L’alcool oui, le peer-to-peer non

Nous sommes un drôle de pays. Un pays dans lequel les députés viennent de voter une loi qui sanctionne les développeurs de logiciels peer-to-peer. Car voyez-vous, si les gens utilisent ces logiciels, eh bien ils peuvent échanger des fichiers soumis à copyright et faire ainsi du mal aux éditeurs de musique. Ce qui n’est pas bien. Pour éviter cela, les députés ont donc interdit le peer-to-peer, et introduit une clause qui pénalise les développeurs de tels logiciels. Suivez-bien la logique: si vous produisez quelque chose qui peut être utilisé pour commettre un délit, vous êtes responsable et pouvez donc être poursuivi. Dans un pays qui subventionne les producteurs d’alcool depuis la nuit des temps, on se pince.
J’attends donc maintenant l’inculpation
– des fabricants de toutes armes blanches et à feu, couteaux de cuisine, etc.
– de tout producteur et vendeur d’alcool et de tabac,
– des fabricants d’automobile,
– des fabricants de tout objet, quelqu’il soit, qui aura été utilisé pour commettre un délit: ciseaux, briquets, vélos, lunettes, pots de yaourt (j’imagine), etc.
Le parlement s’était ridiculisé en votant le CPE sur ordre, puis en votant l’abolition du CPE, sur ordre également, mais cela ne leur a pas suffi. A quand l’interdiction du soleil qui fait de la concurrence à EDF? On s’attend à ce que le Sénat mette bon ordre à cela – on aura vraiment tout vu…

Musique en ligne: les dinosaures contre France Télécom et… Madonna

Les dinosaures ne sont pas contents et le font savoir. Madonna a en effet décidé d’accorder à… France Télécom l’exclusivité de son nouvel album. Les abonnés FT, Orange et Wanadoo pourront en effet télécharger le single de l’album jusqu’au 14 novembre, date de sortie de l’album, et écouter d’autres chansons en streaming.

Le Syndicat des détaillants spécialisés du disque (SDSD) n’a pas apprécié et dénonce vigoureusement l’attitude des éditeurs de musique qui, selon-lui, "favorisent les sociétés de
télécommunications, au détriment de leurs partenaires habituels, qui,
quelles que soient les difficultés du marché, ont poursuivi, en
magasins physiques ou sur leurs plates-formes légales de
téléchargement, leur engagement pour la musique."

Au-delà de l’habile coup marketing de Madonna et de France Télécom, un tel incident montre une nouvelle fois à quel point le monde de la musique est en bouleversement. Il montre aussi que tout le monde n’en a pas pris la mesure. Il nous est arrivé de critiquer les éditeurs de musique sur ce blog pour les inciter à réagir face à la rupture de la musique numérique; on peut donc saluer cette opération comme le signe que, peut-être, cette réaction plus positive que des procès est en marche. En revanche, les vendeurs de disques, eux, n’ont probablement pas pris la mesure de la rupture en cours. Aidons-les un peu: Messieurs, bientôt, plus personne n’achétera de disque en plastique, et il ne sert à rien de blâmer les maisons de disque si elles cherchent d’autres modes de distribution. La fonction de vendeur de disque ne sera bientôt plus nécessaire, autant l’admettre tout de suite et regarder la réalité en face.

Comme nous l’écrivons dans notre livre: "Regarder la dure réalité en face, c’est admettre que votre univers a brutalement changé, que votre entreprise est en danger de mort parce qu’une rupture est en marche qui va remettre en cause les fondements mêmes de votre réussite, aussi brillante soit-elle. Cette admission est la première étape d’une réponse adéquate à la rupture."

Alors oui, le SDSD a raison de constater que les opérateurs télécoms utilisent la musique pour vendre
de la minute de télécommunications, y compris via le peer-to-peer, que
les maisons de disques pourtant condamnent. L’univers de la musique a changé, et les vendeurs de disque sont en danger de mort. A eux de réagir et de s’inventer une nouvelle raison d’exister, car dans l’état actuel des choses, les éditeurs de musique n’auront bientôt plus besoin d’eux, ni personne d’autre d’ailleurs.

Commission d’Albi – CD et DVD, la dîme de la SACEM s’étend

Il existe dans notre pays une chose merveilleuse qui s’appelle la commission d’Albi et dont le rôle consiste à définir – tenez-vous bien – les redevances payées sur les supports de stockage pour rétribuer les auteurs d’oeuvres d’art musicales et audio-visuelles. Vous ne rêvez pas. Le rapport entre les deux? Aucun. Bien discrètement s’est tenue mardi dernier une réunion qui avait pour objet de décider sur quoi d’autre la SACEM allait prélever sa dîme. Les clés USB en l’occurrence. D’un côté la SACEM, de l’autres des associations de consommateurs soit-disant représentatives (moi, je n’étais pas invité et vous non plus). On nous dit que ces associations ont protesté parce que la SACEM était trop gourmande. On nous explique qu’il y eut des cris et des pleurs, mais, embrassons-nous folleville, tout cela finit par un accord. Sur votre dos. Entre gens de bien.

Mais ce n’est pas le niveau de ces taxes qui est révoltant, c’est leur principe même. On demeure confondu qu’une industrie tout entière, celle du support de stockage, soit rançonnée par des intérêts privés sans que RIEN ne puisse le justifier, sinon l’asservissement des pouvoirs en place à la loi du plus fort.

Que je doive verser une dîme à un chanteur ringard lorsque j’achète un disque dur pour archiver mes données personnelles me paraît hallucinant. Suis-je totalement à la masse et tout le monde trouve-t-il cela normal, ou s’agit-il d’un hold-up massif, d’une extorsion de fonds à grande échelle de l’ancien monde sur le nouveau? Faudra-t-il aussi que je paye une dîme aux fabricants de bougies chaque fois que j’allume la lumière?  Et jusqu’où s’arrêtera-t-on? Décision inique, corporatiste, injuste, elle doit être dénoncée pour ce qu’elle est: une mesure rétrograde, qui pénalise l’innovation au bénéfice d’intérêts corporatistes. Et personne ne proteste?

Rassurons-nous, cependant. Comme tous ceux qui le peuvent, j’achéterai mes CD et DVD à l’étranger. Comme d’habitude en France, seront pénalisés ceux qui ne pourront pas se le permettre, les pauvres en l’occurence. Deuxième facteur rassurant: maintenant qu’on paye notre dîme à la SACEM, on a le droit de pirater, non? Réflexion faite, j’achéterai mes DVD en France, et je lance eMule de ce pas. Une question, enfin: cette taxe est-elle légale? Ne viole-t-elle pas la présomption d’innocence?

Promis, pour le prochain post, je serai plus calme. J’essaierai de faire un truc sur la normalisation comme frein à l’innovation, par

exemple.