Le rôle social du commerçant

Nous sommes prisonniers de modèles mentaux profonds et invisibles. L’un de ces modèles est l’opposition très française entre l’économique et le social, le premier étant moralement suspect tandis que le second est noble. Cette séparation est illustrée en particulier par l’image négative du commerçant considéré comme égoïste, asocial et motivé uniquement par des considérations jugées bassement matérielles. Parce qu’elle repose sur une méconnaissance de l’économie, et en particulier du lien intime entre l’économique et le social, cette opposition est contre-productive et coûteuse. Non seulement le commerçant a un rôle économique important mais il a également un rôle social essentiel. Et ces deux rôles sont les deux faces d’une même pièce.

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État stratège: coûteuse rhétorique ou idée d’avenir?

Certaines idées ne meurent jamais et l’idée d’un État stratège refait surface à l’occasion de la crise du coronavirus. Après le fiasco des masques dans la crise du coronavirus, il y a quelque chose d’étrange à défendre une telle idée, mais la question est plus subtile qu’elle en a l’air; l’idée n’est pas absurde en soi, à condition que l’on s’entende bien sur ce qu’on appelle stratège et sur ce que ça recouvre comme sens.

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Leçon de crise: Le consumérisme s’oppose-t-il à la vie?

Avec la crise du coronavirus, chacun s’affaire à penser le “monde d’après”. Dans une tribune publiée par le Monde, Juliette Binoche, Robert de Niro et deux-cent artistes et scientifiques appellent à refuser un “retour à la normale” après la crise, estimant que “le consumérisme nous a conduits à nier la vie en elle-même: celle des végétaux, celle des animaux et celle d’un grand nombre d’humains”. La tribune est intéressante parce qu’elle oppose consumérisme et vie, alors qu’en général on produit et on consomme pour vivre. Que traduit cette opposition? En fait elle n’a rien de nouveau et cela fait bien longtemps que les artistes et les intellectuels méprisent ce qu’ils appellent le “consumérisme” (sans le définir) hier au nom de la morale, aujourd’hui au nom de la sauvegarde de la planète. Pour le comprendre, on peut faire un détour par La Bohème, le célèbre opéra de Puccini.

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L’erreur de Mandeville et ses abeilles: éthique individuelle et bien commun

Je suis tombé pendant mes lectures d’été sur un texte très intéressant de Gilles Martin consacré au bien commun qui oppose Robespierre et Bernard Mandeville, l’auteur de la fameuse Fable des abeilles. La question posée est la suivante: êtes-vous plutôt Robespierre, pour lequel le bien commun doit être défini par un dictateur vertueux (la vertu comme principe premier), ou Mandeville, pour lequel le bien commun résulte du vice des individus auquel on laisse libre cours (le vice comme principe premier)? Naturellement, dès qu’on m’offre un choix binaire, je sors mon clavier et je réponds “Ni l’un ni l’autre mon général”.

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L’innovation incrémentale, secret de l’industrie allemande?

Le dynamisme époustouflant de l’économie allemande met actuellement la technocratie française en émoi. Cela fait au moins un siècle que l’économie allemande est plus dynamique que l’économie française, mais le différentiel de croissance intervient dans un contexte particulier: souvenez-vous, il y a deux ans, on nous expliquait que le modèle français, si supérieur, allait nous protéger de la crise. Moins souple, moins internationalisée, moins différenciée, plus agricole et moins dépendente des secteurs en pointe, l’économie française réagit moins aux crises mondiales. C’était déjà le cas dans les années 30 et ça le reste aujourd’hui. La faiblesse de nos performances (chômage, croissance, commerce extérieur, déficits) a rapidement démenti l’argument de la soit-disante supériorité du modèle français et l’on n’entend guère plus celui-ci ces derniers temps. C’est plutôt la panique qui prévaut.

Il faut dire que le récent rapport COE-Rexecode remis à Eric Besson, ministre de l’industrie, révèle une situation inquiétante. Selon celui-ci, on constate d’abord un recul historique des parts de marché françaises, et une divergence croissante des coûts salariaux et des marges. C’est le résultat de politiques publiques opposées: Il y a dix ans, alors qu’ils adoptaient une monnaie commune, les deux pays ont conduit des politiques du travail opposées. L’Allemagne a engagé des réformes profondes, allégé les charges sur le salaire, et adopté une politique de compétitivité assumée par l’opinion. La France en revanche a fait le choix d’une réduction uniforme de la durée du travail sans baisse de salaire. Cette contrainte a entraîné une hausse des coûts salariaux et bloqué la capacité d’adaptation et réduit les marges financières des entreprises.

Au-delà, la réussite de l’économie allemande est aussi due aux entreprises elles-mêmes et aux choix stratégiques qu’elles font. Selon l’hebdomadaie The Economist, les entreprises allemandes ont développé un mélange équilibré d’ingénierie, de technologie et de service qui leur a permis d’accroître leurs parts de marché, en devenant excellentes dans les segments qui nécessitent une innovation constante, essentiellement incrémentale. On trouve des firmes allemandes, en général des PME, leaders dans des secteurs peu glamour comme les machines-outils ou les presses à imprimer. Loin des projets d’innovation de rupture, loin de la high-tech, les entreprises allemandes se spécialisent dans des secteurs à forte valeur ajoutée non pas via la technologie, mais via le service et la souplesse de l’offre. On peut aussi ajouter que les entreprises allemandes jouent à fond la carte de la mondialisation, alors qu’en France, nous passons notre temps à décrirer celle-ci.

Voilà. On peut accuser les politiques publiques et on a sûrement raison, mais le secret de l’industrie allemande est industriel: d’une part un tissu du PME très dynamiques qui excellent dans des niches, et d’autre part une approche de l’innovation presque exclusivement incrémentale, faite d’amélioration continue des produits. PME et innovation incrémentale. Nous voilà loin du modèle français poussé depuis des décennies par la technocratie française qui consiste à financer les grands-projets des grandes entreprises à grands coups de milliards… En France, tout est grand, grand, grand. Peut-être faut-il s’intéresser plutôt au mot “petit”. petit + petit + petit, ça finit par faire grand, et l’Allemagne nous le montre tous les jours.