Innovation et société: La dangereuse tentation des moratoires

Il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu’une personnalité française n’exige un moratoire. Moratoire sur la 5G, moratoire sur les OGM, moratoire sur les vaccins, ou encore moratoire sur les entrepôts Amazon, accusés d’être destructeurs pour l’emploi et pour l’environnement et de constituer une concurrence déloyale pour les commerces de proximité. Beaucoup de commentateurs se moquent, mais c’est une réaction profonde et il faut la comprendre car elle touche beaucoup de nos concitoyens. Que traduit ce souhait des moratoires? Et surtout, quelles en sont les conséquences?

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La grille de lecture, un concept important en stratégie de rupture

La réaction d’une organisation face à un changement profond de son environnement (rupture technologique, changement de régulation, etc.) fait l’objet depuis longtemps de travaux de recherche. Pour certains auteurs, un concept important émerge pour décrire cette réaction, celui de grille de lecture (frame en anglais). L’idée est que face à une rupture, l’organisation a besoin de repenser sa manière de voir le monde. Les anciens concepts ne fonctionnent plus, les concurrents changent, l’ambiguité est forte, etc. C’est par exemple Kodak qui prend de plein fouet la révolution numérique et doit transformer son métier de chimiste à informaticien et électronicien. Il s’agit donc en quelque sorte d’effacer l’ancienne grille de lecture et d’en recréer une nouvelle, qui permettra ainsi de guider une nouvelle stratégie.

La notion de grille de lecture est introduite par la littérature psychologique et cognitive, et elle s’applique fort bien à la stratégie. Parmi les travaux typiques et intéressant, citons ceux de Clarke Gilbert, professeur à Harvard, auteur d’une thèse sur la réaction de la presse écrite face à Internet qui montre bien l’évolution de la grille de lecture, forcée par la marche folle des évènements (malheureusement, sa thèse n’est disponible qu’en papier). Gilbert est également l’auteur d’un working paper intitulé “Can competing frames coexist” où il montre que la difficulté de réaction d’une organisation face à une rupture n’est pas toujours due uniquement à un problème d’engagement (commitment) envers son environnement actuel qui l’empêche d’embrasser le changement (thèse promue par Clayton Christensen). Au contraire, la difficulté naît de la manière dont la rupture est perçue par l’organisation. Perçue comme une menace, la rupture entraîne une rigidification et une paralysie (threat rigidity). Perçue comme une opportunité, la rupture entraîne au contraire une réaction positive. Sur la notion de frame, on pourra également lire les travaux de Sarah Kaplan, professeur à Wharton, et auteur de “Framing contest: micro-mechanism of firm response to technical change“. L’idée développée est que face à un “nouveau monde”, le processus stratégique se ramène à une mise en concurrence de différentes grilles de lecture, d’abord au niveau individuel, puis au niveau du groupe, du département et enfin de toute l’organisation, dans une vision “partagée” mise à jour. La stratégie consiste donc à construire cette grille de lecture commune. Toujours de Sarah Kaplan, mentionnons un autre article intéressant sur le rôle du facteur cognitif dans la réponse de l’organisation face à une rupture, dans le cas particulier de l’industrie pharmaceutique: “Discontinuities and senior management – assessing the role of recognition in pharmaceutical firm response to biotech“.