Ce que Keith Richards nous apprend sur les vertus des conflits dans l’organisation

Le conflit a mauvaise presse. Quand on songe à l’invasion de l’Ukraine, on comprend aisément pourquoi. Nous aimerions vivre dans un monde débarrassé de conflits, y compris au sein des organisations. Mais est-ce si sûr? Et si les conflits, dès lors qu’ils ne dégénèrent pas en violence, étaient au contraire nécessaires à notre vie en collectivité ? Et si ils en étaient même la principale source d’énergie? C’est ce que suggère Keith Richards, légendaire guitariste des Rolling Stones, et en cela penseur inattendu du management.

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Le créosote, ce manager performant qui détruit votre entreprise

Je continue à étudier les facteurs de déclin des entreprises. Après avoir évoqué le silence imposé aux employés et les talents qui n’en sont pas, regardons aujourd’hui le manager créosote, ou manager toxique, celui qui tue tout autour de lui pour s’épanouir. Le créosote peuple à peu près toutes les entreprises que je rencontre et qui ont tant de mal à innover. N’y aurait-il donc pas un lien de cause à effet?

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Ce n’est pas à la créativité qu’il faut former nos étudiants, mais à l’innovation

Je réagis à un fort intéressant article du journal Le Monde qui souligne que la créativité est le nouveau crédo des grandes écoles. Former nos étudiants à être plus créatifs, c’est forcément une bonne idée, n’est-ce pas? En fait, non, loin s’en faut: la créativité ce n’est pas l’innovation, or c’est d’innovation dont ont besoin nos entreprises, pas de créativité.

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Effectuation: Pourquoi la décision entrepreneuriale est de nature créative

On admet facilement que les entrepreneurs sont créatifs. On parle d’ailleurs de “créateurs” d’entreprise, mais on ne sait pas vraiment pourquoi. On imagine simplement qu’étant entrepreneurs, ils doivent nécessairement être créatifs. Or la créativité des entrepreneurs ne vient pas de qui ils sont, aucune étude ne montre qu’ils sont naturellement plus créatifs que les autres, mais de ce qu’ils font. Regardons comment.

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Le désir de création est universel: tout le monde peut être entrepreneur

On ne compte plus les études qui cherchent à cerner le profil des entrepreneurs, qui cherchent à comprendre ce qui les motive et, surtout, ce qui les caractérise. Car bien sûr, nous voulons plus d’entrepreneurs. Si nous les comprenons mieux, nous serons capables de transformer plus facilement des gens “normaux” en des entrepreneurs, et tous nos problèmes économiques et sociaux seront réglés. C’est mal poser le problème. Pour comprendre pourquoi, il nous faut faire un petit détour en Ardèche, plus exactement près du village de Vallon-Pont-d’Arc. C’est ici que se situe la Grotte de Chauvet, ornée de 420 représentations d’animaux datant du paléolithique, soit il y a plus de 31.000 ans.

La psychologie, et en particulier le fameux modèle de la pyramide de Maslow, nous dit que l’être humain hiérarchise ses besoins: il cherche d’abord à satisfaire ses besoins physiologiques (manger, boire, dormir, etc.) avant de satisfaire les besoins de sécurité, d’appartenance, de confiance et enfin ceux relatifs à l’accomplissement personnel. Rien de plus évident? Rien de plus faux, en fait, et c’est la grotte de Chauvet qui le montre. Voilà des hommes avec lesquels nous n’avons presque rien en commun, vivant proches de l’état animal, confrontés chaque jour au froid, à la faim, à la maladie et à la mort, et qui, malgré tout, trouvent le moyen de peindre des fresques d’une beauté inouïe, capable des nous émouvoir plus de 30.000 ans plus tard! Ne pouvaient-ils pas attendre d’avoir un pavillon et une voiture avant de s’intéresser à l’art? Apparemment non. Il y a une leçon dans cela: les êtres humains veulent créer. D’une manière ou d’une autre. Ce désir est universel. Il existe en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances, même s’il peut prendre des formes infiniment différentes. Comme je l’ai indiqué dans un billet précédent au sujet des boîtes à idées, la question n’est donc pas comment susciter le désir de créer, mais plutôt comment cesser de l’étouffer. Tout le monde peut être entrepreneur, d’une façon ou d’une autre. Dans un autre billet, je m’interrogeais sur la motivation de l’entrepreneur. Alors que les ouvrages économiques expliquent systématiquement la création d’entreprise par l’appât du gain, j’évoquais la possibilité que cette motivation provienne d’un besoin de reconnaissance de l’individu au sein de la société, mais je montrais aussi les limites d’une telle explication. Peut-être plus que le désir de reconnaissance, c’est donc peut-être plutôt le désir de créer quelque chose de nouveau qui anime l’entrepreneur, rejoignant en cela l’artiste. Pour reprendre la citation de S. Sarasvathy, “L’entrepreneur transforme une idée en un artefact social.” Ainsi l’entrepreneuriat n’est pas une affaire de maximisation de profit, mais de création d’artefacts sociaux: entreprise, marché, produit, idées, œuvres.

Manager la créativité: innover en s’inspirant de Pixar, Ducasse, Jean Nouvel, Hermès…

Qu’ont en commun Pixar, Alain Ducasse, les ateliers Jean Nouvel, le Design Renault et Hermès? Ce sont toutes des organisations dont la raison d’être est la créativité, et qui ne peuvent donc survivre, sans même parler de performance, qu’en maintenant leur capacité créative. A l’heure où l’innovation est dans toutes les bouches, leur réussite intrigue et il est étonnant que ce type de structure n’ait pas plus fait l’objet d’études. Cette lacune est désormais comblée avec l’ouvrage de Thomas Paris: Manager la créativité: innover en s’inspirant de Pixar, Ducasse, Jean Nouvel, Hermès…récemment paru chez Pearson. Enseignant à HEC et chercheur au CNRS et à l’École polytechnique (Centre de Recherche en Gestion), Thomas Paris anime depuis plusieurs années un séminaire sur les industries créatives dans le cadre de l’Ecole de Paris. C’est de ce séminaire qu’est tiré le livre.

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Le dilemme créativité – discipline en innovation: le cas de 3M

Un thème récurrent de l’entrepreneuriat est celui de l’équilibre difficile entre créativité et discipline. Très souvent et par définition, les startups font preuve de créativité mais éprouvent des difficultés à traduire cette créativité en création de valeur, et ont du mal à se structurer lors qu’elles grandissent. Un manque de discipline compromet alors leur croissance à long terme. Les entreprises établies, au contraire, ont des systèmes de gestion relativement bien établis et clairement définis. Elles disposent d’une bonne capacité de management opérationnel et à l’amélioration continue de leurs lignes de produits, mais elles éprouvent des difficultés à maintenir, voire à renouveler, leur capacité créative, pourtant seule source de croissance à long terme.

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Être plus innovant: Le mythe de la boîte à idée

Les mythes ont la vie dure et parmi les mythes les plus durables de l’innovation figure celui de la boîte à idée. Nous ne sommes pas assez innovants? Créons une boîte à idée où chacun pourra faire part de l’idée qui améliorera nos performances, voire transformera notre entreprise en leader dans son domaine ou, mieux encore, lui ouvrira de nouveaux horizons. J’ai ainsi rencontré récemment deux très grandes entreprises, l’une dans un secteur technologique, l’autre dans celui du service, qui avaient mis en place un tel système. Bien sûr, l’informatique permet désormais de créer des boîtes à idées ultra-sophistiquées: un système à base de Web au design sympa ou l’administrateur peut suivre les suggestions en temps réel, organiser des votes, classer les suggestions, calculer des statistiques, etc.

La boîte à idée est indéniablement intéressante à plusieurs égards: d’abord elle permet effectivement de collecter des idées intéressantes qui peuvent dormir au sein des équipes. Ensuite, elle peut créer un sentiment collectif autour de l’innovation en montrant clairement que l’entreprise souhaite innover et qu’elle compte sur ses employés pour cela. L’effet d’émulation peut aussi jouer au niveau individuel comme au niveau des départements et unités d’affaire (vous avez vu la compta? Pas une idée depuis un mois!)

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Innovation, créativité: comment bâtir l’entreprise innovante selon Business Week

Un article très intéressant de BusinessWeek intitulé “Get creative – How to build innovative companies” souligne l’importance croissante de l’innovation dans l’économie actuelle, et plus particulièrement du design qui est présenté comme l’enjeu majeur des prochaines années. L’argument est qu’à l’économie du savoir va succéder l’économie de la créativité. Voici pourquoi.
Selon l’article, les travaux qui font appel à l’aspect analytique de l’activité industrielle, comme l’écriture de logiciels, la comptabilité et tous les services de ce type, ce qu’on peut appeler les activités de “partie gauche” du cerveau, sont de plus en plus sous-traitées dans les pays émergents. Le nouveau coeur de métier qui émerge est donc constitué des activités de “partie droite” du cerveau, en un mot, tout ce qui fait appel à la créativité. Oubliez les maths et l’ingénierie, bienvenue à l’imagination et l’innovation.
Derrière ce phénomène se développe la banalisation de la connaissance. Aujourd’hui, n’importe quel pays peut fabriquer une voiture, une chaîne hi-fi ou une fusée. Les pays occidentaux ont longtemps cru qu’ils se protégeraient avec leurs universités, leurs grandes entreprises, et d’une manière générale leur focalisation sur le haut de gamme et la valeur ajoutée (sauf peut-être la France qui fonde encore beaucoup d’espoirs sur la vache laitière).
Mais cela ne suffit plus. L’Inde compte plus de scientifiques de haut niveau que les États-Unis, sans parler de la Chine. D’où l’importance de la créativité. Ce qui compte désormais, c’est de créer des “expériences clients“, pas simplement des produits. L’expérience client, c’est ce qui fait la différence entre un iPod d’Apple, et les dizaines d’autres baladeurs numériques techniquement semblables, mais au fond tellement différents. L’expérience client, c’est Zara dont nous parlions dans un post précédent. La clé de cette approche réside dans la proximité – voire l’intimité – avec le client. C’est cette proximité qui va permettre d’innover en collant aux attentes des utilisateurs, voire en les anticipant.
BusinessWeek n’hésite pas à affirmer qu’une nouvelle génération de gourous est en train d’émerger sur cette question, au point d’éclipser la génération précédente, représentée par Clayton Christensen, abondamment cité sur ce blog. Selon l’article, Christensen se préoccupe d’innovation “macro”, c’est à dire les innovations radicales, alors que l’important désormais serait l’innovation micro: mieux comprendre ses clients, augmenter la créativité, améliorer les produits, etc.

L’article a raison de souligner la tendance à l’égalisation des chances en matière de connaissances. La Chine et L’Inde, mais aussi la Corée du Sud sont au meilleur niveau scientifique et technique, cela ne fait plus aucun doute. Il a bien sûr raison de souligner l’importance de l’innovation pour résister aux pays à faible coût de main d’œuvre. Mais il se trompe sur plusieurs points:

  • Il est faux de dire que Christensen ne se préoccupe que de “macro” innovation. En fait, Christensen se préoccupe depuis toujours d’une chose, c’est de comprendre pourquoi les grandes entreprises n’innovent pas. On peut certes débattre à l’infini sur la distinction innovation radicale/innovation incrémentale, mais la question de fond demeure. Les entreprises, selon lui, n’innovent pas parce qu’il n’est souvent pas rationnel pour elles d’innover. L’innovation radicale appelle donc à une gestion différente.
  • Il est faux de prétendre que l’innovation est uniquement une affaire de créativité. Depuis longtemps, on sait que les entreprises ne manquent pas d’idées. Chacun en a dix par jour. Pourquoi ces idées restent-elles coincées dans le magma organisationnel? Là est la vraie question. On ne peut pas distinguer la question de l’innovation de celle de l’organisation. L’article de BusinessWeek vante les mérites de gourous qui organisent des séminaires de créativité pour CEOs: on est là dans la caricature éculée de l’innovation, celle du “Eureka!” mythique. Isolons le PDG dans une station de ski, et le miracle créatif se produira. Pourquoi le PARC, Palo Alto Research Center, certainement le laboratoire de recherche qui a produit le plus d’inventions fondamentales de l’informatique moderne n’a-t-il jamais réussi à en commercialiser une? Ce n’était guère un problème de créativité.
  • Bien sûr le design est important. L’iPod l’a bien montré qui ne doit son succès qu’au design. Mais il ne tient pas lieu de politique d’innovation.
  • Il n’est pas pertinent d’opposer cerveau gauche et cerveau droit. L’innovation ne porte pas seulement sur les produits, elle porte aussi, et souvent, sur les méthodes de conception et de fabrication. L’innovation, c’est ce qui fait que Sagem peut encore fabriquer des téléphones en France, que Tefal a mis la pilée à tous les fabricants d’appareils électro-ménager durant des décennies, en faisant tout fabriquer en France et que Swatch a non seulement résisté aux montres japonaises, mais a réussi à créer un segment, la montre de mode, d’où ils sont totalement exclus. Dans chacun de ces exemples, le design était crucial, mais il venait en complément d’un ensemble allant de la conception à la fabrication.

Une fois cela dit, la proximité avec les clients est un domaine important de recherche actuellement autour de notion d’innovation par l’usage et de “lead user“. L’idée est d’intégrer des utilisateurs pionniers dans le processus d’innovation, mais aussi que souvent, les innovations viennent des utilisateurs eux-mêmes. On lira avec intérêt les travaux d’un spécialiste du domaine, Eric Von Hippel, dont les livres sont en téléchargement gratuit sous licence Creative Commons.
Bref, l’innovation, un sujet chaud.