Faire la peau à la bureaucratie: Et si c’était la mauvaise question?

J’étais interrogé il y a quelques jours par une journaliste au sujet de la bureaucratie qui, semble-t-il se développe beaucoup dans les grandes entreprises et empoisonne leur existence, ralentissant leur fonctionnement et démobilisant leurs collaborateurs. Certes, l’enjeu est d’importance à l’heure de la crise où tout le monde doit être sur le pont dans un environnement qui change rapidement. Mais je ne crois pas qu’attaquer la bureaucratie soit la bonne approche.

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Revue de livre: “The lords of strategy” par Walter Kiechel

En 2008, au moment où le système financier menaçait de s’effondrer, le Boston Consulting Group (BCG) entreprenait de demander à 20 multinationales où elles en étaient en ce qui concernait leur pensée stratégique. La réponse? “Nous ne faisons pas de stratégie.” Rien ne résume mieux la question existentielle qui, trente ans après la révolution de la pensée stratégique dans le domaine des entreprises, mine encore la discipline aujourd’hui. Cette réponse lapidaire vient en quelque sorte conclure l’excellent ouvrage de Walter Kiechel, “The lords of strategy” (Les seigneurs de la stratégie), qui est à la fois une histoire et une analyse de cette révolution. Une révolution pour rien?

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“The Growth Gamble”, une pierre dans le jardin de l’innovation

On vous l’a dit et répété, seule l’innovation permet à l’entreprise de croître sur le long terme; l’innovation est donc cruciale pour l’entreprise, sa seule chance pour lutter contre la concurrence des pays émergents. Tous le monde est d’accord là-dessus. Tout le monde, sauf Andrew Campbell et Robert Park, deux professeurs à Ashridge Business School, et auteurs de The Growth Gamble – When leaders should bet big on new businesses and how to avoid expensive failures, trop discrètement paru en 2005. Leur constat initial est le suivant: la plupart des entreprises qui lancent des initiatives fortes de croissance sous la forme de grand projet échouent en général. Les auteurs donnent deux exemples parmi tant: McDonald’s et Intel. Le cas Intel est particulièrement intéressant car il est l’objet des travaux de Robert Burgelman, dont nous avons déjà parlé sur ce blog. Intel a mis en place un système d’intrapreneuriat permettant à chaque employé de développer des idées qu’il peut avoir. Selon Burgelman, seule cette approche permet l’innovation et donc la découverte de nouveaux marchés. Oui, sauf que Intel a régulièrement échoué dans ses initiatives et n’a jamais réussi à sortir de son coeur de métier qui est le microprocesseur.
Campbell et Park sont d’accord avec Clayton Christensen pour dire que l’innovation radicale est source de croissance durable, mais ils contestent la portée de l’énoncé par deux arguments: d’une part, les innovations radicales qui changent les industries n’arrivent pas si souvent que ça. Peut-on dès lors structurer une entreprise pour un raz de marée qui n’arrivera probablement jamais? Mieux vaut, selon eux, bien exécuter l’innovation incrémentale et explorer les pistes de croissance autour de son coeur de métier. D’autre part, se lancer dans une innovation radicale est très dangereux pour l’entreprise, qui sort de son terrain connu. L’attractivité d’une opportunité n’existe donc pas en elle-même, mais toujours en relation avec l’entreprise qui décide de l’exploiter. Voilà donc bien une pierre dans le jardin de “Stratégie océan bleu” de Kim et Mauborgne.
Sur cette base, les auteurs proposent un outil intéressant permettant d’évaluer les nouvelles opportunités, notamment sur la base de l’adéquation avec le l’activité actuelle.

La critique de la littérature sur l’innovation est intéressante et les auteurs n’ont pas forcément tort lorsqu’ils expliquent que la révolution ne peut pas être faite tous les jours ni surtout par tout le monde. Il n’en demeure pas moins vrai qu’une entreprise qui ignore cette dimension le fait à ses risques et périls, et les bouleversements ont plutôt tendance à apparaître plus que moins fréquemment. On reprochera aux auteurs notamment une conception passive de l’opportunité: une opportunité, selon eux, c’est quelque chose qui existe ‘comme ça’, et que l’entreprise peut évaluer. Mais la littérature sur l’entrepreneuriat a précisément montré que c’est beaucoup plus compliqué que ça: une opportunité se construit au moins autant qu’elle se découvre. Pour cela, il faut bien entreprendre des démarches d’innovation, risquées et parfois qui se terminent mal, celles-là mêmes que Campbell et Park déconseillent. Au final, leur prudence quant au ‘tout innovation’ et en particulier sur les extrêmes de type ‘chaos créatif’ à la Gary Hamel (qui par ailleurs écrit la préface de l’ouvrage!) est bienvenue, mais leur critique de l’importance de l’innovation est néfaste. Il existe un juste milieu entre l’extrémisme d’Océan Bleu et la passivité d’éternel suiveur, et c’est bien la difficulté de le trouver.

A noter, pour les chercheurs, une annexe très intéressante où les auteurs comparent leur travail à celui de plusieurs auteurs dans le domaine des stratégies de croissance. Le livre chez Amazon.

Gary Hamel lance un centre de recherche sur l’innovation dans le management

Gary Hamel est de retour. Gourou de la stratégie "alternative",
pourfendeur de la stratégie classique et surtout du re-engineering dans
les années 90.
Il y a un peu plus de dix ans paraissait son livre "A
la conquête du futur", écrit avec CK Pralahad . En 1994, le monde
industriel était en pleine tornade du re-engineering, avec comme
objectif avoué d’obtenir des gains massifs de productivité… et souvent
comme conséquence inavouée de dégraisser les effectifs.
Lancé en
réaction contre la menace japonaise, le re-engineering posait comme
postulat que l’avantage concurrentiel passait par l’efficacité
organisationnelle, inaugurant ainsi une longue période de saignée et de
réorganisation massives dans les entreprises occidentales.
"A la conquête du futur"
est une attaque en règle contre cette attitude. Selon Hamel et
Pralahad, le re-engineering n’est pas une stratégie ; tout au plus
est-ce le prix à payer pour n’avoir pas eu de stratégie. Prix à payer
par des entreprises qui n’ont pas su inventer leur avenir à temps.
L’ouvrage fait l’effet d’une bombe dans l’univers de la gestion,
généralement marqué par la tendance à considérer que la souffrance est
une condition nécessaire à la réussite. Son message optimiste est que
chacun, quelle que soit sa position dans l’entreprise, peut réussir une
innovation, que la vision stratégique est nécessaire, et qu’elle
consiste à inventer l’avenir et à y conduire l’entreprise. Nous
rappelons d’ailleurs ce message optimiste au début de notre livre "Objectif Innovation".
Hamel
est ensuite devenu le chantre de l’entrepreneuriat au sein des
entreprises, les incitant à briser les barrières à l’innovation,
publiant même un article intitulé "Bringing Silicon Valley inside".
Selon lui, il fallait libérer les employés des contrôles et laisser
fleurir le chaos créatif. Comme toute position extrême cependant, elle
trouva ses limites, surtout que son exemple favori était… Enron, qui
avait effectivement appliqué cette stratégie et supprimé tout contrôle,
avec le résultat que l’on sait. Cet écart n’enlève toutefois pas
l’intérêt de ses travaux, et la lecture de ses écrits est toujours
revigorante.
Hamel a du méditer sur ces écrits de jeunesse, et
laisser tomber son côté maoïste. Il s’en revient pour créer un centre
de recherche sur l’innovation dans le management à la London Business School.
Selon lui, l’innovation peut être classée en trois domaines:
institutionnel, technologique et management, et l’innovation dans le
domaine du management n’est que peu étudiée dans les écoles de
commerce, en particulier pas sa dimension historique.
L’intérêt réside dans l’approche. Hamel souhaite éviter d’étudier,
comme nombre de ses collègues, les inévitables grandes entreprises qui
selon lui n’ont pas grand chose à dire dans ce domaine. Il préfère
aller chercher les petites entreprises plus innovantes en matière
d’organisation et de processus de gestion. Il partira donc du terrain,
dont les universitaires américains s’éloignent de plus en plus, en
raison de la nécessité pour eux de publier des articles dans des revues
académiques. Ce contact avec le terrain, et ce rejet de la publication
ésotérique, constituent un trait distinctif majeur entre les chercheurs
américains et européens, et explique pourquoi Hamel l’installe à la
LBS, et non à Harvard. A suivre…

Comment Nokia est devenu leader dans les années 90

Comment Nokia est-il devenu le leader de la téléphonie mobile dans les années 90 ? Rien ne prédisposait une entreprise finlandaise, un ancien groupe minier et forestier de surcroît, à occuper cette position. Nokia ne découvrait pas totalement le secteur; il fabriquait des équipement radio-téléphoniques depuis les années 60.

Ce qui a déclenché son formidable succès dans le grand public est venu par contre d’une rencontre avec le consultant Gary Hamel. Pour booster la créativité du constructeur finlandais, celui-ci proposa d’envoyer des équipes d’ingénieurs et de cadres de Nokia, dans trois endroits assez particuliers de la planète : Venice Beach en Californie, King’s Road à Londres, et le quartier des nightclubs à Tokyo (pour le plus grand bonheur des intéressés, qu’on imagine plus habitués au cercle polaire…). L’étincelle créative n’est pas toujours cachée dans un rapport de 250 pages du Gartner Group, ou dans une série de réunions interminables de groupes de travail internes … ; il vaut mieux parfois aller se glisser dans la peau de ses clients, dans des endroits un peu lointains, et elle est sous vos yeux. C’est à la suite de ces “expéditions”, notamment en regardant évoluer les skaters de Venice Beach, que Nokia comprit que les mobiles avaient dépassé leur statut utilitaire d’outil de communication pour devenir des accessoires de mode.