Ce qu’un vieux dessin animé américain nous apprend du manque d’innovation en France

Pourquoi n’y a-t-il pas d’Elon Musk français? La question agite périodiquement le Landerneau politico-journalistique français, et chacun y va de ses explications, mais elle est légitime et importante. Le constat d’un manque d’innovation en France n’est pas nouveau. Alors qu’il a un passé glorieux dans les arts, les sciences et l’industrie, notre pays n’a réussi à créer aucun leader mondial dans les grands domaines d’innovation actuels: biotech, Web, intelligence artificielle, etc. et ceux qu’il a encore sont en danger (Ariane). Un dessin animé américain, dont j’utilise le générique dans mes séminaires, suggère un début de réponse.

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La rationalisation des achats, un obstacle à l’innovation des grandes entreprises

Le médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance (!) Jean-Claude Vollot vient de dénoncer dans un entretien aux Echos le pillage des PMI par les grandes entreprises. On sait depuis longtemps que l’attitude des grandes entreprises françaises vis-à-vis des petites est l’une des causes de la faiblesse du tissu industriel français en PME/PMI, et le constat du médiateur ne fait que renforcer ce diagnostic.

Sans même aborder des pratiques prédatrices, il est important que mentionner la rationalisation des achats des grandes entreprises comme un exemple typique des effets pervers que peut avoir une “bonne” gestion sur la capacité d’une entreprise à innover. En période de crise, il est  normal qu’une entreprise cherche à optimiser ses achats pour réduire ses coûts. On observe donc une implication plus forte des services achats, une pression plus forte sur les prix, et très souvent une diminution du nombre de fournisseurs, car il est bien évidemment plus efficace de gérer quelques fournisseurs de niveau 1 qu’une myriade de petits fournisseurs. Or si son seul mandat est d’écraser les fournisseurs pour avoir le meilleur prix, et si elle tend à diminuer le nombre de ceux-ci pour optimiser les achats, l’entreprise se coupe d’une source potentielle d’innovation très importante. En effet, ces petits fournisseurs sont souvent les plus innovants, ce sont ceux dont l’entreprise peut le plus avoir besoin pour être innovante elle-même. Malheureusement, et presque obligatoirement, leur offre, parce qu’elle est innovante, rentre mal dans le cadre des produits habituellement achetés, des appels d’offres standardisés, et parfois pas même dans SAP. Combien de petites PME ont ainsi désespéré d’avoir à remplir un tableau descriptif générique de leur offre qui effaçait complètement l’originalité de celle-ci? Sans parler de la pratique des acheteurs qui consiste à considérer une offre sous son seul angle de prix en pensant que toutes les offres se valent. Obligés de passer par un fournisseur de niveau 1, ces petites entreprises disparaissent de la vue des grandes entreprises et sont étouffées au passage.

Les directions générales doivent donc prendre conscience que tous leurs fournisseurs ne doivent pas être gérés selon un moule conçu pour acheter des ramettes de papier et des heures de consultant au meilleur prix. Elles doivent travailler avec leur fonction achat pour mettre au point, en relation avec les unités d’affaire, des mécanismes pour gérer des achats « de rupture », pour lesquels le prix n’est pas une variable à optimiser, même si celui-ci reste important.

La résistance des organisations à l’innovation : l’histoire du Lieutenant Sims

A la fin du XIXème siècle, la précision des tirs de la marine américaine était encore approximative : une étude de l’époque indiquait que seuls 121 tirs sur 9.500 atteignaient leur cible ! En 1900, le lieutenant américain William S. Sims, rencontra l’Amiral anglais Percy Scott à l’occasion d’une affectation en Chine. Ce dernier avait mis au point un nouveau système de visée qui compensait le roulis des bâtiments et avait la capacité de multiplier par 30 la précision des tirs.
Sims accumula des données sur le nouveau système de visée pour conforter son opinion et, légitimement enthousiasmé par les performances qu’il découvrait, commença à envoyer des notes au Bureau des Ordonnances de la Marine Américaine (le département R&D de la Marine), à Washington. Il se produisit exactement le contraire de ce qu’il escomptait: il ne reçut aucune réponse…

Au lieu de se décourager, Sims commença à diffuser plus largement à diffuser ses notes sur le nouveau système de visée, jusqu’à acquérir un statut d’empêcheur de tourner en rond. A partir d’un certain stade, l’état-major de la Marine ne put plus l’ignorer ; le bureau des Ordonnances prépara donc un rapport qui expliquait:

1. que la Marine américaine avait les tirs les plus précis du monde et que ce niveau de précision avait grandement contribué au succès des forces américaines dans leur conflit avec l’Espagne,
2. que le nouveau système ne pouvait pas permettre d’obtenir une amélioration des performances dans les proportions décrites par Sims,
3. qu’une amélioration des performances ne devait pas être recherchée du côté de la technologie, mais plutôt du côté de la formation et de l’entraînement des tireurs.

Le lieutenant Sims, qui n’avait plus rien à perdre, commit alors l’impensable ; il fit une synthèse de tous ses rapports et l’envoya directement au Président des Etats-Unis en personne, Théodore Roosevelt. Celui-ci, ancien Secrétaire d’Etat de la Marine, lut le rapport, et au mépris de tous les usages, fit venir Sims à Washington en 1902 avec comme mission… de faire évoluer les dispositifs de visée de la marine américaine !

Les Lieutenants Sims en entreprise ne finissent malheureusement pas tous leurs carrière de cette façon.