Risques, opportunités : et si nous changions nos modèles mentaux ?

J’étais invité à donner la conférence d’ouverture des Entretiens Enseignants Entreprises qui se tenaient à l’École Polytechnique le 27 août dernier. Le thème de la conférence était “Risques, opportunités et vice versa.” Ces deux termes, risque et opportunité, sont au cœur de la pensée économique et surtout entrepreneuriale. Or ils sont problématiques dans la façon dont ils sont principalement compris aujourd’hui. Je propose dans ce qui suit de montrer comment ils sont liés l’un à l’autre et surtout vous proposer une autre façon de les concevoir ; autrement dit j’aimerais vous inviter à changer vos modèles mentaux sur ces deux concepts.

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La valeur d’une ressource est relative: Dragon Lady et la création de valeur entrepreneuriale

C’est l’histoire de Cheung Yan. Au cours d’un voyage aux Etats-Unis avec son mari, cette chinoise modeste observe que les Américains consomment beaucoup de papier–plus de 300 kg par personne chaque année. Or elle sait que les Chinois ont désespérément besoin de boîtes en carton pour les produits qu’ils exportent dans le monde entier, carton qui est produit à partir de papier. Elle crée America Chung Nam (ACN) en 1990 sur un investissement personnel de… 3.800$. Son plan est simple: récupérer le déchet papier aux États-Unis et l’exporter vers la Chine.

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Qu’est-ce qu’un marché? Allocation, découverte, création: les trois conceptions

D’où viennent les marchés? Plus spécifiquement, quel est le mécanisme qui transforme l’information nouvelle (invention, découverte, imagination, etc.) en un bien économique? C’est une question fondamentale et pourtant très peu abordée par les économistes. Pour reprendre l’expression de l’économiste Kenneth Arrow, “Bien que nous ne soyons pas explicite à ce sujet, nous postulons réellement que lorsqu’un marché peut être créé, il le sera.” En particulier, les marchés sont traditionnellement supposés exister de manière exogène dans la pensée économique classique, une approche qui est largement reprise dans la pensée stratégique et marketing. Il en résulte que bien que la notion de création de marché ne soit pas explicitement rejetée, la littérature parle en grande majorité d’ouverture de marché, déplaçant la problématique de la création à l’entrée sur le marché. L’alternative est la suivante : Ou bien les nouveaux marchés existent de facto de manière exogène et la question est celle de savoir comment on “entre” sur ces marchés (approche classique), ou bien les nouveaux marchés émergent à la suite de l’évolution technologique et institutionnelle d’une population d’acteurs engagés dans un processus adaptatif et itératif au sein d’un environnement changeant. Trois théories du marché se distinguent logiquement: le marché comme un processus d’allocation, le marché comme un processus de découverte et le marché comme un processus de création. Examinons ces trois théories à la suite.

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Le processus entrepreneurial: une réalité bien éloignée de ce qu’en dit la théorie

Le modèle théorique “classique” du processus entrepreneurial est vu comme une séquence distinguant entre d’une part la découverte d’une opportunité et d’autre part l’exploitation de celle-ci. La découverte de l’opportunité suscite une intention d’entreprendre qui se traduit par la conception d’un plan d’affaire, qui est ensuite mis en œuvre dans la phase suivante. Le processus entrepreneurial classique comporte donc quatre étapes bien distinctes:

Découverte de l’opportunité –> Intention d’entreprendre –> Planification –> Mise en œuvre

Dans la phase de mise en œuvre, on suit ce qui est prévu dans le plan, qui n’est pas supposé changer. Ce modèle est satisfaisant car correspond assez bien au mode de raisonnement cartésien (et platonicien) et positiviste qui domine dans l’enseignement supérieur. C’est pour cela que la majorité des cours d’entrepreneuriat a comme objectif la conception d’un plan d’affaire à partir d’une idée. C’est pour cela aussi que la conception d’un business plan est un pré-requis pour trouver des investisseurs.

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Qu’est-ce qu’un projet entrepreneurial viable?

La question que se pose tout entrepreneur en herbe est celle de la bonne idée. C’est bien connu, il faut une bonne idée pour entreprendre. Une bonne idée, c’est celle qui correspond à une opportunité, c’est à dire à une demande insatisfaite du marché. Une fois qu’on a une bonne idée, il faut bâtir le projet autour de cette bonne idée, trouver les ressources nécessaires et se lancer. Un projet viable, c’est donc une bonne idée, validée si possible par une étude de marché, et un plan solide pour la mettre en oeuvre. Du moins c’est ce qu’on essaie de nous faire croire. La réalité, en fait, est tout autre. C’est ce que suggère l’effectuation, une théorie qui s’intéresse à ce que les entrepreneurs font vraiment.

Un projet ne démarre en général pas par une grande idée. Il démarre par un individu. Vous. Même si vous n’êtes pas riche, vous disposez de ressources: votre personnalité, votre connaissance, et vos contacts personnels. Votre personnalité vous rendra sensible à tel ou tel problème, que d’autres ignoreront. Elle vous fera imaginer telle ou telle solution, à laquelle d’autres ne penseront pas ou qu’ils trouveront impossible. Elle donnera corps à une idée et la fera évoluer de manière spécifique. Donnez une idée à trois personnes, revenez dans un mois, et vous avez trois projets radicalement différents. L’expérience a été confirmé de nombreuses fois. Qui il est, ce qu’il connaît et qui il connaît, voilà trois ressources considérables qui forment le point de départ du projet entrepreneurial. A l’idée initiale, qui peut n’être qu’une intuition, une interrogation ou un problème à résoudre, il faut un déclencheur: des circonstances, une rencontre, qui font qu’on commence à s’y intéresser. Ainsi donc:

Idée = N’importe quoi + Vous

Encore une fois, il faut insister que par idée, on n’a souvent guère plus qu’une intuition ou une interrogation, pas un éclair de génie, parfois même rien: les fondateurs de HP et de Sony ont trouvé leur idée 5 ans après la création de leur société. Au début, la seule “idée” de Hewlett et de Packard, c’était de travailler ensemble pour créer des produits électroniques. Ce qui compte, dès lors qu’on a un “n’importe quoi” qui nous fait tourner autour d’une idée, c’est d’agir. Plus que l’idée, c’est l’action autour d’une idée qui compte. On a tendance à concevoir l’action comme simple mise en oeuvre d’une idée, séparant bien l’une de l’autre dans la grande tradition cartésienne. Mais c’est une erreur. L’action est la vraie source de nouveauté dans le monde. Inutile de passer des heures à réfléchir dans votre chambre. Oubliez les séances de brainstorming et de créativité. Agissez pour donner corps à votre idée et la transformer par l’action en opportunité.

Opportunité = Idée + Action

A ce stade, vous n’avez encore qu’une opportunité, c’est à dire un ensemble d’idées, de croyances et d’actions qui visent à créer de futurs produits ou services. C’est bien, mais c’est peu. Vous n’avez aucune indication de la viabilité du projet, ni de véritable dynamique de celui-ci. Faire un business plan? A ce stade, il ne sera qu’un tas de papier basé sur des hypothèses au mieux fantaisistes. Réfléchir encore? Inutile, vous fonctionnerez en circuit fermé. La solution? Parlez autour de vous et suscitez l’engagement d’autres gens à votre projet. Les ressources dont vous disposez – rappelez-vous: votre personnalité, votre connaissance, et vos relations – vous permettent d’imaginer des objectifs possibles. Ces objectifs vous permettent de convaincre d’autres personnes de vous soutenir. Ce faisant, elles vous apportent de nouvelles ressources. Un bureau mis à disposition, une aide ponctuelle, un engagement d’achat, de la crédibilité, de l’information, etc. Leur engagement fait qu’elles deviennent parties prenantes à votre projet. Dès lors, celui-ci commence à réellement exister hors de votre tête.

Projet viable = Opportunité + Engagement de parties prenantes

Pour qu’un projet soit viable, il faut donc qu’il suscite l’adhésion d’un nombre croissant de parties prenantes – partenaires, employés, clients, etc. C’est cette dynamique sociale qui marque la viabilité du projet. L’adhésion d’une nouvelle partie prenante apporte de nouvelles ressources au projet, qui permettent de définir de nouveaux objectifs, plus ambitieux que les précédents.

En conclusion, un projet entrepreneurial est avant tout un processus social. Il ne s’agit pas d’avoir une grande idée pour chercher ensuite à la mettre en oeuvre, mais d’organiser un processus qui fera émerger non seulement une grande idée, mais inscrira celle-ci dans la réalité. La réflexion, l’action et la recherche de parties prenantes qui s’engagent sont donc les trois axes que les entrepreneurs développent simultanément. L’un ne peut aller sans l’autre. Analysez moins, agissez plus!

➕Pour en savoir plus sur l’effectuation, lire mon article Effectuation: Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment et mon ouvrage d’introduction: Effectuation: les principes de l’entrepreneuriat pour tous.