Le pessimisme français n’est pas justifié

L’excellente initiative “Toujours pas de Pétrole”, qui affirme vouloir promouvoir le modèle d’innovation à la française, mais qui en réalité est une vaste entreprise d’optimisme ô combien nécessaire, mentionne un article récent de l’hebdomadaire The Economist “Reforming gloomy France”, qui souligne les atouts de la France dans les années à venir. Certes notre pays connaît des difficultés, mais tout n’est pas noir loin de là. Le pessimisme mis en avant par les médias cache un dynamisme important, notamment du côté entrepreneurial, qui fait que la France dispose de nombreux atouts dans la mondialisation. A nous de les faire jouer.

Et si, au fond, comme le faisait remarquer récemment Dominique Reynié, l’enjeu de l’élection présidentielle à venir, c’était précisément de définir la place de la France dans la mondialisation?

Le billet de Toujours pas de pétrole ici.

L’innovation incrémentale, secret de l’industrie allemande?

Le dynamisme époustouflant de l’économie allemande met actuellement la technocratie française en émoi. Cela fait au moins un siècle que l’économie allemande est plus dynamique que l’économie française, mais le différentiel de croissance intervient dans un contexte particulier: souvenez-vous, il y a deux ans, on nous expliquait que le modèle français, si supérieur, allait nous protéger de la crise. Moins souple, moins internationalisée, moins différenciée, plus agricole et moins dépendente des secteurs en pointe, l’économie française réagit moins aux crises mondiales. C’était déjà le cas dans les années 30 et ça le reste aujourd’hui. La faiblesse de nos performances (chômage, croissance, commerce extérieur, déficits) a rapidement démenti l’argument de la soit-disante supériorité du modèle français et l’on n’entend guère plus celui-ci ces derniers temps. C’est plutôt la panique qui prévaut.

Il faut dire que le récent rapport COE-Rexecode remis à Eric Besson, ministre de l’industrie, révèle une situation inquiétante. Selon celui-ci, on constate d’abord un recul historique des parts de marché françaises, et une divergence croissante des coûts salariaux et des marges. C’est le résultat de politiques publiques opposées: Il y a dix ans, alors qu’ils adoptaient une monnaie commune, les deux pays ont conduit des politiques du travail opposées. L’Allemagne a engagé des réformes profondes, allégé les charges sur le salaire, et adopté une politique de compétitivité assumée par l’opinion. La France en revanche a fait le choix d’une réduction uniforme de la durée du travail sans baisse de salaire. Cette contrainte a entraîné une hausse des coûts salariaux et bloqué la capacité d’adaptation et réduit les marges financières des entreprises.

Au-delà, la réussite de l’économie allemande est aussi due aux entreprises elles-mêmes et aux choix stratégiques qu’elles font. Selon l’hebdomadaie The Economist, les entreprises allemandes ont développé un mélange équilibré d’ingénierie, de technologie et de service qui leur a permis d’accroître leurs parts de marché, en devenant excellentes dans les segments qui nécessitent une innovation constante, essentiellement incrémentale. On trouve des firmes allemandes, en général des PME, leaders dans des secteurs peu glamour comme les machines-outils ou les presses à imprimer. Loin des projets d’innovation de rupture, loin de la high-tech, les entreprises allemandes se spécialisent dans des secteurs à forte valeur ajoutée non pas via la technologie, mais via le service et la souplesse de l’offre. On peut aussi ajouter que les entreprises allemandes jouent à fond la carte de la mondialisation, alors qu’en France, nous passons notre temps à décrirer celle-ci.

Voilà. On peut accuser les politiques publiques et on a sûrement raison, mais le secret de l’industrie allemande est industriel: d’une part un tissu du PME très dynamiques qui excellent dans des niches, et d’autre part une approche de l’innovation presque exclusivement incrémentale, faite d’amélioration continue des produits. PME et innovation incrémentale. Nous voilà loin du modèle français poussé depuis des décennies par la technocratie française qui consiste à financer les grands-projets des grandes entreprises à grands coups de milliards… En France, tout est grand, grand, grand. Peut-être faut-il s’intéresser plutôt au mot “petit”. petit + petit + petit, ça finit par faire grand, et l’Allemagne nous le montre tous les jours.

Les marchés bilatéraux

Un article très intéressant de The Economist mentionnait récemment les travaux récents dans le domaine que les économistes appellent les marchés bilatéraux (two-sided markets). Un marché est dit bilatéral quand l’offre et la demande sont interdépendants pour créer le marché. Par exemple, si vous décidez de lancer une nouvelle carte de crédit, les clients ne la prendront que si un nombre minimum de commerçants l’acceptent. Inversement, les commerçants ne l’accepteront que si un nombre minimum de clients la possèdent et l’utilisent. La rupture d’un tel cercle vicieux ne peut se faire qu’avec des stratégies de tarification particulières. Par exemple, pour lancer sa Xbox, confrontée au même type de problématique, Microsoft subventionne les développeurs de jeux, et vend sa machine à perte. L’idée est que plus il y aura de machines vendues, plus les fabricants de jeux seront incités à produire une version pour la Xbox,… ce qui augmentera les ventes de Xbox. On retrouve cette problématique dans de nombreuses industries: compagnies aériennes avec leurs programmes de miles, cartes de crédit, mais aussi et surtout dans la technologie avec la fameuse notion de plates formes: intel, Microsoft Windows, Palm, etc. Autant la rupture du cercle est difficile, autant pour celui qui y arrive, les bénéfices sont importants. Car une fois que le marché
bilatéral est établi, et pour peu qu’il soit bien géré, il constitue  souvent une forteresse proche d’un monopole. Ce qui explique l’intérêt des économistes et, surtout, des régulateurs. La subvention initiale est souvent vue comme du dumping surtout si elle vient d’un acteur fortement établi dans d’autres domaines (ex: Microsoft). Le monopole résultant, au lieu d’être vu comme la juste rétribution d’un effort de subvention, est vu comme une pratique anti concurrentielle. On conçoit dans ces conditions que la tarification soit très complexe, car il y a manifestement interdépendance entre plusieurs produits. La stratégie des fabricants d’imprimantes est identique: vendre l’imprimante couleur à perte (50 euros) et se rattraper sur la cartouche lorsque le client est “prisonnier”.

La publication (en libre accès) du papier de Jean Tirole et Jean-Charles Rochet mentionné par The Economist est l’occasion de saluer la réussite de l’Université de Toulouse qui a su développer une recherche de niveau mondial dans le domaine de l’économie, ce qui est très rare pour des équipes françaises. On mentionnera aussi le papier de David Evans, plus facilement lisible.

L’article de The Economist (hélas réservé aux abonnés): ici.