Cinq ans après l’éclatement de la bulle, et alors que les valeurs Internet reviennent progressivement en grâce, le monde de la création d’entreprise semble à peine se remettre de ce choc gigantesque. De l’euphorie Internet ne semble en effet rester aujourd’hui que la chronique judiciaire des dépôts de bilan, licenciements, espoirs brisés et retours à la vie de salarié. La bulle n’aurait été qu’une grande période de folie, une espèce de mai 68 du business dont les Sartre modernes pourraient dire, comme le maître l’avait dit de 68: “on a beaucoup déconné”, mais sous-entendu, on s’est bien marré, revenons aux choses sérieuses. Comme toute période de folie, elle a également ses perdants, voués aux gémonies, accusés de tous les maux, chargés de tous nos pêchés. Perdant en chef: Jean-Marie Messier. Tous ceux qui lui ont mangé dans la main prenant un malin plaisir à le décrier, aujourd’hui qu’il n’a plus de carnet de chèque dans la poche. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain?
Certainement pas, et en plus cette impression est trompeuse. La bulle Internet fut une période extraordinaire d’excitation et d’optimisme, comme notre pays en a rarement connu, et je suis de ceux qui pensent qu’elle a durablement changé le paysage économique de notre pays, pour son plus grand bien. Ceux qui ont eu la chance de vivre cette période se souviennent qu’au moins, on passait plus de temps à imaginer l’avenir qu’à se plaindre, vieille tradition française.
Qu’il y ait eu des excès, des rêves fous, des start-ups basées sur des concepts bidons et même des escrocs ne fait aucun doute. Que beaucoup de créateurs aient plus été attirés par la possibilité de devenir riche vite que par l’envie de créer – ce qu’on a appelé “l’économie casino” – non plus. Mais si spéculateurs, bonimenteurs, escrocs et touristes accompagnent toujours les ruées vers l’or, ils ne doivent pas pour autant en être les symboles et masquer les vrais acteurs de cette période fabuleuse. Merci donc à tous ceux qui y ont contribué, y compris Jean-Marie Messier. L’homme au chèque facile a injecté de l’argent dans plein de startups, directement ou via des contrats. Ma société, Digital Airways, a décollé grâce à ces contrats, et j’ai au moins la reconnaissance du ventre. C’était au temps où les grandes entreprises n’avaient pas peur de signer le mardi avec une startup qu’ils avaient rencontré le lundi. De nos jours, on parle référencement pendant six mois dans un contexte de diminution du nombre de fournisseurs qui de facto éjecte les petites structures du système. Celui-ci est redevenu “sérieux”, ultra-normalisé et les professionnels sont de nouveaux aux commandes, mais à quel prix?
Messier n’avait pas non plus peur de rêver, quitte à déconner franchement. Mais l’un peut-il aller sans l’autre? n’est-on pas tombé dans l’autre extrême, à l’heure où la seule fantaisie pour une entreprise, c’est de racheter ses actions?
Que garder alors de cette période ? Certainement l’envie d’entreprendre, qui est devenue socialement respectée en France. Si la bulle a servi à quelque chose, c’est en effet au moins à donner l’envie, à toute une génération, de prendre son avenir en main et d’entreprendre. Particulièrement en France, le fait que, durant quelques années, les héros aient été, non pas ceux qui obtenaient un job anonyme dans une entreprise prestigieuse à la sortie d’une grande école, mais ceux qui lâchaient tout pour créer une société, est réellement révolutionnaire. Au plus haut de la folie, durant quelques mois, l’establishment a réellement tremblé, voyant ses meilleurs éléments le quitter sans état d’âme. Il faut se souvenir de témoignages désespérés de DRH de cabinets de conseils de l’époque. Voilà qui en disait long sur l’attractivité des-dites entreprises, le Roi était nu. Les leçons ont-elles été tirées par ces DRH? Probablement pas.
Nous sommes actuellement dans une période de reflux, comme après toute période révolutionnaire, avec un retour à l’ordre bonapartiste: les touristes sont repartis, les grandes entreprises attirent de nouveau les élites; mais au moins le mal est fait: créer une boîte, c’est devenu cool. Ca, en France, c’est vraiment un résultat!
Merci pour ça, Jean-Marie, et reviens-nous bien vite!
3 réflexions au sujet de « Vive la bullet Internet, et merci Jean-Marie! »
Merci pour ce très bon post 🙂
Les enfants de mai son de retour, on les voit sortir du maquis numérique …
Je te laisse un complément :
http://www.blogwaves.com/2005/01/un_nouveau_mai_.html
http://www.blogwaves.com/2005/01/demain_commence.html
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