George Smiley, ou pourquoi votre organisation a besoin de ringards

Le management est obsédé par le leadership, mettant en avant le “modèle d’Alexandre”, celui du héros courageux qui montre le chemin et tranche les problèmes. Et si les organisations avaient plutôt besoin de caractères plus modestes, de gens qui font simplement bien leur travail sans chercher à coller à l’air du temps? Comme George Smiley, le héros de John Le Carré?

George Smiley est un héros improbable, à l’opposé de son compatriote James Bond. Petit, bedonnant, peu sportif et myope, il est l’un des employés grisâtres du Cirque, le service secret britannique dans les années 60. Tandis que Bond parcourt le monde au bras des plus jolies filles, Smiley est un cérébral qui compulse les dossiers et s’essouffle au moindre mouvement. Sa femme, la jolie Ann, le trompe ouvertement, et avec son idole et ami d’enfance, le fameux Bill Haydon, étoile montante du service. Après une honorable carrière, il se fait finalement évincer à la suite d’une révolution de palais lorsque son mentor, le fameux Control, chef du service, déjà sur le déclin, rate de façon spectaculaire une opération clandestine en Tchécoslovaquie.

Exit les ringards, lutteurs de la guerre froide et place aux modernes, heureux de la détente qui s’annonce en cette fin des années 60. De sa retraite, où il étudie d’obscurs poètes allemands du Moyen-Âge, Smiley contemple la nouvelle génération désormais à la tête du service, sa réorganisation, ses changements d’hommes à tous les niveaux, et il perd peu à peu contact avec la nouvelle organisation.

Le ringard à votre service (Source: Wikipedia)

La nouvelle équipe produit rapidement des résultats. Sensible à l’air du temps, qui est à la détente, elle évite les opérations hostiles et sait se faire bien voir des autorités politiques en comprenant bien leur objectif principal: surtout pas de vagues. Coup de maître, elle réussit même à trouver une source au plus profond de l’appareil de gouvernement soviétique et produit des renseignements de grande valeur. Sa réussite est spectaculaire.

Jusqu’au jour où… jusqu’au jour où un ministre appelle discrètement Smiley, le ringard exilé, et le sort de sa retraite: le gouvernement est persuadé que la fameuse source est un agent double et qu’il y a une taupe au plus haut niveau du cirque, et que seul Smiley peut la démasquer. Ce que ce dernier fera au cours d’une traque épique et tout à fait fascinante.

Le retour de l’exilé, du ringard, pour nettoyer les écuries de ceux qui l’avaient évincé au nom de la modernité, est une marque de fabrique des premiers romans de Le Carré. Sans doute, dans une période de ruptures où l’on oppose sans arrêt les anciens et les modernes, ceux qui sont pour le changement et ceux qui sont contre, cette parabole est-elle utile pour montrer que les choses sont sans doute plus compliquées que cette opposition binaire et qu’avant de qualifier de ringards ceux qui expriment des doutes face à une évolution jugée inéluctable, il faut imaginer que l’on aura sans doute encore besoin d’eux pour longtemps.

La source pour cet article: “John Le Carré, La taupe“. Toujours dans la littérature, voir également Gletkin, héros du zéro et l’infini d’Arthur Koestler, dans mon article “Innovation: Comment les petits Gletkin tuent vos meilleures intentions”. Voir également Quand ses “talents” empêchent l’entreprise d’innover.

📬 Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à vous abonner pour être averti des prochains par mail (“Je m’abonne” en haut à droite sur la page d’accueil). Vous pouvez également me suivre sur linkedIn et sur Twitter.

4 réflexions au sujet de « George Smiley, ou pourquoi votre organisation a besoin de ringards »

Les commentaires sont fermés.