Le culte du cargo de la transformation digitale

Le logiciel dévore le monde. C’est aussi vrai dans le monde automobile. De plus en plus, une voiture va être un ordinateur sur roues. Les fabricants semblent l’avoir compris, et embauchent à tour de bras des informaticiens pour se mettre à l’heure ‘digitale’. Beaucoup de grandes entreprises dans toutes les industries sont dans la même situation. Seront-ils pour autant capables de se transformer à ce point? On peut en douter. Embaucher plusieurs milliers d’informaticiens ne fait pas de vous une entreprise digitale…

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L’innovation de rupture par le bas: Quand fonctionne-t-elle ou pas?

La théorie de la rupture proposée par le chercheur Clayton Christensen énonce que sur un marché, un acteur a tendance à servir ses clients les plus exigeants, car les plus rentables, ce qui le pousse inéluctablement vers le haut de gamme. Ce faisant, il développe une structure de coût croissante et néglige l’entrée de gamme, qui cesse progressivement d’être attractif pour lui. Inéluctablement, cette entrée de gamme est investie par un nouvel entrant qui, venant du bas, trouve lui ce segment attractif. L’acteur initial est donc expulsé de ce segment, souvent à son grand soulagement. Le problème c’est que le nouvel entrant subit la même attraction pour le segment supérieur, et commence lui aussi à monter, poussant à nouveau l’acteur initial vers le haut. Au bout d’un moment, celui-ci se trouve coincé tout en haut et ne bénéficie plus d’effets d’échelle, ce qui se termine souvent en catastrophe économique. C’est notamment ce qui est arrivé à General Motors qui a entamé sa fuite vers le haut dans les années 60 et a terminé en dépôt de bilan en 2008. Mais ce mécanisme ne fonctionne pas toujours. Regardons pourquoi.

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Rupture par le bas, l’exemple de Landwind, la “lada” chinoise

Le propre des ruptures par le bas, c’est de démarrer en étant méprisé par le haut. Clayton Christensen, dans son livre “The innovator’s dilemma”, distingue en effet deux types de ruptures: D’une part, la rupture technologique, qui consiste à inventer un nouveau type de produit technologiquement très avancé et qui bouscule les autres produits. Le meilleur exemple de rupture technologique est l’iPod d’Apple. D’autre part, la rupture par le bas, qui consiste à attaquer un marché avec un produit simplifié et moins cher. En général, ce type de produit est aussi moins bien. Il est parfois même de qualité médiocre, au moins au début. Dans les années 70, les voitures japonaises étaient la risée des occidentaux: moches, simplistes et plutôt peu fiables. Mais elles n’étaient pas chères et n’imposaient pas à leurs acheteurs des options qu’ils ne désiraient pas. Elles ont donc ouvert un segment qui était de plus en plus frustré par les offres de l’époque, constitué des gens qui voulaient une voiture simple et pas chère. Avec le temps, les voitures japonaises se sont améliorées, jusqu’à définir les standards de qualité après lesquels les constructeurs occidentaux courent toujours. Il y a donc une règle quasi intangible: une rupture par le bas est toujours traitée par le mépris par les acteurs en place, et quand ils se réveillent, c’est trop tard.
A lire la presse ces derniers jours, il se pourrait bien que les voitures chinoises soient en train de suivre le même chemin. Il y a quelques mois, on annonçait l’importation des premières voitures chinoises. Réactions immédiates des “spécialistes”: ces voitures ne sont pas une menace pour les fabricants occidentaux, car leur qualité laisse à désirer. Mais ça n’a pas suffi car les premières voitures livrées sont parties comme des petits pains. On sort donc l’artillerie lourde, et l’on peut lire en ce moment un article du Monde où on nous dit que la Landwind, un tout terrain chinois, est en fait dangeureux. Sans rire, on nous explique même qu’elle devient mortelle à 64km/h. C’est peut-être vrai, mais cela n’empêche pas les clients de l’acheter – sont-ils bêtes; combien de temps les fabricants européens se berçeront-ils d’illusion? Progressivement, les chinois, comme leurs prédécesseurs coréens, et avant eux japonais, amélioreront la qualité de leurs voitures, et entameront leur remontée du bas de gamme vers le haut de gamme. Ca ne se fera pas en deux ans, mais durant cette période, ils peuvent largement s’installer dans un segment important et rentable, et en déloger les autres fabricants.

Mise à jour: Renault a depuis réagi en introduisant sa propre marque bas de gamme, Dacia. Voir mon billet sur la Dacia Logan.

La Renault Logan, un bon exemple d’innovation de rupture “interne”

Le lancement par Renault du modèle Logan est un cas d’école intéressant car il constitue une exception à la thèse de Clayton Christensen selon laquelle les grandes entreprises leader sont incapables de lancer des innovations de ruptures dans leur propre marché.
La pente naturelle de toute entreprise est la montée en gamme de ses produits: alors que l’entreprise se développe, sa structure de coût augmente, son point mort s’élève, elle a donc besoin de produits plus hauts de gamme pour maintenir ses marges. Il est très difficile pour elle de continuer à créer des produits bas de gamme, car ceux-ci ne correspondent plus à sa structure de coût. Un produit haut de gamme apporte de la marge supplémentaire sur une structure de coût inchangée, ce qui est très attractif; à l’inverse, un produit en descente de gamme “mange” la marge sur une structure de coût inchangée, ce qui n’est pas attractif. Les entreprises sont donc facilement victimes de ce que Christensen appelle “la rupture par le bas“. Au bout d’un certain temps en effet, lorsque le leader d’un marché monte ainsi en gamme, il finit toujours par se faire attaquer par une offre bas de gamme. Dans l’automobile, ce fut notamment le cas aux Etats-Unis: alors que Ford avait basé son développement sur le modèle T, trois fois moins cher que ses concurrents, la marque avait progressivement abandonné ce segment pour le moyen et haut de gamme. Dans les années 70, les Japonais envahissent le marché par le bas, et les fabricants américains s’avèrent incapables de répondre en proposant leurs propres modèles. Une fois installés, les fabricants japonais sont inévitablement montés en gamme jusqu’à produire des voitures de luxe comme la Lexus. Ils furent ensuite eux-même attaqués par les Coréens.

Je suis une rupture à moi toute seule! (Source: Wikipedia)

C’est dire si le lancement de la Logan est important: il constitue un rare cas d’une entreprise qui tente de résister à la fuite vers le haut de gamme en proposant le premier modèle à 5000 Euros. Renault est cependant familier du fait: la Twingo était déjà une tentative, réussie, de conserver une présence dans ce segment, mais la voiture n’a jamais été rentable! Elle constitue donc presque une preuve de la difficulté de rester sur ce segment. Pour que le projet Logan soit rentable, l’entreprise a totalement revu ses méthodes de conception et de production (voir mon billet à ce sujet et le livre de Christophe Midler sur le projet Twingo). Comme dans le cas de la Twingo, la résistance organisationnelle à la descente en gamme a été très forte, et le projet n’a été jusqu’au bout que grâce à l’insistance du PDG Louis Schweitzer lui-même. Celui-ci raconte en effet que la direction financière de Renault lui avait démontré, chiffres à l’appui, que la logan ne gagnerait jamais d’argent. Aujourd’hui, le segment low cost de Renault, appelé pudiquement “Global Access”, représente 35% des ventes du groupe et un pilier de sa profitabilité.
On lira avec intérêt l’entretien que Kenneth Melville, le designer écossais de la Logan, avait accordé à BusinessWeek où il explique comment les difficultés de produire une voiture à si bas prix tout en restant rentable ont été résolues grâce à une approche particulière du design.

Pour en savoir plus sur la rupture par le bas, voir mon ouvrage “Relevez le défi de l’innovation de rupture“.

[Mise à jour décembre 2019] Le “père” de la Logan, Gérard Detourbet, est décédé. En savoir plus ici sur cet innovateur de rupture inconnu du grand-public.

[Mise à jour avril 2011]: ce billet posait initialement la question en termes d’opposition entre innovation radicale et innovation continue. Les travaux récents de Christensen insistent sur le fait que l’opposition pertinente est plutôt entre innovation continue et innovation de rupture. La distinction est qu’une innovation peut être radicale (c’est à dire très fortement novatrice) mais pour autant correspondre assez bien au modèle économique de l’entreprise. Une innovation est de rupture lorsqu’elle s’accompagne d’un modèle économique nouveau, souvent incompatible avec le modèle existent de l’entreprise, ce qui explique la difficulté. Voir mon billet plus récent sur cette opposition continue/rupture.