L’échec de Nokia: une paralysie face à la rupture

Je ne devrais jamais faire de prédictions, c’est un jeu dangereux auquel quelqu’un de raisonnable ne se livre jamais. Ou alors, il ne faudrait le faire qu’en se couvrant au maximum pour que quelque soit le résultat, on puisse prétendre l’avoir annoncé. Mais bon, je me lance quand même: il y a de bonne raisons de penser que Nokia a perdu la partie. Je ne suis bien sûr pas le seul à penser que Nokia a des difficultés et de nombreux analystes se font l’écho des difficultés rencontrées par Nokia. Sa bureaucratie est ainsi légendaire. Même les chiffres, qui ont souvent beaucoup de retard avant de refléter un problème intrinsèque, commencent à être inquiétants. Baisse de marge, perte de part de marché, absence quasi totale du marché des smartphones. Qu’est-ce qui explique l’échec de Nokia?

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RAZR: le succès improbable de Motorola ou l’innovation révisionniste

Vous avez sans doute entendu parler du RAZR (prononcer Razor), le téléphone star de Motorola, ultra-fin, qui a marqué le début de la renaissance du pionnier de la téléphonie mobile. Selon l’histoire officielle, la RAZR est le produit d’un redressement de l’entreprise soigneusement planifié…

Au détour d’un forum rendant compte d’une discussion d’un ingénieur de Motorola, on apprend que la réalité est quelque peu différente.

Apparement, le développement du RAZR a été lancé par un ingénieur et son équipe, et le projet a été… rejeté par la direction de l’entreprise. L’ingénieur est donc allé en Chine, seul, trouver un sous-traitant (Outsourced Design and Engineering), et est retourné voir la direction, …avec plus de succès. On retrouve un phénomène semblable chez Intel avec les micro-processeurs en 1986.

Evidemment, quand on connaît l’histoire, la présentation officielle fait sourire: comment l’entreprise fut innovante, comment le RAZR faisit partie d’un plan ingénieux, comment on peut reconstruire, a posteriori, ce qui finalement fut en fait une réussite totalement inattendue, due à l’initiative obstinée d’une personne.

Pourquoi le RAZR a-t-il été rejeté, au fait? Apparemment, parce qu’il manquait de fonctions. Très poussé sur le plan du design, il est en revanche relativement pauvre en termes de fonctions. Lancer un tel produit était totalement contraire à la culture de Motorola, une entreprise d’ingénieurs à la pointe de la technologie depuis 75 ans.
S’il fallait une preuve que Motorola n’attendait rien du RAZR, elle est fournie par son PDG, Ed Zander. Alors que l’entreprise connaissait de grosses difficultés dans ce secteur, au point de songer sérieusement à céder une activité considérée comme sans avenir, le PDG donne une conférence aux analyses financiers en septembre 2004, un mois seulement avant la sortie du produit, …et ne le mentionne même pas!
Le redressement de Motorola, et son adaptation culturelle au marché grand public est donc le résultat, et non la cause, de la réussite inattendue d’un produit-phare.
L’innovation n’est pas certes le fait du hasard, mais souvent de l’initiative individuelle qui réussit à franchir les obstacles que s’évertuent à mettre en place les gestionnaires. Motorola, cela dit, s’est bien ratrappé, comme l’on fait avant Sony, sauvé par la Playstation inventée par un ingénieur longtemps ignoré de la direction, Apple sauvé par l’iPod que l’entreprise n’a pas inventé elle-même, et d’autres encore.

Le iPod phone en suspens: Apple et Motorola face aux opérateurs

C’est le produit de vos rêves. Un iPod, des heures de musique, et un téléphone, combinés en un seul appareil. Apple et Motorola combinant leur expertise technique et marketing pour sortir le prochain hit. Annoncé pour le printemps, prêt à sortir, et alors que les machines marketing des deux entreprises s’apprêtaient à lancer leur offensive, l’hebdomadaire Business Week révèle qu’un petit grain de sable vient de se glisser dans la belle mécanique. Oh, un tout petit rien, madame la Marquise: les opérateurs n’en veulent pas!

La raison? Une affaire de gros sous naturellement, mais au-delà, la crainte de voir Apple, qui a réussi en quelques mois à dominer le secteur de la musique en ligne et dans la poche, étendre sa domination musicale dans le secteur télécom. le téléchargement de chansons sur le mobile est en effet un enjeu majeur, et les opérateurs sont bien décidés à ne pas le laisser à Apple. Aujourd’hui, lorsqu’Apple vend une chanson à 99 cents sur iTunes, il touche environ 4 cents; autant dire que l’opération n’est pas bénéficiaire. En revanche, les opérateurs voient la musique comme le super marché des sonneries et fonds d’écrans, pour lesquels les abonnés paient entre 99 cents et… 3 dollars. Michel Audiard disait : “Tant qu’il y aura des caves, les affranchis mangeront“, et les opérateurs vont donc continuer à manger. Or pour Apple, comme pour tout fabricant de téléphone, il est difficile de vendre un téléphone mobile sans le soutien des opérateurs: ces derniers subventionnent en effet dans une large mesure les téléphones auprès de leurs abonnés, permettant ainsi de réduire le prix de 200 euros, voire plus. Que les opérateurs refusent un modèle, et le prix de celui-ci grimpe donc instantanément de 200 euros, sans compter qu’il ne sera pas présent dans les boutiques opérateurs; un échec garanti en général. Cette situation témoigne de l’avantage considérable pris par les opérateurs sur les fabricants ces derniers mois. Ce sont désormais les opérateurs qui dominent le marché, dictant leur loi, définissant les spécifications de votre futur téléphone et celles des services mobiles.

Parce que la téléphonie mobile est un système fermé, il n’y a guère d’échappatoire. On voit en effet mal comment Apple, qui n’a pas l’habitude de passer sous les fourches caudines d’un acteur dominant sur ses marchés, et Motorola pourraient faire contre, ou au moins sans, les opérateurs. C’est d’autant moins vrai que les opérateurs peuvent se tourner vers des fabricants moins connus qui se feront un plaisir de leur fournir un modèle à leurs souhaits sans réclamer un centime sur les téléchargements. Apple teste là les limites de sa marque face à un acteur dominant qui a le choix d’autres fournisseurs, et se trouve dans la même situation que Nokia il y a quelques années. Au final, Nokia avait plié, et accepté d’adapter ses téléphones. Il sera intéressant de voir ce que fera Apple. En bonne logique, il faudra bien que Steve Jobs s’assoie à la table et partage le gâteau…

L’article de Business Week: http://www.businessweek.com/technology/content/mar2005/tc20050324_7462_tc024.htm