séminaire sur les industries créatives dans le cadre de l’Ecole de Paris. C’est de ce séminaire qu’est tiré le livre.

L’ouvrage est organisé en thèmes et fourmille d’exemples et d’anecdotes souvent inattendues. Par exemple, les difficultés rencontrées par Chanel et  Alain Ducasse pour monter un restaurant à Tokyo montrent que même entre elles, les entreprises de création éprouvent des difficultés à travailler ensemble tant chacune est atypique. Un autre exemple, et à mon sens l’un des passages les plus intéressants du livre, est la description de la reprise de son restaurant lors du suicide de Bernard Loiseau, l’un des plus grands chefs français. Son dirigeant disparu brutalement, l’établissement menace de sombrer rapidement. Son épouse encore sous le choc en reprend la direction contrainte et forcée du jour au lendemain. Le grand chef étant mort, il faut nommer un nouveau chef et procéder à des ajustements car plus rien ne peut être comme avant. La carte doit évoluer. Mais une partie de l’équipe crie à la trahison du grand homme. La salle, notamment (maître d’hôtel, serveurs), refuse de pousser les plats nouveaux. Il faudra finalement le départ d’une partie de l’équipe de salle pour que les innovations du nouveau chef connaissent le succès. L’anecdote illustre une difficulté fondamentale de la démarche d’innovation (et plus généralement de conduite de changement): c’est rarement un problème de stratégie, toujours un problème d’hommes. Si le terrain, qui est en contact avec le client, ne veut pas pousser votre innovation, celle-ci n’a aucune chance. Il ne la poussera que s’il y a intérêt, au sens large du terme. On pourrait croire, naïvement, que les serveurs sont simplement là pour servir ce qu’on leur demande, et que le succès d’un établissement repose sur le talent du chef, mais rien n’est plus faux. Comme les commerciaux d’une entreprise, les décisions sur le terrain orientent de facto la réalité stratégique de l’entreprise, un syndrome que j’avais intitulé dans un billet précédent la tyrannie de la micro-décision.

L’originalité et la diversité des exemples choisis, ainsi que les angles d’approche, sont clairement les richesses du livre: on découvre les briefs donnés par Alain Ducasse pour la réalisation d’un nouveau dessert, le processus de recrutement chez radio Nova qui laisse une large place au spontané et à l’expérimental, la façon dont Jean Nouvel réussit à déléguer tout en restant impliqué dans chacun des projets de son cabinet, au contraire d’autres architectes, ou encore la création du film Ratatouille racontée par sa directrice de production. De tels exemples sont naturellement une source d’inspiration pour les entreprises en mal de créativité. Toutefois, si l’ouvrage est riche en description, il théorise assez peu et n’aborde notamment pas la question de l’application des approches décrites à d’autres structures. Ce qui marche chez Pixar ne marchera pas forcément dans une SSII française, et ce d’autant que les exemples choisis sont souvent hors normes. C’est leur intérêt, mais aussi leur limite. Il serait certainement intéressant de formaliser plus les approches de ces industries pour voir ce que des entreprises plus « normales » peuvent en tirer.

Au final, ce livre est important car on pense souvent que le problème des entreprises est un manque d’idées. Or ce dont souffrent les entreprises, ce n’est pas d’un manque d’idées, mais de l’incapacité de mettre en œuvre les bonnes idées qu’elles développent. La force des organisations citées en exemple est d’être capable d’y arriver de manière répétée. L’ouvrage montre que c’est bien du management de la créativité qu’il s’agit, c’est dire du mariage de l’art et de la gestion. Il montre également comment gérer les talents individuels pour les mettre au service du projet collectif grâce à des mécanismes formels. Au travers des exemples, on comprend mieux comment ce mariage a priori impossible peut fonctionner. Oui, l’art peut s’exprimer pleinement en respectant des contraintes d’organisation et de rentabilité. A ce titre, on regrettera le titre du livre, à mon sens mal choisi car il peut faire penser qu’il s’agit d’un ouvrage de plus sur la créativité avec techniques de brainstorming à la clé, alors qu’il saisit précisément la dimension organisationnelle de la production et de la mise en œuvre des idées.

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