Conférence « de la voiture électrique à la mobilité durable » par Christophe Midler

La prochaine séance du séminaire RTI (Ressources Technologiques et Innovation) de l'Ecole de Paris aura pour thème :

DE LA VOITURE ÉLECTRIFIÉE À LA MOBILITÉ DURABLE
par
Christophe MIDLER
Directeur du CRG – Centre de Recherche en Gestion de l’École polytechnique
Responsable Master Projet Innovation Conception

Présentation de la séance

La voiture électrique n’est pas une nouvelle technologie. Vieille d’un siècle, elle a vu environ tous les dix ans des résurgences qui n’ont pu jusqu’ici ébranler le "dominant design" du véhicule à combustion interne. Les tentatives actuelles se présentent sous un jour plus favorable. On montrera que ce n’est pas à cause d’une trouvaille technologique qui éliminerait les handicaps bien connus du véhicule électrique, ni à cause d’un changement d’environnement transformant radicalement et durablement les priorités des utilisateurs et des états, mais du fait des avancées du management de l’innovation, que l’on aborde aujourd’hui les challenges de l’innovation de rupture différemment d’il y a quinze ans. L’exposé développera cette thèse sur l’exemple du projet en cours de Renault, à la lumière d’un programme de recherche engagé dans le cadre de l’Institut de la Mobilité Durable Renault et ParisTech.

Détails de la conférence:

MERCREDI 17 FÉVRIER 2010
de 8h45 (précises) à 10h45
École Nationale Supérieure des Mines de Paris
60 boulevard Saint Michel – 75006 Paris – Salle Vendôme
(Métro : Luxembourg – Parking public rue Soufflot)

Inscription sur le site de l'Ecole de Paris

Revue de livre: Working on innovation

Voici la parution de "Working on Innovation", nouveau livre en anglais sur l'innovation dont j'ai écrit l'un des chapitres avec Christophe Midler. Il s'agit d'un ouvrage universitaire collectif dirigé par Christophe Midler, Guy Minguet, et Monique Vervaeke qui fait le point sur l'évolution du travail des innovateurs.

Depuis le milieu des années 80, le développement des stratégies concurrentielles basées sur l'innovation intensive a transformé profondément la conception de nouveaux produits et services. Beaucoup a été écrit sur ces nouvelles approches et leurs nouvelles formes organisationnelles associées qui sont à même de susciter de capacités créatives et concurrentielles dans les entreprises. Beaucoup moins en revanche a été écrit sur la transformation du travail et de l'identité des professionnels impliqués dans ces transformations: ingénieurs, concepteurs, chercheur, responsable marketing et surtout chefs de projet.

Le travail de ces professionnels de l'innovation est réellement difficile à observer en raison même de sa nature – un travail intangible effectué sur une longue période, de son accessibilité et de son statut. L'objet de ce livre est de proposer un certain nombre de clés pour comprendre la dynamique du travail de ces professionnels de l'innovation.

Examinant les évolutions de l'organisation dans de grandes entreprises et des startups, les auteurs explorent plusieurs secteurs comme les hautes technologies, les marchés grand public, les biens d'équipement, la chimie, l'aéronautique ainsi que des fournisseurs de ces grandes entreprises.

Le résultat de cette recherche montre un monde de réseaux dans lequel la grande entreprise effectue de la recherche avec une startup, développe ses produits avec des concepteurs indépendants, et implique ses fournisseurs dans ce développement. Sont également analysées dans ce livre les stratégies industrielles, les conditions organisationnelles de la conception de produits, et la dynamique de l'identité professionnelle des acteurs de cette transformation.

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Conférence de Frédéric Fréry: Les technologies éternellement émergentes

Le 5 février dernier avait lieu une séance du Séminaire de Recherche Management de l'innovation, organisé par Florence Charue-Duboc, Franck Aggeri, Valérie Chanal et Gilles Garel, et avec le soutien de la Chaire Management de l’Innovation de l’Ecole polytechnique. L'invité était Frédéric Fréry, professeur à l'ESCP-EAP, qui intervenait sur le thème des technologies éternellement émergentes.

Les théories de diffusion de l'innovation postulent que la vie des produits suit une courbe qui les mène de l'émergence à la croissance, puis de la maturité au déclin et à la disparition. Or ce modèle est contredit par un certain nombre d'anomalies prometteuses : on connaît ainsi des phénomènes de dématuration (au lieu de décliner, le marché repart en croissance après avoir atteint la maturité : ce fut le cas du verre avec la mise au point du verre flotté), de ressurrection (nouvelle émergence après un déclin : le scooter, la trottinette, la console de jeux vidéo, etc.) ou de déclin prolongé (le minitel qui compte encore 2 millions d'utilisateurs en France). Par ailleurs, de nombreuses innovations ne parviennent pas à traverser le gouffre décrit par Moore : elles disparaissent dès le début de la phase d'émergence, n'ayant pas réussi leur entrée sur le marché, généralement du fait du succès d'un standard concurrent. A côté de ces échecs patents (la polavision, le bookman, la DCC, le Newton, le HD-DVD, etc.), on peut observer des anomalies particulièrement instructives : les technologies éternellement émergentes. Une technologie éternellement émergente est une innovation qui se maintient durablement en phase d'émergence. Alors même que son succès commercial reste inexistant, on continue à prédire sa croissance imminente.
Plusieurs exemples de technologies éternellement émergentes peuvent être étudiés : le visiophone, le tablet PC, la RFID (dans la distribution) ou encore la domotique. Cependant, le cas le plus emblématique – puisque son émergence se poursuit depuis plus d'un siècle – est incontestablement la voiture électrique. Cet exemple est particulièrement instructif, car tout autant les raisons qui poussent certains analystes à annoncer l'imminence de l'émergence de la voiture électrique que celles qui expliquent effectivement son échec répété permettent d'enrichir notre compréhension des phénomènes de diffusion des innovations.

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La Renault Logan, un bon exemple d’innovation de rupture « interne »

Le lancement par Renault du modèle Logan est un cas d’école intéressant car il constitue une exception à la thèse de Clayton Christensen selon laquelle les grandes entreprises leader sont incapables de lancer des innovations de ruptures dans leur propre marché.
La pente naturelle de toute entreprise est la montée en gamme de ses produits: alors que l’entreprise se développe, sa structure de coût augmente, son point mort s’élève, elle a donc besoin de produits plus hauts de gamme pour maintenir ses marges. Il est très difficile pour elle de continuer à créer des produits bas de gamme, car ceux-ci ne correspondent plus à sa structure de coût. Un produit haut de gamme apporte de la marge supplémentaire sur une structure de coût inchangée, ce qui est très attractif; à l’inverse, un produit en descente de gamme « mange » la marge sur une structure de coût inchangée, ce qui n’est pas attractif. Les entreprises sont donc facilement victimes de ce que Christensen appelle « la rupture par le bas« . Au bout d’un certain temps en effet, lorsque le leader d’un marché monte ainsi en gamme, il finit toujours par se faire attaquer par une offre bas de gamme. Dans l’automobile, ce fut notamment le cas aux Etats-Unis: alors que Ford avait basé son développement sur le modèle T, trois fois moins cher que ses concurrents, la marque avait progressivement abandonné ce segment pour le moyen et haut de gamme. Dans les années 70, les Japonais envahissent le marché par le bas, et les fabricants américains s’avèrent incapables de répondre en proposant leurs propres modèles. Une fois installés, les fabricants japonais sont inévitablement montés en gamme jusqu’à produire des voitures de luxe comme la Lexus. Ils furent ensuite eux-même attaqués par les Coréens.

Je suis une rupture à moi toute seule! (Source: Wikipedia)

C’est dire si le lancement de la Logan est important: il constitue un rare cas d’une entreprise qui tente de résister à la fuite vers le haut de gamme en proposant le premier modèle à 5000 Euros. Renault est cependant familier du fait: la Twingo était déjà une tentative, réussie, de conserver une présence dans ce segment, mais la voiture n’a jamais été rentable! Elle constitue donc presque une preuve de la difficulté de rester sur ce segment. Pour que le projet Logan soit rentable, l’entreprise a totalement revu ses méthodes de conception et de production (voir mon billet à ce sujet et le livre de Christophe Midler sur le projet Twingo). Comme dans le cas de la Twingo, la résistance organisationnelle à la descente en gamme a été très forte, et le projet n’a été jusqu’au bout que grâce à l’insistance du PDG Louis Schweitzer lui-même. Celui-ci raconte en effet que la direction financière de Renault lui avait démontré, chiffres à l’appui, que la logan ne gagnerait jamais d’argent. Aujourd’hui, le segment low cost de Renault, appelé pudiquement « Global Access », représente 35% des ventes du groupe et un pilier de sa profitabilité.
On lira avec intérêt l’entretien que Kenneth Melville, le designer écossais de la Logan, avait accordé à BusinessWeek où il explique comment les difficultés de produire une voiture à si bas prix tout en restant rentable ont été résolues grâce à une approche particulière du design.

Pour en savoir plus sur la rupture par le bas, voir mon ouvrage « Relevez le défi de l’innovation de rupture« .

[Mise à jour décembre 2019] Le « père » de la Logan, Gérard Detourbet, est décédé. En savoir plus ici sur cet innovateur de rupture inconnu du grand-public.

[Mise à jour avril 2011]: ce billet posait initialement la question en termes d’opposition entre innovation radicale et innovation continue. Les travaux récents de Christensen insistent sur le fait que l’opposition pertinente est plutôt entre innovation continue et innovation de rupture. La distinction est qu’une innovation peut être radicale (c’est à dire très fortement novatrice) mais pour autant correspondre assez bien au modèle économique de l’entreprise. Une innovation est de rupture lorsqu’elle s’accompagne d’un modèle économique nouveau, souvent incompatible avec le modèle existent de l’entreprise, ce qui explique la difficulté. Voir mon billet plus récent sur cette opposition continue/rupture.

Renault : l’auto qui n’existait pas ou l’histoire de la Twingo

En ces temps de passation de pouvoir entre Louis Schweitzer et Carlos Ghosn, qui sont l’occasion d’une juste célébration du travail impressionnant effectué par ce dernier (et son équipe) au Japon avec Nissan, il est peut-être bon de rappeler que Renault fut, dans les années 80, pionnier d’une approche radicalement nouvelle de la conception et de la fabrication de voitures. C’est ce que raconte un livre paru… en 1993, et intitulé « l’auto qui n’existait pas« .

Ecrit par Christophe Midler, directeur du Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique, L’auto qui n’existait pas raconte l’histoire de la genèse et du déroulement du projet Twingo. L’auteur a littéralement vécu au sein de l’entreprise pour suivre le projet dès 1989 jusqu’à la sortie de l’auto en 1993. Dès la fin des années 70, Renault cherche un successeur à la fameuse Renault 5. Il s’agit pour Renault de rester dans l’entrée de gamme. Plusieurs projets sont lancés, puis arrêtés. Le contexte difficile que vit l’entreprise dans les années 80 (pertes, climat social, puis assassinat de son PDG) n’est pas propice à la prise de risque. Finalement, le projet qui deviendra Twingo « émerge » à la suite d’un long cheminement. Surtout, l’approche choisie est totalement nouvelle: l’entreprise adopte un mode projet, alors que jusque-là les voitures étaient conçues par étapes, avec une organisation fonctionnelle: bureau d’étude, fabrication, etc. Avec la Twingo, un projet ad-hoc regroupe les compétences et est placé sous la direction d’un chef de projet rendant compte directement au plus haut niveau de l’entreprise. Autre fait nouveau, la voiture est définie avec des contraintes « à rebours », à la japonaise: un objectif de prix et de rentabilité est fixé, et le projet sera annulé s’il n’est pas capable de le respecter. Du coup, les méthodes de travail sont revues, le choix de l’usine elle-même est conditionné – plutôt qu’une usine flambant neuve, on partira d’une ancienne usine que l’on modernisera sur certains points seulement, en conservant un avantage coût/bénéfice maximal. De même, les fournisseurs, hier simples exécutants, sont étroitement associés et invités à adopter une approche créative pour remplir les objectifs de coûts. C’est l’ensemble de l’approche qui est complètement revue., désormais totalement intégrée

Ni livre de management, ni manuel universitaire, le livre est une « histoire conceptualisée ». Dans la première partie, l’histoire du projet est raconté dans le détail. Dans la seconde, une analyse des implications est menée. Celle-ci montre bien que l’innovation, ce n’est pas seulement sortir des produits techniquement supérieurs, c’est aussi innover sur ses méthodes. L’approche projet et la prise en compte en amont d’objectifs économiques sont ainsi à l’origine d’une révolution de la conception, et, au-delà, du management industriel et de l’organisation. La Twingo permettra à Renault, gràce à son succès, de garder pied dans l’entrée de gamme, et ce de manière profitable.
Le livre sur Amazon: L’auto qui n’existait pas