Le bouleversement de l’entrepreneuriat culturel – A propos du forum European Lab

Vous ne connaissez probablement pas le festival des Nuits Sonores – Pour ma part, il y a un mois encore non seulement je ne le connaissais pas, mais même maintenant, je ne connais quasiment aucun des artistes qui s’y produisent. Nous avons souvent pour mauvaise habitude de tout ignorer d’univers qui nous sont pourtant très proches (environ deux kilomètres pour ce qui me concerne). Enfin bref, avec mes mots à moi, disons que NS2013 (comme disent les initiés) est un festival nocturne (vous vous en seriez doutés) de musique techno. Lancé il y a dix ans, ça marche du tonnerre. Mais ce n’est pas de ce festival en lui-même que je voulais parler, et il vaut mieux, mais de ce qui en a germé il y a trois ans – le forum European Lab de l’innovation culturelle.

Comme les jeunes s’amusent la nuit, les organisateurs du festival se sont dit que dans la journée, il serait intéressant de rassembler les acteurs du monde des festivals pour les faire réfléchir à leur métier et à leur industrie. Là encore, succès au rendez-vous et European lab, dont la prochaine édition aura lieu du 7 au 11 mai prochain, est devenu une véritable plateforme de l’innovation des industries culturelles. Et c’est là que je voulais en venir. Car comme beaucoup d’industries, celle du spectacle vit une profonde mutation. En gros, et pour faire simple, le spectacle français est arrivé au bout de son modèle historique étatique et subventionné, et il faut tout réinventer. Or les changements de modèles économiques sont toujours douloureux, et donc on a tendance à les repousser, avec des conséquences désastreuses : l’industrie de la musique en sait quelque chose. L’enjeu est d’importance. Comme souvent hélas, les autres pays ont pris de l’avance dans ce domaine, notamment en Europe. C’est pour cela que European lab a invité des responsables de structures à venir témoigner durant le festival au cours d’un débat que j’animerai le 9 mai: Steven Hearn (fondateur de 3e pôle) – Georgia Taglietti (Sonar) – Julien Catala (Super!) et Todd Puckhaber (SouthBySouthWest SXSW). Eux sont déjà totalement dans cette nouvelle logique, dans ce nouveau modèle économique, et développent des entreprises culturelles de dimension mondiale.

Mais là n’est pas le seul intérêt du forum. Car au-delà de la nécessité pour une industrie de se renouveler, c’est l’importance du secteur artistique en général, et de la création en particulier. Mon collègue Pierre-Yves Gomez écrit dans son dernier ouvrage « le travail invisible » que la société a eu tendance des trente dernières années à privilégier une dimension purement objective du travail humain, celle qui se mesure uniquement à ce qui est produit, et à oublier qu’il existes deux autres dimensions tout aussi importantes, la dimension subjective – plaisir de créer et épanouissement par l’activité- et la dimension collective – plaisir de faire ensemble. Il n’y a pas de doute que la crise que nous connaissons résulte en partie de cette conception étroite du travail. Il est donc grand-temps de redonner place aux deux autres dimensions, et quel meilleur endroit qu’un festival artistique pour commencer cette réhabilitation ? Réinventer le plaisir de créer, et de créer ensemble.

Au-delà, on voit clairement le lien qui peut être fait entre le ferment créatif qu’un forum tel que European Lab peut susciter et la dynamique entrepreneuriale au sens le plus général. Il s’agit dans les deux cas d’une activité créatrice de nouveauté. Les artistes créent des œuvres, les entrepreneurs des entreprises, des marchés et des produits, mais la recherche récente a montré combien les mécanismes cognitifs et les principes d’action étaient communs. Dans un autre domaine, mais finalement assez proche, on voit bien ce processus de renouvellement créatif, collectif et finalement industriel autour du phénomène des « makers » aux Etats-Unis : des individus s’approprient les nouvelles possibilités offertes par les imprimantes 3D, une mini usine à prix dérisoire, pour réinventer le bricolage, dans une logique festive basée sur le partage, la créativité collective et l’échange. Certains donnent à cet effort une dimension commerciale, et c’est tant mieux car de nouveaux districts industriels apparaissent désormais aux Etats-Unis, mais ce n’est pas systématique et beaucoup conservent cet aspect ludique et de passe-temps. En tout cas, la création est, plus que jamais, ouverte à tous.

Et c’est là l’enjeu, enjeu que veut porter European lab : dans un contexte de morosité, en particulier en France, l’art – au sens large – peut être l’un des vecteurs de reconstruction du tissu économique est social. Si un monde est bien en train de mourir à Florange – et, soyons-en hélas convaincus, il ne reviendra pas, c’est le prochain qu’il nous faut rapidement construire. Commençons donc à European Lab du 7 au 11 mai!

Visiter le site http://www.europeanlab.com. Voir mon article sur les makers ici.

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