L’innovation incrémentale, secret de l’industrie allemande?

Le dynamisme époustouflant de l’économie allemande met actuellement la technocratie française en émoi. Cela fait au moins un siècle que l’économie allemande est plus dynamique que l’économie française, mais le différentiel de croissance intervient dans un contexte particulier: souvenez-vous, il y a deux ans, on nous expliquait que le modèle français, si supérieur, allait nous protéger de la crise. Moins souple, moins internationalisée, moins différenciée, plus agricole et moins dépendente des secteurs en pointe, l’économie française réagit moins aux crises mondiales. C’était déjà le cas dans les années 30 et ça le reste aujourd’hui. La faiblesse de nos performances (chômage, croissance, commerce extérieur, déficits) a rapidement démenti l’argument de la soit-disante supériorité du modèle français et l’on n’entend guère plus celui-ci ces derniers temps. C’est plutôt la panique qui prévaut.

Il faut dire que le récent rapport COE-Rexecode remis à Eric Besson, ministre de l’industrie, révèle une situation inquiétante. Selon celui-ci, on constate d’abord un recul historique des parts de marché françaises, et une divergence croissante des coûts salariaux et des marges. C’est le résultat de politiques publiques opposées: Il y a dix ans, alors qu’ils adoptaient une monnaie commune, les deux pays ont conduit des politiques du travail opposées. L’Allemagne a engagé des réformes profondes, allégé les charges sur le salaire, et adopté une politique de compétitivité assumée par l’opinion. La France en revanche a fait le choix d’une réduction uniforme de la durée du travail sans baisse de salaire. Cette contrainte a entraîné une hausse des coûts salariaux et bloqué la capacité d’adaptation et réduit les marges financières des entreprises.

Au-delà, la réussite de l’économie allemande est aussi due aux entreprises elles-mêmes et aux choix stratégiques qu’elles font. Selon l’hebdomadaie The Economist, les entreprises allemandes ont développé un mélange équilibré d’ingénierie, de technologie et de service qui leur a permis d’accroître leurs parts de marché, en devenant excellentes dans les segments qui nécessitent une innovation constante, essentiellement incrémentale. On trouve des firmes allemandes, en général des PME, leaders dans des secteurs peu glamour comme les machines-outils ou les presses à imprimer. Loin des projets d’innovation de rupture, loin de la high-tech, les entreprises allemandes se spécialisent dans des secteurs à forte valeur ajoutée non pas via la technologie, mais via le service et la souplesse de l’offre. On peut aussi ajouter que les entreprises allemandes jouent à fond la carte de la mondialisation, alors qu’en France, nous passons notre temps à décrirer celle-ci.

Voilà. On peut accuser les politiques publiques et on a sûrement raison, mais le secret de l’industrie allemande est industriel: d’une part un tissu du PME très dynamiques qui excellent dans des niches, et d’autre part une approche de l’innovation presque exclusivement incrémentale, faite d’amélioration continue des produits. PME et innovation incrémentale. Nous voilà loin du modèle français poussé depuis des décennies par la technocratie française qui consiste à financer les grands-projets des grandes entreprises à grands coups de milliards… En France, tout est grand, grand, grand. Peut-être faut-il s’intéresser plutôt au mot « petit ». petit + petit + petit, ça finit par faire grand, et l’Allemagne nous le montre tous les jours.