Enseigner l’effectuation: quelques principes et un retour d’expérience

J’ai découvert l’Effectuation, une nouvelle théorisation de la pensée entrepreneuriale, en 2004, et j’ai eu l’occasion de l’enseigner plusieurs fois, et au début j’ai trouvé l’exercice difficile (voir mon billet sur l’Effectuation pour une introduction à cette théorie). Pas facile, en effet, d’enseigner une théorie qui prend à rebrousse-poil tous les bons principes bien logiques que l’on enseigne dans les écoles de commerce en défendant l’idée qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une grande idée pour commencer, qu’il n’est pas très important d’analyser la concurrence, que les objectifs émergent à partir des moyens disponibles et non l’inverse, qu’une opportunité n’existe pas dans l’absolu, mais qu’elle se construit de manière très personnelle, et qu’un projet viable passe avant tout par l’établissement de liens avec des parties prenantes qui s’investissent dans votre projet.

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Entrepreneuriat, risque et incertitude: l’apport de l’économiste Frank Knight

On entend souvent dire que les entrepreneurs aiment prendre des risques, alors qu’en fait, s’ils en prennent, ils essaient de les contrôles. Ils sont comme le cascadeur Rémi Julienne qui remarquait: “Mon métier consiste à minimiser les risques.” Mais surtout la notion de risque ne caractérise pas correctement l’environnement dans lequel les entrepreneurs agissent lorsqu’ils créent un nouveau marché.

Pour caractériser cet environnement, l’économiste Frank Knight a introduit une distinction entre risque et incertitude. Utilisant le vocabulaire des probabilités, Knight définit le risque comme un futur dont la distribution d’états possibles est connue. Par exemple, si l’on met trois boules vertes et deux boules rouges dans une urne, on connaît le ‘risque’ de tirer une boule verte (60%). L’incertitude ‘knigthienne’, en revanche, correspond à un futur dont la distribution d’états est non seulement inconnue, mais impossible à connaître: on ne connaît pas le nombre de boules à l’intérieur de l’urne, et encore moins leurs couleurs, on ne sait d’ailleurs même pas s’il y a des boules et s’il y a une urne. Cette incertitude est objective : elle ne tient pas au manque d’information ou à l’incompétence de l’observateur mais à la nature même du phénomène.

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Risque, vision, prévision et héroïsme: Quatre mythes de l’entrepreneuriat

L’un des intérêts de l’Effectuation, la logique d’action des entrepreneurs souvent évoquée dans ce blog, est qu’elle remet en question quatre mythes sur l’entrepreneuriat: le fait que les entrepreneurs aiment le risque, le fait qu’ils soient visionnaires, le fait qu’ils soient experts à prédire l’avenir et, surtout, le fait qu’ils soient différents de nous. Revenons sur ces mythes…

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Effectuation: Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment

Comment se crée une entreprise ? Très simple ! Un entrepreneur visionnaire a une grande idée ou identifie un grand problème ; il rédige un business plan, lève de l’argent auprès d’un investisseur, crée son entreprise, rassemble une équipe et se lance, pour conquérir le monde. Pour être entrepreneur, il faut donc être créatif et visionnaire, ambitieux, persévérant, dynamique, courageux, être un vrai leader, charismatique si possible, mais aussi bienveillant et ouvert aux autres, et plein d’autres choses encore. En bref, un super-héros. C’est simple… mais c’est faux ! Ou du moins ça se passe très rarement comme ça.

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100 000 entrepreneurs: Transmettre la culture d’entreprendre aux jeunes

100 000 entrepreneurs est une association fondée et dirigée par Philippe Hayat en octobre 2006 dont l’objectif est de semer dans la tête des jeunes générations l’idée qu’entreprendre peut être une source d’opportunités et d’épanouissement. Son objectif est donc de transmettre la culture d’entreprendre aux jeunes en organisant des témoignages bénévoles d’entrepreneurs dans les établissements scolaires, de la 3ème à l’enseignement supérieur. Simple, efficace et loin des grands programmes technocratiques.

Quand on sait que le véritable frein au développement de l’entrepreneuriat en France est culturel, on ne peut qu’encourager cette initiative. Pour en savoir plus: http://www.100000entrepreneurs.com/qui.php.

 

Adapter la formation de nos ingénieurs à la mondialisation: l’occasion ratée de l’Institut Montaigne

Voici un rapport extrémement intéressant de l’Institut Montaigne sur un sujet essentiel: l’adaptation de la formation de nos ingénieurs à la mondialisation. Le rapport fait dix recommandations, parmi lesquelles la création d’incubateurs, la généralisation des cours en anglais, les échanges inter-écoles, et la mise en place de modules consacrés à la création d’entreprise.

On n’aura rien contre ces propositions. Toutes ont un sens. On aura seulement deux regrets. Le premier c’est que beaucoup de ces mesures sont déjà développées dans nombre d’établissements. Les cours d’entrepreneuriat se multiplient, les cours en anglais aussi, sans parler des incubateurs. Le second regret est que ces mesures sont bien timides. Les auteurs du rapport se sont-ils demandés quel était, à la base, le problème? Pourquoi nos ingénieurs ne créent-ils pas plus d’entreprises? Est-on certain qu’un cours en anglais et un incubateur régleront le problème? Probablement pas car celui-ci trouve sa source beaucoup plus en amont. Le problème de l’entrepreneuriat en France est culturel et le mode de sélection de nos ingénieurs en est l’illustration flagrante. Dès la plus petite enfance, nous conditionnons les enfants pour accéder aux meilleurs écoles dans un contexte de concurrence individuelle exacerbée. Celle ne fait que s’accentuer pour culminer dans l’enfer des classes prépas, entreprise d’abrutissement collective dans laquelle on apprend aux élèves, tels des soldats, à résoudre de manière réflexe des problèmes compliqués, mais pas complexes, et surtout parfaitement définis dans lesquels il n’existe qu’une seule solution, qu’ils doivent découvrir. Durant ces deux – souvent trois – années, ces élèves ne sortent pas à la lumière du jour, la terre pourrait s’arrêter de tourner qu’ils ne s’en apercevraient pas, tout entier concentrés sur l’effort supplémentaire qui leur permettra de gagner une place, celle qui fera la différence entre l’école A – tant désirée – et l’école B – tant redoutée, bien qu’il ne connaissent en fait ni l’une ni l’autre. Tout entiers concentrés sur la concurrence contre l'”autre”, celui qui leur prendra leur place dans la fameuse école A.

Une fois le concours passé, nous les récupérons en cours. Ils n’ont jamais, horreur, fait un stage dans une entreprise. Ils n’ont même d’ailleurs jamais vu d’entreprise en vrai, sauf leur boulanger peut-être. Ils ne savent pas ce qu’est un bilan ou un compte de résultat. Ils ne supportent pas les questions auxquelles une réponse A ou B ne peut être apportée rapidement. Ils veulent des modèles, des guides, des algorithmes, du concret et, surtout, des réponses. Et voilà qu’on leur explique que nous vivons dans un monde mondialisé, que les choses sont complexes, qu’ils doivent être créatifs, et surtout travailler en équipe car voyez-vous, ce n’est qu’en équipe que l’on peut réussir la mondialisation. Travailler avec ceux qui n’ont pas réussi ces fameux concours et qu’on leur a appris, depuis trois ans, à mépriser. Ah et ils doivent aussi créer une entreprise! Eux qui ont été maternés depuis 22 ans! De qui se moque-t-on? D’eux, certainement. De nous, aussi.

Alors si l’on veut vraiment adapter nos ingénieurs à la mondialisation, peut-être devrait-on commencer par supprimer les concours, ou du moins les classes prépas, et repenser nos modes de sélection. Sélectionner nos ingénieurs sur des projets où ils auraient démontré leurs capacités créatives et leur esprit d’équipe, exiger d’eux un séjour préalable minimum de six mois à l’étranger, et la pratique d’au moins un langue étrangère, et exiger également un stage technique préalable d’une même durée dans une entreprise. Les cerveaux seraient les mêmes à l’arrivée (ceci pour ceux qui hurleraient à la baisse du niveau de recrutement), mais ils seraient autrement aguerris pour la mondialisation. Et en plus, ce qui ne gâte rien, ce serait plutôt marrant à vivre comme démarche pour eux. Avec un peu de chance, un certain nombre d’entre eux abandonneront en chemin parce qu’ils auront crée leur boîte, et là on aura vraiment gagné.

Voilà, l’Institut Montaigne avait une occasion de suggérer des changements intéressants dans notre système éducatif, mais nous devrons nous contenter de demi-mesures symboliques, pour l’essentiel déjà en cours de mise en oeuvre. Message aux chinois et aux allemands: ne vous inquiétez pas.

Appel en faveur de Rue des Entrepreneurs, “chef-d’œuvre en péril”

Je relaie avec enthousiasme l’appel lancé dans Le Monde par Michel Berry et de grands universitaires pour défendre la formidable émission de France Inter “Rue des Entrepreneurs” menacée de disparition. La suppression de cette émission serait incompréhensible à l’heure où nous vivons une grave crise économique et où tout le monde (enfin presque) s’accorde sur le fait que la création d’entreprise et l’entrepreneuriat en général sont l’une des principales source de croissance et de progrès. En particulier en France, il est important d’encourager l’entrepreneuriat, et cette émission y contribue fortement.

Lire l’article ici.

Pétition en faveur de l’émission déjà signée par plus de 1.500 personnes: http://bit.ly/aDP10e

Vive la bullet Internet, et merci Jean-Marie!

Cinq ans après l’éclatement de la bulle, et alors que les valeurs Internet reviennent progressivement en grâce, le monde de la création d’entreprise semble à peine se remettre de ce choc gigantesque. De l’euphorie Internet ne semble en effet rester aujourd’hui que la chronique judiciaire des dépôts de bilan, licenciements, espoirs brisés et retours à la vie de salarié. La bulle n’aurait été qu’une grande période de folie, une espèce de mai 68 du business dont les Sartre modernes pourraient dire, comme le maître l’avait dit de 68: “on a beaucoup déconné”, mais sous-entendu, on s’est bien marré, revenons aux choses sérieuses. Comme toute période de folie, elle a également ses perdants, voués aux gémonies, accusés de tous les maux, chargés de tous nos pêchés. Perdant en chef: Jean-Marie Messier. Tous ceux qui lui ont mangé dans la main prenant un malin plaisir à le décrier, aujourd’hui qu’il n’a plus de carnet de chèque dans la poche. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain?

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