Voici un livre dont la lecture est indispensable si vous vous intéressez à Internet. Et même si vous ne vous y intéressez pas, d’ailleurs, car lui s’intéresse déjà à vous. Il s’agit de The Search, de John Battelle. Le sous-titre est “How Google and its rivals rewrote the rules of business and transformed our culture”. S’il part de la problématique de la recherche sur Internet, l’ouvrage est naturellement centré sur Google, la super star du moment.
D’abord, l’ouvrage retrace la préhistoire de la recherche sur Internet, montrant bien que Google est arrivé bon dernier dans la course, après de prestigieux ancêtres (comme Archie et Alta Vista). Autant pour la théorie du first mover advantage… A cette époque, en 1998, la recherche est considérée comme sans grande importance (c’est alors la folie des portails). Yahoo ne voit aucun inconvénient à sous-traiter cette fonction mineure. Les moteurs sont d’ailleurs limités. Notamment, ils n’ont pas de technique pour estimer la pertinence des résultats, qui sont donc affichés dans n’importe quel ordre, ou pire encore, en fonction de ce que certains ont payé. En outre, aucun n’a vraiment su inventer de business modèle, à part GoTo.com, et la plupart n’indexent que peu de pages. Google change tout ça en indexant une quantité massive de pages, et en inventant un mécanisme de notation de chaque page en fonction des pages qui la référencent. Google reprend également le mécanisme d’annonces payantes au clic inventé par Bill Gross pour GoTo.com (qui deviendra Overture) mais en séparant résultats de recherche et publicité garantissant ainsi une certaine “neutralité”.
Cette indexation massive – au moins 3 milliards de pages indexées en 2004 – n’est pas sans implication au niveau mondial. Désormais, tout est numérisé, et toute votre vie peut finir chez Google, qui scanne et stocke des quantités énormes de données. Au point que la notion même de vie privée est remise en question. L’utilisation de cette masse d’information par le gouvernement américain, surtout maintenant que Google offre aussi un service de mail et de messagerie instantanée, est longuement discutée. Il ne fait pas de doute qu’elle a lieu, ce qui ne semble pas déranger les dirigeants de Google outre mesure.
Google a pris une telle importance que beaucoup d’entreprises en dépendent pour leurs affaires. Ainsi l’exemple de ce marchand américain de chaussures grande taille en ligne qui gagnait fort bien sa vie gràce à Google: si vous tapiez “chaussure + grande taille”, le premier résultat était un lien vers son site. Mais un jour, Google change son algorithme de tri, et notre marchand sort désormais en… 50e page, autant dire qu’il est devenu invisible. Son chiffre d’affaire tombe à zéro pendant quelques mois. Seule solution pour lui, acheter des pubs chez… Google, pour que à défaut de sortir dans les résultats de recherche, son nom soit affiché dans les publicités à droite. Ce qu’il avait gratuitement, il doit désormais le payer. Etait-ce voulu de la part de Google? Pas forcément, mais cet épisode illustre l’importance qu’a prise Google, et la puissance qu’il exerce désormais dans le paysage Internet. Cette importance ne va pas sans l’arrogance que beaucoup d’observateurs accusent Google d’avoir développée à la suite de son succès phénoménal. L’auteur souligne également les difficultés liées aux choix de méthode d’indexation, aux conflits d’intérêts, et au fait que Google ne peut pas tout indexer. Sur les limites de Google, on pourra consulter un site très intéressant qui en critique de nombreux aspects: GoogleWatch.
Mais l’ouvrage insiste bien sur l’importance de la recherche sur le Net. Au fond, toute démarche commerciale comporte une phase de recherche, que l’on souhaite voir un film ou acheter une bouteille de vin. Partant de cette observation, Google pourrait bien se retrouver en point de passage obligé d’un nombre croissant de nos transactions commerciales professionnelles et privées à l’avenir. Google s’est jusque-là limité à fournir des services, sans devenir un média, au contraire de Yahoo. Pourra-t-il continuer longtemps à n’être présent que sur cette activité? Battelle estime que non, et pense que Google est condamné à aller vers le contenu… on peut cependant en douter. Il est toujours tentant de vouloir étendre son activité, mais parfois plus raisonnable de se cantonner à un domaine bien défini, d’autant que celui de Google est déjà large.
On ne s’attendra pas à des révélations fracassantes ni à des théories novatrices, surtout pour ceux qui suivent l’évolution d’Internet d’un peu près. L’ouvrage est néanmoins une bonne synthèse des problématiques soulevées par le développement d’un outil comme Google, un sujet important à plusieurs titres, écrite qui plus est par un observateur avisé du monde de la technologie.
Le blog de John Battelle: Battellemedia.
2 réflexions au sujet de « Revue de livre: “The Search”, de John Battelle »
Merci de nous faire cet excellent résumé du livre. Je suis curieux : ce livre explique-t-il pourquoi Google a été unique à mettre au point un algorithme qui a dépassé largement tous ses concurrents ?
Pas de “miracle”; simplement à l’époque, plus personne ne s’intéressait vraiment au sujet. Tout le mode voulait faire des portails (folie dot.com) et souhaitait simplement ajouter une fonction de recherche tout en faisant tout pour que les gens ne s’en servent pas: l’idée était de retenir les visiteurs sur son site, pas de les en faire partir!!! Google a eu l’approche totalement inverse, sans le vouloir vraiment je pense. Ils se sont simplement concentrés sur la création d’un outil de recherche sans trop se préoccuper d’un business model, qui n’est venu que longtemps après.
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