Quel intitulé donner à votre fonction d’innovateur?

C’est un conseil un peu inhabituel que m’a demandé l’un de mes amis récemment: il doit signer une offre de poste dans une grande entreprise pour prendre en charge l’innovation. Et on lui a demandé quel intitulé il voulait pour ce poste. C’est une question qui n’est pas si anodine que cela.

Je ne savais pas trop quoi répondre. En un sens, je me suis dit que ça n’avait pas grande importance. Pourquoi pas un classique “Directeur de l’innovation”? mais en y réfléchissant, j’y ai vu plein d’inconvénients. Je lui ai donc d’abord demandé ce que son job impliquait. En gros, m’a-t-il dit, on me demande de faire. Beaucoup de gens parlent d’innovation dans cette entreprise, mais ils recherchent quelqu’un qui sera capable de mener des projets au bout. Mais ce quelqu’un doit aussi diffuser cette culture de l’innovation et ses pratiques.

Situation finalement très classique: l’innovation est partout… dans les discours, mais rien ne se passe. Après discussion, nous sommes convenus qu’il éviterait le terme “innovation”. Trop galvaudé, trop associé au petit jeune en T-shirt à qui on vient de payer un “Lab” tout neuf, qui mène des expérimentations en mode agile qui ne débouchent jamais sur rien et qui finit par se mettre à dos toute la boîte, et en particulier ceux qui, traités de vieux crocodiles, font quand-même vivre l’entreprise au quotidien.

On a aussi évité les titres ronflants post-modernes, de type, tenez-vous bien, d'”innovation catalyst”. Là l’idée est qu’il vaut mieux avoir un titre relativement modeste, et délivrer du concret, qu’un titre ronflant qui place la barre tellement haut qu’elle devient invisible et inatteignable.

Prudence, donc, vis à vis de l’intérieur, mais la question se posait également vis à vis de l’extérieur. Le soucis de mon ami était qu’il soit crédible auprès des startups avec qui il allait devoir nouer contact pour faire avancer les projets. “Si je n’ai pas l’air assez sénior, ils risquent de ne pas répondre à mes sollicitations” résumait son inquiétude. Là j’ai repris ma casquette d’ancien entrepreneur ayant beaucoup travaillé avec des grandes entreprises. Le souvenir que j’en ai est que la source principale de frustration d’un entrepreneur dans sa relation avec une grande entreprise est de devoir travailler avec quelqu’un qui n’est pas motivé et qui n’a pas de pouvoir, ce que nous appelions à l’époque “le retraité de chez Bull”. Vous l’avez tous croisé celui-ci: après une longue carrière dans la grande entreprise, on ne sait plus trop quoi faire de lui, mais on l’aime bien parce qu’il a lancé avec succès le mythique produit DXST280 en 1974, alors on le met aux relations extérieures. Il va représenter l’entreprise dans les réunions du cluster et du pole, il rencontre les startups, etc. Il est souvent très gentil et plein de bonne volonté, il a un titre super ronflant, mais il ne fait jamais rien aboutir.

Ce n’est donc pas une question de titre, mais de levier interne. Au final encore une fois, il vaudra mieux avoir un titre relativement banal, comme directeur des marchés émergents, ou des nouveaux marchés, ou des nouveaux projets, et bien s’assurer de son ancrage interne pour éviter le syndrome des entités innovations: beaucoup de bruit pour pas grand-chose.

Lire mon article sur les entités innovation ici: Créer une entité innovation dans votre entreprise: une fausse bonne idée? Voir également “Quatre conseils à un jeune responsable innovation” auxquels pourrait s’jouter désormais le conseil quant à l’intitulé de la fonction…

9 réflexions au sujet de « Quel intitulé donner à votre fonction d’innovateur? »

  1. Ma proposition : “Directeur de la maïeutique”.

    Directeur, parce que c’est un titre qui donne de la légitimité, en interne comme un externe.
    Maïeutique, parce que c’est l’activité qu’il exerce : faire accoucher les idées, leur donner une réalité. En plus le mot me semble assez étrange pour susciter de l’intérêt : “Qu’est-ce donc que la maïeutique ?”, tout en étant facile à comprendre et mémoriser.

  2. Directeur de la poïétique tant qu’on est dans le grec ancien ;o)
    “Directeur des nouveaux marchés” voire de la diversification (cf. Matrice de Ansoff) parait suffisant si l’entreprise prône l’humilité, d’autant plus s’il y a une équipe R&D traditionnelle qui traite de l’innovation incrémentale.
    L’ancrage interne est essentiel pour éviter tout rejet de la greffe avant même qu’elle n’ait eu le temps de porter ses fruits. il faut s’acheter une légitimité pour lui et son équipe (s’il n’est pas tout seul) dans un premier temps en dehors des buzzwords.

  3. Excellente question, d’autant qu’on observe que les Directeurs de l’innovation ont parfois du mal à trouver une position si ce n’est une légitimité transversale. Je préconiserais “Directeur de l’exploration” ou mieux “Facilitateur de l’exploration” car avant tout il s’agit d’aider tout collaborateur à explorer de nouveaux espaces …. Ainsi l’innovateur devient explorateur/pionnier, défi motivant, passionnant et responsabilisant s’il en est !

  4. Tout à fait en accord avec Severine, le simple titre de directeur a une connotation presque antinomique avec l’idée d’innovation. A mon sens en tout cas. L’innovation ne se décrète pas mais relève plus d’une intention partagée, d’une posture, d’essais-erreurs…

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