Le culte du cargo de la transformation digitale

Le logiciel dévore le monde. C’est aussi vrai dans le monde automobile. De plus en plus, une voiture va être un ordinateur sur roues. Les fabricants semblent l’avoir compris, et embauchent à tour de bras des informaticiens pour se mettre à l’heure ‘digitale’. Beaucoup de grandes entreprises dans toutes les industries sont dans la même situation. Seront-ils pour autant capables de se transformer à ce point? On peut en douter. Embaucher plusieurs milliers d’informaticiens ne fait pas de vous une entreprise digitale…

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L’innovation de rupture par le bas: Quand fonctionne-t-elle ou pas?

La théorie de la rupture proposée par le chercheur Clayton Christensen énonce que sur un marché, un acteur a tendance à servir ses clients les plus exigeants, car les plus rentables, ce qui le pousse inéluctablement vers le haut de gamme. Ce faisant, il développe une structure de coût croissante et néglige l’entrée de gamme, qui cesse progressivement d’être attractif pour lui. Inéluctablement, cette entrée de gamme est investie par un nouvel entrant qui, venant du bas, trouve lui ce segment attractif. L’acteur initial est donc expulsé de ce segment, souvent à son grand soulagement. Le problème c’est que le nouvel entrant subit la même attraction pour le segment supérieur, et commence lui aussi à monter, poussant à nouveau l’acteur initial vers le haut. Au bout d’un moment, celui-ci se trouve coincé tout en haut et ne bénéficie plus d’effets d’échelle, ce qui se termine souvent en catastrophe économique. C’est notamment ce qui est arrivé à General Motors qui a entamé sa fuite vers le haut dans les années 60 et a terminé en dépôt de bilan en 2008. Mais ce mécanisme ne fonctionne pas toujours. Regardons pourquoi.

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Manager la créativité: innover en s’inspirant de Pixar, Ducasse, Jean Nouvel, Hermès…

Qu’ont en commun Pixar, Alain Ducasse, les ateliers Jean Nouvel, le Design Renault et Hermès? Ce sont toutes des organisations dont la raison d’être est la créativité, et qui ne peuvent donc survivre, sans même parler de performance, qu’en maintenant leur capacité créative. A l’heure où l’innovation est dans toutes les bouches, leur réussite intrigue et il est étonnant que ce type de structure n’ait pas plus fait l’objet d’études. Cette lacune est désormais comblée avec l’ouvrage de Thomas Paris: Manager la créativité: innover en s’inspirant de Pixar, Ducasse, Jean Nouvel, Hermès…récemment paru chez Pearson. Enseignant à HEC et chercheur au CNRS et à l’École polytechnique (Centre de Recherche en Gestion), Thomas Paris anime depuis plusieurs années un séminaire sur les industries créatives dans le cadre de l’Ecole de Paris. C’est de ce séminaire qu’est tiré le livre.

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L’opposition innovation radicale – innovation incrémentale n’est pas pertinente

L’opposition entre innovation radicale et innovation incrémentale est un des classiques des théories de l’innovation. Tandis que l’innovation incrémentale consiste à améliorer les produits existants, l’innovation radicale consiste à inventer des nouvelles catégories de produits qui sont à la fois nouveaux pour le marché et pour l’entreprise. Le livre fondateur de Clayton Christensen “Innovator’s dilemma” qui, rappelons-le pour le regretter, n’a pas été traduit en français, montre comment les acteurs installés sur un marché profitent des innovations incrémentales mais sont le plus souvent marginalisés à la suite d’une innovation radicale. Par exemple, Kodak a très mal géré l’arrivée de la photo numérique. Initialement, Christensen a posé le débat en termes de technologies, s’appuyant sur la fameuse courbe en S de progression d’une technologie (inventée par Richard Foster) pour montrer comment une technologie dépassait l’autre. Plusieurs chercheurs ont cependant montré que sa thèse ne s’appliquait pas toujours: il y a de nombreux exemples d’entreprises capables non seulement de survivre à une innovation radicale sur leur marché, mais d’en profiter (par exemple IBM). L’opposition radical-incrémental est donc intéressante, mais pas opérante pour comprendre la dynamique de réussite sur un marché entre acteurs en place et nouveaux entrants.

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La Renault Logan, un bon exemple d’innovation de rupture “interne”

Le lancement par Renault du modèle Logan est un cas d’école intéressant car il constitue une exception à la thèse de Clayton Christensen selon laquelle les grandes entreprises leader sont incapables de lancer des innovations de ruptures dans leur propre marché.
La pente naturelle de toute entreprise est la montée en gamme de ses produits: alors que l’entreprise se développe, sa structure de coût augmente, son point mort s’élève, elle a donc besoin de produits plus hauts de gamme pour maintenir ses marges. Il est très difficile pour elle de continuer à créer des produits bas de gamme, car ceux-ci ne correspondent plus à sa structure de coût. Un produit haut de gamme apporte de la marge supplémentaire sur une structure de coût inchangée, ce qui est très attractif; à l’inverse, un produit en descente de gamme “mange” la marge sur une structure de coût inchangée, ce qui n’est pas attractif. Les entreprises sont donc facilement victimes de ce que Christensen appelle “la rupture par le bas“. Au bout d’un certain temps en effet, lorsque le leader d’un marché monte ainsi en gamme, il finit toujours par se faire attaquer par une offre bas de gamme. Dans l’automobile, ce fut notamment le cas aux Etats-Unis: alors que Ford avait basé son développement sur le modèle T, trois fois moins cher que ses concurrents, la marque avait progressivement abandonné ce segment pour le moyen et haut de gamme. Dans les années 70, les Japonais envahissent le marché par le bas, et les fabricants américains s’avèrent incapables de répondre en proposant leurs propres modèles. Une fois installés, les fabricants japonais sont inévitablement montés en gamme jusqu’à produire des voitures de luxe comme la Lexus. Ils furent ensuite eux-même attaqués par les Coréens.

Je suis une rupture à moi toute seule! (Source: Wikipedia)

C’est dire si le lancement de la Logan est important: il constitue un rare cas d’une entreprise qui tente de résister à la fuite vers le haut de gamme en proposant le premier modèle à 5000 Euros. Renault est cependant familier du fait: la Twingo était déjà une tentative, réussie, de conserver une présence dans ce segment, mais la voiture n’a jamais été rentable! Elle constitue donc presque une preuve de la difficulté de rester sur ce segment. Pour que le projet Logan soit rentable, l’entreprise a totalement revu ses méthodes de conception et de production (voir mon billet à ce sujet et le livre de Christophe Midler sur le projet Twingo). Comme dans le cas de la Twingo, la résistance organisationnelle à la descente en gamme a été très forte, et le projet n’a été jusqu’au bout que grâce à l’insistance du PDG Louis Schweitzer lui-même. Celui-ci raconte en effet que la direction financière de Renault lui avait démontré, chiffres à l’appui, que la logan ne gagnerait jamais d’argent. Aujourd’hui, le segment low cost de Renault, appelé pudiquement “Global Access”, représente 35% des ventes du groupe et un pilier de sa profitabilité.
On lira avec intérêt l’entretien que Kenneth Melville, le designer écossais de la Logan, avait accordé à BusinessWeek où il explique comment les difficultés de produire une voiture à si bas prix tout en restant rentable ont été résolues grâce à une approche particulière du design.

Pour en savoir plus sur la rupture par le bas, voir mon ouvrage “Relevez le défi de l’innovation de rupture“.

[Mise à jour décembre 2019] Le “père” de la Logan, Gérard Detourbet, est décédé. En savoir plus ici sur cet innovateur de rupture inconnu du grand-public.

[Mise à jour avril 2011]: ce billet posait initialement la question en termes d’opposition entre innovation radicale et innovation continue. Les travaux récents de Christensen insistent sur le fait que l’opposition pertinente est plutôt entre innovation continue et innovation de rupture. La distinction est qu’une innovation peut être radicale (c’est à dire très fortement novatrice) mais pour autant correspondre assez bien au modèle économique de l’entreprise. Une innovation est de rupture lorsqu’elle s’accompagne d’un modèle économique nouveau, souvent incompatible avec le modèle existent de l’entreprise, ce qui explique la difficulté. Voir mon billet plus récent sur cette opposition continue/rupture.

Renault : l’auto qui n’existait pas ou l’histoire de la Twingo

En ces temps de passation de pouvoir entre Louis Schweitzer et Carlos Ghosn, qui sont l’occasion d’une juste célébration du travail impressionnant effectué par ce dernier (et son équipe) au Japon avec Nissan, il est peut-être bon de rappeler que Renault fut, dans les années 80, pionnier d’une approche radicalement nouvelle de la conception et de la fabrication de voitures. C’est ce que raconte un livre paru… en 1993, et intitulé “l’auto qui n’existait pas“.

Ecrit par Christophe Midler, directeur du Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique, L’auto qui n’existait pas raconte l’histoire de la genèse et du déroulement du projet Twingo. L’auteur a littéralement vécu au sein de l’entreprise pour suivre le projet dès 1989 jusqu’à la sortie de l’auto en 1993. Dès la fin des années 70, Renault cherche un successeur à la fameuse Renault 5. Il s’agit pour Renault de rester dans l’entrée de gamme. Plusieurs projets sont lancés, puis arrêtés. Le contexte difficile que vit l’entreprise dans les années 80 (pertes, climat social, puis assassinat de son PDG) n’est pas propice à la prise de risque. Finalement, le projet qui deviendra Twingo “émerge” à la suite d’un long cheminement. Surtout, l’approche choisie est totalement nouvelle: l’entreprise adopte un mode projet, alors que jusque-là les voitures étaient conçues par étapes, avec une organisation fonctionnelle: bureau d’étude, fabrication, etc. Avec la Twingo, un projet ad-hoc regroupe les compétences et est placé sous la direction d’un chef de projet rendant compte directement au plus haut niveau de l’entreprise. Autre fait nouveau, la voiture est définie avec des contraintes “à rebours”, à la japonaise: un objectif de prix et de rentabilité est fixé, et le projet sera annulé s’il n’est pas capable de le respecter. Du coup, les méthodes de travail sont revues, le choix de l’usine elle-même est conditionné – plutôt qu’une usine flambant neuve, on partira d’une ancienne usine que l’on modernisera sur certains points seulement, en conservant un avantage coût/bénéfice maximal. De même, les fournisseurs, hier simples exécutants, sont étroitement associés et invités à adopter une approche créative pour remplir les objectifs de coûts. C’est l’ensemble de l’approche qui est complètement revue., désormais totalement intégrée

Ni livre de management, ni manuel universitaire, le livre est une “histoire conceptualisée”. Dans la première partie, l’histoire du projet est raconté dans le détail. Dans la seconde, une analyse des implications est menée. Celle-ci montre bien que l’innovation, ce n’est pas seulement sortir des produits techniquement supérieurs, c’est aussi innover sur ses méthodes. L’approche projet et la prise en compte en amont d’objectifs économiques sont ainsi à l’origine d’une révolution de la conception, et, au-delà, du management industriel et de l’organisation. La Twingo permettra à Renault, gràce à son succès, de garder pied dans l’entrée de gamme, et ce de manière profitable.
Le livre sur Amazon: L’auto qui n’existait pas