Bienvenue au capitalisme français des copains de promo, Monsieur Hollande!

Ainsi donc s’il est élu, François Hollande veut rapidement réunir les patrons des entreprises du CAC 40 – les plus grosses entreprises françaises, en bref – et leur dire  “Vous êtes les fers de lance de l’économie française. Nous avons besoin de vous et vous avez besoin de l’État. Nous devons relever ensemble le défi du redressement de la France”. (source) Pour reprendre l’expression de l’économiste Frédéric Bastiat, ce qu’on voit derrière cette annonce martiale, c’est le volontarisme (“Retroussons nos manches”) et l’ouverture (“Vous voyez, je n’ai finalement rien contre les grands patrons”). Mais il faut aussi regarder ce qu’on ne voit pas…

(suite…)

Quo vadis Quaero? L’erreur de l’agence pour l’innovation industrielle

On lira avec intérêt l‘analyse faite par Loic Le Meur du projet Quaero qui vient de récolter rien moins que 90 patates de l’agence pour l’innovation industrielle pour développer, semble-t-il, un moteur de recherche. Ou 260 patates, personne ne sait vraiment. Loïc donne dix raisons, qui toutes me semblent justes, pour lesquels selon lui le projet va échouer. Nous avons dit sur ce blog tout le mal que nous pensons de l’Agence pour l’Innovation Industrielle, qui nous semble viciée tant sur le fond, par l’idéologie qui la sous-tend, que sur la forme, par la manière dont elle fonctionne, et l’analyse de Loïc ne nous fait guère changer d’avis. On lira également l‘analyse de Daniel Kaplan, de la FING, qui rejoint lui aussi Loïc, en soulignant surtout les véritables risques de l’approche fermée et secrète du projet.

On nous reprochera naturellement, comme on l’a reproché à Loïc, de faire du mauvais esprit, d’être négatif… voir jaloux. N’est-ce pas en effet satisfaisant qu’un effort industriel français soit encouragé par l’Etat? Et moi et moi et moi… Bien sûr il faut se réjouir quand un projet innovant est soutenu par l’Etat. Mais parce qu’il s’agit de fonds publics, on a le droit de se demander pour quoi, sur quels critères et dans quelles conditions ces fonds ont été attribués. On a aussi le droit de faire connaître ses doutes quand à la pertinence de tels investissements, a fortiori lorsque la démarche est entourée d’un tel secret. En outre, il ne faut jamais oublier que l’argent investi dans un endroit ne l’est nécessairement pas dans un autre (ou comme le disait Frédéric Bastiat, il y a ce qu’on voit mais il ne faut pas ignorer ce qu’on ne voit pas). La question devient alors “Quitte à dépenser 90 patates, n’aurait-il pas été plus souhaitable de les dépenser ailleurs?” Et là, bien sûr, la réponse est évidemment oui. A côté du grand théâtre de l’AII se débattent des dizaines d’entreprises qui ne parviennent pas à trouver des fonds pour démarrer ou se développer en raison de l’indigence du système financier français; les crédits des diverses agence de développement (aide au commerce extérieur par exemple) sont asséchés, comme me le confiait il y a quelques jours un responsable du ministère. Il n’y a plus d’argent, car l’argent est employé pour des projets médiatiques comme ceux de l’AII. On aurait aimé que le débat sur le problème de l’innovation française, au lieu de se conclure avant même d’avoir commencé par une solution colbertiste absurde, soit l’occasion de se poser les vraies questions, celle notamment de l’émergence d’un véritable écosystème de l’innovation et de l’entrepreneuriat. Mais ce sera visiblement pour une autre fois…

Voir mon billet sur la création de l’Agence pour l’Innovation industrielle.

Agence de l’Innovation Industrielle: quelques précisions utiles

Pour les heureux participants de l’atelier sur l’innovation organisé par l’ANRT le 9 mars dernier, le repas aura été un moment particulièrement intéressant. Pas tant pour des raisons culinaires que parce que le directeur de l’Agence pour l’Innovation Industrielle (un monsieur Havas je crois) avait accepté d’y prononcer un discours. Peu regrettèrent ensuite d’être venus.
En substance, nous a-t-il dit, l’AII est conçue pour soutenir des projets très ambitieux, sur lesquels elle met le paquet financièrement. Mais attention, il faut vraiment que ce soit ambitieux et que ça ait une chance de devenir leader au niveau mondial. Par ambitieux, le directeur entend “atteindre 10 à 15% de part de marché”. Glurps, un leader à 15% de part de marché? Mais ce n’est pas tout. Comme on mise sur des gens qui doivent devenir leader, on sélectionne des entreprises qui ont déjà une certaine taille, comprenez-bien. Seules, en effet, voyez-vous, les très grandes entreprises peuvent lutter à ce niveau, et c’est donc elles qu’il faut financer. Enfin c’est ce qu’on pense dans les hautes sphères françaises. Oh bien sûr, on exigera la présence d’une PME (entendez: 500 personnes c’est ce qu’ils appellent petit) pour décorer. En outre, comme il s’agit d’argent public, et que le directeur a clairement fait comprendre qu’ils étaient sérieux sur l’évaluation, il n’est pas question que l’AII finance des projets que les entreprises auraient fait toutes seules. Non, l’AII préfère financer des projets que les entreprises n’auraient pas fait sans elle. En outre, les programmes seront régulièrement évalués. Au moindre manquement, crac, projet supprimé: l’innovation n’a qu’à bien se tenir. Fini l’innovation en retard! Quels sont les sujets d’avenir sur lesquels miser? Là, le directeur est plus vague, mais il souligne l’importance de ne pas succomber aux effets de mode, de viser le long terme. Du sérieux vous dis-je, il est temps de mettre de la rigueur dans l’innovation! Et cette perle: “Imaginez qu’on découvre du pétrole en Alaska, ce ne serait plus la peine d’investir dans des voitures électriques”. On évacue discrètement trois personnes de la salle prises de syncope.

Je résume: un comité d’énarques, plus compétents semble-t-il que les investisseurs industriels, va décider de ce que sont les grands domaines d’innovation. L’AII signera de gros chèques pour des projets que les entreprises n’auraient jamais, dans leurs rêves les plus fous, songé à faire, mais là, vu qu’on leur paie, pourquoi se gêner. Là, j’ai osé une question en demandant au directeur comment, dans ces conditions, l’AII aurait évalué des gueux comme Google, Microsoft, Apple et Skype, démarrées par des types dans un garage. Réponse “Ah, mais des les TIC c’est différent”. Sauf qu’un des projets financés par l’argent du contribuable est un Google-bis, la seule différence étant que notre Google à nous n’a pas de business modèle – mais quand on est financé par le contribuable, pourquoi s’en soucier? Ils doivent bien se marrer dans la Silicon Valley…

On se rassurera donc: en France, rien n’a changé, Colbert est toujours aux manettes. Le changement et l’innovation ne peuvent venir que d’en haut, ils doivent être pilotés par l’Etat qui, chacun le sait, a tant réussi dans le domaine. Les mêmes qui hier ont investi dans Bull en ignorant Cap Gemini et Business Object nous refont le même coup; ils n’ont rien compris ni rien appris de leurs échecs. L’idée que l’avenir technologique n’est plus planifiable – s’il l’a jamais été – ne leur a toujours pas traversé l’esprit. Pas plus que l’idée que ce sont les startups qui innovent vraiment, et que celles-ci échappent au radar des technocrates. J’ai un ami qui dit toujours: “On a vingt ans de retard sur l’URSS, mais on le rattrape à grand pas”. Grâce à l’AII, le retard a été réduit d’au moins dix ans.

Sur le Google français, voir mon billet “Quo vadis Quaero“. Voir aussi “Deux fois plus bête“.

Agence de l’innovation industrielle: deux fois plus bête

Dans la ferme des animaux, l’ouvrage inoubliable de George Orwell qu’on devrait s’imposer de relire tous les ans, les animaux prennent le contrôle de la ferme. Chaque fois que les choses empirent, les chevaux concluent qu’il faut travailler plus dur. Mais surtout ne pas changer de méthode. Avant même que l’AII ait montré son inanité, le nouveau premier ministre vient de doubler son budget, qui passe de 500 millions à 1 milliard d’Euros. Ca fera donc 500 millions d’Euros de gaspillés en plus. 500 millions pour des “grands” projets comme on les aime en France. Tous ceux qui ont monté de tels projets, ou participé au montage de tels projets, savent le gaspillage qu’ils entraînent. Bien sûr, notre premier ministre a pris soin de souligner qu’il fallait “s’assurer que les PME puissent bénéficier au côté des grands groupes de la part qui leur revient.” Voilà, vu de Matignon, l’économie vue comme une grande distribution de sucreries avec chacun la “part qui lui revient” de subsides. Les grandes entreprises française se lanceront à l’assaut du gâteau comme elles savent si bien le faire – plutôt qu’aller en Chine chercher de nouveaux clients – et laisseront quelques miettes à des PME qui perdront elles aussi leur temps à courir la subvention et cirer les pompes au lieu de trouver des clients.
Feu d’artifice final, le premier ministre, qui a probablement découvert l’économie il y a quelques semaines, a déclaré: “Nous devons être en mesure de financer facilement et dans des délais rapides de grands projets technologiques. Ce sont eux qui porteront le dynamisme de l’industrie française de demain. Ce sont eux qui attireront dans notre pays les meilleurs chercheurs et les ouvriers les plus qualifiés.” Miracle, il suffisait de le vouloir et d’appuyer sur le bon bouton pour que le dynamisme de l’industrie française soit assuré. Quand on pense que Raffarin n’a pas trouvé le-dit bouton. Non monsieur Villepin, personne ne pense plus que ce sont les grands projets qui assureront le dynamisme industriel de la France. Au contraire, ils l’étouffent. Ce dynamisme sera assuré par un tissu industriel vivant et diversifié, composé d’entreprises performantes de toutes tailles. Chacun sait en effet que le dynamisme français est aujourd’hui pénalisé par la faiblesse des PME. L’action de l’Etat doit donc consister à aider à faire emerger cet écosystème, pas à subventionner les mastodontes. Avec 500 millions, l’AII se trompait d’époque. Avec 1 milliard, elle se trompe doublement d’époque.

« Le plan Beffa fait fausse route »

Allez, on ne s’en lasse pas. Voici l’interview de André-Yves Portnoff, du groupe “Futuribles”, parue dans Electronique sur le plan Beffa et l’Agence pour l’Innovation industrielle: “Tout porte à croire que les diagnostics établis ne vont pas assez loin et conduisent à des actions, soit insuffisantes, soit dépassées, car elles ne s’attaquent pas aux racines du mal.” Le texte complet:

http://www.electronique.biz/editorial/276055/politique-industrielle/-le-plan-beffa-fait-fausse-route-/

Voir mon billet sur la création de l’agence.

Rapport Beffa : l’illusion d’une potion magique au manque d’innovation français

On ne se lasse pas de revenir sur le rapport Beffa sur l’innovation française. A ce sujet, il faut mentionner un excellent article de Danièle Blondel, professeur émérite à Paris-Dauphine, paru dans Les Echos du 25 février. Intitulé “La potion magique”, il tire à boulets rouges sur le rapport et la logique dépassée qui l’inspire. Pour mémoire, le docteur Beffa, appelé au chevet de l’industrie française qui n’innove pas assez, a recommandé la création d’une agence de l’innovation destinée à financer de grands projets industriels modelés sur ceux des années 70.
Selon Danièle Blondel, le raisonnement de Jean-Louis Beffa pose quatre problèmes: il ignore le rôle des scientifiques, il méprise le rôle des entrepreneurs, il voit l’Etat comme le gestionnaire de la politique d’innovation et il voit la grande entreprise comme le fer de lance de cet effort.

  • Il ignore le rôle de la recherche scientifique, pourtant fondamental, continuant en cela une grande tradition française d’isolation entre des penseurs et des créateurs. Or les choses ont commencé à changer, avec de plus grands échanges entre scientifiques et industriels, notamment grâce à la loi Allègre; mais cela reste encore insuffisant et il faut développer de tels échanges;
  • Il méprise le rôle des créateurs d’entreprises innovantes dans une quête de compétitivité. En véritable représentant de l’establishment politico-industriel français, Jean-Louis Beffa pense “Etat + Grande entreprise”, et voit dans leur association le seul moteur de la croissance et de l’innovation. Inutile de dire qu’une telle vision est en totale opposition avec la vision de plus en plus acceptée d’un rôle crucial des petites entreprises dans le processus d’innovation.  Il ne s’agit naturellement pas d’opposer grandes et petites entreprises, mais ignorer les startups, et en particulier ignorer la dynamique entrepreneuriale qui se développe actuellement en France, c’est se tromper d’époque.
  • Il voit l’Etat comme le gestionnaire exclusif de la politique d’innovation. Dans la grande tradition colbertiste française, Jean-Louis Beffa confond invention et innovation, et oublie donc le rôle crucial du marché dans le processus d’innovation. Une innovation, c’est une invention validée par un marché, grâce au travail de l’entrepreneur – grand ou petit. Certes, l’Etat peut jouer un rôle dans l’encouragement à l’innovation, par divers moyens, en jouant sur l’offre (exemple des subventions Anvar, formation d’ingénieurs et d’entrepreneurs) et sur la demande (comme client), mais ces actions sont de plus en plus le fait de collectivités locales et d’institutions para-étatiques, que de l’Etat lui-même, ossifié et lent, dont on ne comprend pas au nom de quoi il serait plus compétent que les acteurs socio-économiques pour décider d’une politique industrielle.
  • Plus pernicieusement, Jean-Louis Beffa prévoit d’encourager des champions nationaux, c’est à dire, en substance, de donner de l’argent aux gros, à ceux qui en ont déjà, et qui n’innovent guère. Blondel remarque finement à ce sujet que “Ce ne sont pas les gestionnaires de diligences qui ont créé les chemins de fer.” On voit mal en quoi donner quelques dizaines de millions supplémentaires à de grandes entreprises, qui viennent d’annoncer des profits records, les inciteront à innover mieux et plus, et on semble plus proche des “petits cadeaux entre amis”. On peut prévoir sans difficulté que dans la perspective de la carotte offerte, de grands projets seront lancés, qui créeront les concordes, Bull, paquebot France et autres Crédit Lyonnais des années 2010. Quand, dans le même temps, on connaît les difficultés que rencontrent les petites entreprises à trouver des financements modestes (essayez de lever 100KE et vous verrez), une telle vision est attristante. Il faudrait au contraire travailler sur cet ‘equity gap’, trouver des relais pour les fonds d’amorçage, là encore comme avait commencé à le faire les mesures Allègre (Claude, reviens!).

Au fond, ce que l’article souligne, c’est le manque de pragmatisme, et la déconnexion avec la réalité que traduit le rapport Beffa, issu d’un autre âge, celui où les têtes pensantes de la technocratie française – j’allais dire soviétique – planifiaient le développement économique. Mais le monde a changé, les “champions nationaux” sont parfois rachetés par des investisseurs étrangers, le modèle prôné par le rapport Beffa n’existe plus. Au lieu de se lancer dans de prétendues grandes choses, il eut mieux valu passer en revue les problèmes et les causes du manque d’innovation française. Plus de micro, moins de macro, en bref.

Voir mon billet sur l’agence de l’innovation industrielle créée à la suite du Rapport Beffa: “Agence de l’innovation industrielle: une mauvaise solution à un vrai problème?

Agence de l’innovation industrielle: une mauvaise solution à un vrai problème?

Dans son rapport remis au président de la République, Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, préconise un nouveau partenariat public-privé par le biais d’une “agence de l’innovation industrielle” (AII) à créer.
Ce rapport diganostique un “décrochage” de la France en matière industrielle et technologique dû à une trop faible spécialisation dans les industries de haute technologie. Ce décrochage se traduit par un recul global du poids de la France dans la valeur ajoutée des industries manufacturières. En bref, la France glisse vers les industries à faible valeur ajoutée, incapable d’investir dans les hautes technologies et l’innovation. Solution préconisée? La relance de la politique industrielle.

Selon le rapport, en effet, les pays qui réussissent sont ceux qui ont des systèmes combinant l’action d’entreprises privées et l’action des pouvoirs public. D’où l’idée de l’AII. L’agence apportera un soutien “ciblé” aux activités de R&D dans le cadre de grands “programmes mobilisateurs”. L’agence doit être aussi un nouveau lieu de “prospective industrielle”.

Sur le constat lui-même, et même s’il faut toujours se méfier des thèses de “déclin”, il est certain que la France n’investit pas assez dans la recherche et l’innovation. Il est donc heureux que les autorités, et les industriels en la personne de Jean-Louis Beffa, s’en alarment et essaient de faire quelque chose. Sur la solution préconisée, en revanche, on peut être plus dubitatif. D’abord parce que l’AII semble furieusement gaullo-pompidolienne : une agence de technocrates créant de grands projets façonnant la politique industrielle de la France. On sent quelques fantômes se rapprocher… : le plan Calcul, Bull, le Concorde, sans parler du Crédit Lyonnais.  Ensuite parce que des organismes s’occupant d’innovation, en France, il en existe déjà beaucoup. Quid de l’ANVAR? du CNRS? de l’INRIA? Depuis plusieurs années ces organismes – et bien d’autres – ont mis en place des politiques de partenariat et de valorisation de la recherche très efficaces. Certes, rien de grandiose mais un travail au quotidien qui a une vraie valeur industrielle. Ensuite, parce que donner deux milliards d’Euros à une nouvelle structure étatique alors que les universités et centres de recherche sus-mentionnés meurent de faim paraît insensé. Pourquoi ne pas s’attacher à améliorer ce qui existe – et il n’en faudrait pas beaucoup – au lieu d’ajouter une couche bureaucratique?
La solution au manque d’innovation ne réside probablement pas dans une nouvelle approche technocratique, mais bien plutôt dans le développement d’une culture entrepreneuriale. Et heureusement, cette culture s’est considérablement développée en France ces dernières années. Les effets ne sont pas encore là, l’impact macro-économique ne se fait pas encore sentir, mais quiconque fréquente les universités, grandes écoles et autres centres de recherche – sans parler des myriades de startups – ne peut qu’être frappé par le changement opéré dans ce domaine dans un pays où, il y a seulement quelques années, il était impensable de créer une entreprise. Jean-Louis Beffa est peut-être en retard sur son temps…

Voir sur le même sujet mes billets “Agence pour l’innovation industrielle, quelques précisions utiles” et Rapport Beffa : l’illusion d’une potion magique au manque d’innovation français. Voir un autre billet sur l’un des projets financés par l’AII, Quaero: Quo vadis Quaero.