Pourquoi l’économie ce n’est pas la guerre; au contraire, c’est une alternative à la guerre

L’économie et la guerre entretiennent de très anciennes relations. Dans le domaine des affaires, certains livres de stratégie sont bourrées de références militaires et tout bon rapport contient une citation de Sun Tzu, grand général chinois du VIe siècle avant JC. Plus récemment, le concept de guerre économique s’est développé, en particulier en France, et semble s’exacerber à mesure que le sentiment d’un retard français dans le domaine économique se développe. Il y a cependant plusieurs raisons pour lesquelles l’économie et le commerce sont très différents de la guerre.

  1. L’économie ne tue pas de gens: aussi intense soit-elle, la concurrence que se livrent les entreprises ne se base pas sur des armées qui s’entre-tuent.
  2. L’économie ne détruit pas d’actif: au contraire de la guerre, les batailles économiques ne passent pas par une destruction d’actifs, des bombardements et des famines.
  3. L’économie obéit à des règles: au contraire, le concept de guerre économique laisse penser que tous les coups sont permis. On agit hors la loi en faisant appel aux officines avec tous les risques de dérapages que l’on connaît (Renault en sait désormais quelque chose!), ou, lorsqu’on est une grande entreprise, aux services spéciaux de son pays. Comme la drogue, lorsqu’on y touche une fois, on y revient.
  4. L’économie conçue comme guerre peut mener à des actions contre productives: lorsqu’elle est découverte, une attaque contre des entreprises étrangères peut se retourner contre son auteur et entraîner une crise diplomatique importante, comme ce fut le cas avec la mise au jour des actions françaises contre des sociétés de haute technologie américaines dans les années 80.
  5. L’économie bénéficie aux deux parties: Contrairement à ce que pensent les gouvernants et ceux qui baignent dans la culture militaire qui ont tendance à penser l’économie dans une optique mercantiliste, le commerce bénéficie aux deux parties. L’économiste David Ricardo l’a montré depuis longtemps, c’est l’échange qui est source de richesse, pas la production. L’économie peut ainsi avoir plusieurs gagnants.
  6. Corollaire du point précédent, l’économie n’est pas un jeu à somme nulle. Au contraire de la guerre ou seul l’un des deux adversaires peut gagner, l’économie peut voir prospérer deux partenaires commerciaux même si ceux-ci se livrent une concurrence acharnée. Coca-Cola et Pepsi-Cola gagnent tous les deux beaucoup d’argent. Il en va de même pour les pays: un pays ne peut pas avoir une économie saine si ses partenaires sont sous-développés; c’est ce qu’avaient compris les initiateurs du plan Marshall en 1948. De même, la Chine est à la fois un concurrent et un marché pour nos entreprises. Pour que ce marché soit solvable, et qu’il devienne intéressant pour nos entreprises, il faut qu’il s’y développe une classe moyenne. Or celle-ci ne se développera que si les entreprises chinoises prospèrent. L’intérêt des entreprises françaises est donc que les entreprises chinoises se développent. Si l’on pense en termes guerriers, l’armée française ne pouvait évidemment pas souhaiter que la Wehrmacht soit forte en 1940. Qui souhaiterait que la Chine revienne là où elle était en 1978?

D’une manière générale, donc, le commerce ce n’est pas la guerre, c’est même le substitut à la guerre. C’est le moyen d’échanger des biens et des services sans voler et en faisant en sorte que les deux parties bénéficient de l’échange. Alors que la guerre, c’est le transfert de ressources par la violence, le commerce, c’est le transfert de ressources par l’échange librement consenti. Bien sûr le commerce n’exclut pas des rapports de force qui font que l’échange peut être plus favorable à l’une des parties qu’à l’autre, mais comme le disait Ayn Rand:

« Tant que les hommes vivront ensemble sur la terre et auront besoin les uns des autres, le seul substitut à l’argent sera le canon d’une arme. »

Voir mon billet précédent sur l’affaire Ingenico, autre cas de patriotisme économique. Voir aussi mon billet sur « Ayn Rand – Atlas Shrugged ». Sur Sun Tzu et ses limites, voir mon billet récent ici.

10 réflexions au sujet de « Pourquoi l’économie ce n’est pas la guerre; au contraire, c’est une alternative à la guerre »

  1. ???! La guerre est partout, la guerre est éternelle et ce n’est pas l’économie (laquelle, la science, la main invisible, Dieu, l’ensemble des critères de Maastricht, … ?) qui peut y changer quelque chose. Les moyens de résoudre des conflits d’intérêts diffèrent d’autant plus que les cultures du conflit sont différentes. Si le business inspire toutes les real politik, il enrichit d’autant plus ceux qui en détiennent les clés si ce sont les mêmes qui décident de l’issue d’un conflit. Aujourd’hui, la métropolisation des territoires nationaux conduit, comme à la Renaissance, à un déplacement du champ de bataille : le terrorisme est donc logiquement la forme la plus pertinente. Centres commerciaux, gares et aérogares, stades, transports, voies de communication, infrastructures aquifères, gazières et pétrolifères, demain solaires. Mais il reste un grand absent qui à lui seul justifie encore l’infanterie et les blindés, la puissance agraire et là, les chinois prennent une longueur coloniale d’avance en Afrique. (Les fermes verticales ne résoudront pas tout.) Donc à mon sens ce débat n’a pas lieu d’être. Business is war, war is business, who cares ?. Les règles ne sont là que le fruit d’un consensus fragile et éphémère et établies selon les conventions du dominant du moment. Pax Americana ? Ok, but when ? Who’s next ?

  2. Merci d’engage la discussion sur mes modestes commentaires, il serait intéressant d’avoir d’autres remarques….
    N’avez vous pas l’impression de « jouer » un peu sur les mots?
    Qu’est ce que la loi du plus fort sinon une démarche qui peut entrainer à differentes formes de conflit.
    Mon commentaire avait pour but de réagir sur le Blog de Philippe Silberzahn, qui me semble t il, voulait dissocier l’image de la guerre de celle de la confrontation économique mondiale actuelle. Je n’irai pas jusqu’à évoquer Munich, mais je pense que beaucoup de gens de la classe moyenne, ont parfaitement compris ce qui s’est passé en 2008, et ont également compris les origines de cette situation qui remonte , on peut dire à la chute du mur de Berlin en ce qu’il représenté symboliquement la fin de la guerre froide. Il me semble également que beaucoup de commentateurs ou d’hommes politiques critiquent les positions financières prises par l’Allemagne et mises en oeuvre par l’UE.
    Je suis d’accord avec vous sur le fait que les réactions sont encore relativement faibles. Je vous suggère, si ce n’est déjà fait car vous semblez avoir une large cultures économique, de lire les derniers livres de Hervé Kempf, qui à mon sens décrit très clairement les formes du pouvoir actuel.
    Il n’est pas le seul bien sûr à s’exprimer sur ce point, mais curieusement cette analyse n’apparaît que très fugacement dans les médias et jamais à ma connaissance à la Télévision. La Démocratie au sens ou nous l’imaginons n’existe plus , c’est l’Oligarchie du 1% voir même plutôt du 1/10000 qui domine l’activité économique et politique de la planète.
    Y a t il une issue Philippe Silberzahn?

  3. Votre analyse est bien évidement exacte. La stratégie, fusse t elle commerciale, repose sur la possibilité d’imaginer les conséquences des décisions sur les différentes parties prenantes et de savoir répondre aux différentes réactions possibles. C’est en tous cas l’enseignement du jeu d’Echecs. Cela dit il me semble que la problématique actuelle de l’économie et du commerce est la « règle du jeu ».
    Celle des Echecs est claire , on la connait , on l’applique, sinon on ne joue pas aux Echecs.
    Il en va différemment des règles concernant l’économie mondiale.
    Le monde occidental a passé des décennies à imposer des règles libérales qui l’avantageait. et depuis les années 89, ces règles ont subtilement changés, notamment en ce qui concerne la finance, qui elle même impacte directement l’industrie et le commerce avec les conséquences que nous connaissons .
    Il me semble qu’aujourd’hui »hui, à la différences des trente glorieuses (pour le monde occidental), ou le profit était a peu près équitablement reparti, nous sommes bien rentrés dans une ère de guerre économique, avec les mêmes conséquences catastrophiques que celle d’une guerre militaire, (le sang coule certes un peu moins!! suicides à Pôle Emploi), mais les dégâts humains sont colossaux, et nous n’avons pas fini d’en constater l’importance.
    Donc à mon sens la vrai question est de savoir si « la règle du jeu » est bien un élément de prospérité qui favorise le commerce, et ce qu’il faut faire pour rétablir une règle du jeu acceptables par toute les parties prenantes ;
    Est seulement possible?
    Sinon c’est bien évidement la guerre qui prévaudra à plus ou moins court terme?

    1. La règle du plus fort semble prévaloir , notamment dans la finance ( « Le dollard est votre problème , mais c’est notre monnaie ») Le plus fort peut également dominer dans la guerre des normes ( on trouve plus d’américains dans les équipes officiels de lobbying à Bruxelles que de français)..ou imposer des « mesures protectionnistes  »
      Vous avez entendu des élus se soucier de ces règles faussées qui imposent aux pays européens d’ouvrir grandes leurs portes à la concurrence, comme jadis une ville les ouvrait sans même combattre à l’envahisseur ?
      Et si ce n’était plus seulement une question de règle mais aussi de jeu ?

    2. Bonjour,
      Est ce que vous pouvez penser sans animosité que l’on puisse ne pas être d’accord avec votre sens de l’économie ?
      Car l’économie se fonde sur le matériel en reléguant le temps de travail de chacun au rang d’une insignifiante chose qui devrait révolter tous ceux qui se la font voler.
      d’un certain point de vu il faut considérer que nous sommes sous l’ere d’une vieille guerre économique qui date de plus de sept millénaire, pour se plaire à dire que nous sommes toujours sous la première guerre mondiale.
      la seconde étant celle de 14 à 18 et la troisième étant de 39 à 45.
      si la solution politique doit voir le jour c’est en donnant raison à l’initiateur de la première démocratie, celle qu’il ne faut pas confondre avec le républicanisme initié par ceux que tour le monde connaît.
      Se voiler la face, mentir et ne pas tenir ses promesses est du républicanisme, le contraire est en écrivant nos intentions pour obtenir un agrément et cela même en étant soumis à l’approbation des républicains.
      chose qui ressemble a une forme de démocratie qui reste mal perçue, puisqu’elle ne consiste qu’à séduire sans animosité pour une adhésion universelle qui ne laisse aucun choix pour personne.

  4. Il n’empêche que la réussite Allemande est bel et bien un effet du « mercantilisme » ( balance commerciale excédentaire). Et en matière de stratègie de conquête sur les nouveaux marchés potentiels, dans les balkans par exemple, les allemands ont intelligemment mis à profit leur position géographique pour faire comprendre aux factions en guerre que l’économie était une alternative bénéfique à tous. Et ce sont leur officiers des affaires civilo-militaires qui ont été les fidèles relais sur le terrain. Les officiers français , qui ne pensent pas qu’à la guerre, ont eu le plus grand mal à intéresser les ministères parisiens et ont du parfois eux mêmes organiser des visites de chefs d’entreprises française pour leur faire découvrir les opportunités !!
    Dans le reste du monde la « connivence » des entreprises allemandes et le soutien de leur réseau diplomatique est à comparer, à nos comportements de gaulois et au manque de synergie public-privé.

Laisser un commentaire