Covid-19, situation inédite: les décideurs sont-ils coupables d’impréparation?

Il était assez certain que face à l’épidémie du coronavirus, nous allions chercher à identifier des gens qui l’avaient prédite, car le paradigme prédictif nous obsède. Et ça n’a pas raté: certains ont ressorti un rapport de la CIA qui contient une double page évoquant le risque d’une pandémie, d’autres une vidéo de Bill Gates avertissant lui aussi sur ce risque. Nul doute qu’on nous ressortira bientôt une petite grand-mère du Lubéron qui, elle aussi, évoquait depuis un moment une pandémie à venir, et qu’elle fera la une du 20h de TF1. Conclusion des commentateurs: l’épidémie était prévue, les gouvernements ont été prévenus et ils n’ont rien fait! Malheureusement l’histoire ne tient pas, à la fois parce qu’une épidémie relève de l’incertitude, elle n’est donc pas prédictible, mais aussi parce que la recherche de quelqu’un ayant prédit avec succès un événement traduit un biais rétrospectif. Mais surtout, elle ignore difficulté de prise de décision en incertitude.

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Revue de livre: Hard Drive : Bill Gates and the making of the Microsoft empire

Puisqu’on parlait récemment de Steve Jobs, impossible de ne pas mentionner son alter ego Bill Gates. Pour ceux que l’histoire de Microsoft intéresse, la lecture  “Hard Drive- Bill Gates and the making of the Microsoft empire” écrit par James Wallace et Jim Erickson s’impose. Le livre raconte l’histoire de Microsoft depuis la jeunesse de Gates jusqu’en 1992. Le livre est sans concession (apparemment, Gates l’a peu apprécié), très utilisé par les adversaires de Microsoft pendant le procès anti-trust, mais il montre bien les ressorts du succès de l’entreprise: un engagement permanent de Gates, une aggressivité incroyable dans la conduite des affaires, une connaissance parfaite de l’industrie et une maîtrise de la technologie sans égal, une capacité à lier technologie et business et d’en comprendre les enjeux, la capacité de s’entourer de gens capables et compétents, de corriger des erreurs sans tabou, etc. En tout cas, le livre montre bien que le succès de Microsoft n’est pas du à la chance (pour ceux qui le coyaient encore). Il se lit comme un roman.

Open source = communisme = frein à l’innovation? Interview de Bill Gates

Nous y voilà, notre ami Bill Gates a pété les plombs. Dans un entretien avec CNET, Bill est interrogé sur le droit de la propriété intellectuelle, bien évidemment à la lumière du développement de l’open source, mais aussi du “piratage” audio et vidéo sur le Net. Et voici ce que Bill déclare:

(…)There are fewer communists in the world today than there were. There are some new modern-day sort of communists who want to get rid of the incentive for musicians and moviemakers and software makers under various guises. They don’t think that those incentives should exist.

Ainsi donc, le développement du libre équivaut à une re-institution rampante du communisme dont nous pensions bien pourtant nous être débarrassés. Adam Smith avait montré il y a longtemps que le système capitaliste est basé sur l’égoïsme individuel, et que cet égoïsme basé sur l’appât du gain profite à l’intérêt général en favorisant l’initative et l’innovation et en créant de la richesse. De là à conclure que sans appât du gain, il n’y a plus d’innovation possible, il y a un pas que Bill franchit allégrement, mais à tort, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord parce que toutes les études montrent que les innovateurs et entrepreneurs ne sont pas, avant tout, motivés par l’argent. Bien sûr, une jolie carotte en bout de course fait saliver tout le monde, mais ce n’est pas la motivation première. Beaucoup sont motivés par leur ego, par l’envie de gloire, par le désir de construire, d’agir sur le monde, par le style de vie, enfin bref plein de raisons psychologiques plus ou moins avouées. Il n’y a qu’à visiter SourceForge, la base centrale de tous les développements Open Source, pour constater la qualité incroyable des logiciels qui y sont développés par des gens qui ne reçoivent pour cela pas un seul centime. Cela prouve que créativité et innovation ne sont en rien freinés par l’absence de rémunération. Ensuite, parce qu’une partie très importante de la création mondiale de connaissance se fait par des gens relativement peu rémunérés pour cela: les universitaires.
La vérité, et la raison pour laquelle Bill est nerveux, c’est que sans doute pour la première fois, Microsoft est en face d’une rupture d’un genre nouveau, et que Bill sent qu’il y a grand danger. L’Open Source est une menace majeure pour Microsoft, car il représente, non pas une concurrence à laquelle Microsoft pourrait répondre comme il l’a toujours fait, mais une approche radicalement nouvelle de l’informatique. Dénoncer les barbares est une réaction ultra-classique de la firme établie attaquée par une innovation radicale qui la laisse désemparée.

Le lien vers l’entretien : Bill Gates @ CNET