Steve Jobs et Lew Platt, deux styles de leadership

L’avalanche de louanges qui s’est abattu sur Steve Jobs à l’occasion de son décès devrait nous inciter à un peu de prudence… Certes l’homme a connu une réussite extraordinaire et s’est donné vers la fin une image de philosophe, notamment dans sa mémorable adresse aux étudiants de Stanford, mais il est important de considérer la carrière du grand homme dans son intégralité avec ses facettes glorieuses et celles qui le sont moins. A ce sujet, on lira avec profit deux livres passionnants sur Apple. Le premier s’intitule tout simplement Apple, et est écrit par Jim Carlton. C’est un classique. Le second s’appelle, avec beaucoup d’humour, Infinite loop, et il est écrit par Michael Malone. Infinite loop, ou boucle infinie, c’est ce qui arrive quand un informaticien se plante dans son code et que ce dernier tourne à vide à l’infini. L’image décrit bien la spirale infernale qui fut celle d’Apple jusqu’à la fin des années 90, en état de mort clinique au moment où Jobs revient.

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Lew Platt, ancien patron de Hewlett Packard

Lew Platt, ancien patron de Hewlett Packard, est mort il y a quelques jours. En soi, la mort d’un ancien chef d’entreprise n’est pas toujours un événement, mais Platt n’était pas n’importe quel chef d’entreprise. Il était le symbole même d’un leader de type 5, selon la classification de Jim Collins. Modeste, très attaché à la qualité des relations humaines dans son entreprise, mal à l’aise dans les grands discours, mais qui n’hésitait pas à manger régulièrement à la cantine comme tout le monde, il avait eu le malheur de diriger une entreprise d’informatique dans les années 90, à une époque où l’on cherchait plutôt des PDG charismatiques, capable d’offrir un visage resplendissant sur une couverture de magazine, des leaders de type 4 dans la classification de Collins. Peu porté sur les fusions-acquisitions, qui tiennent si souvent lieu d’ambition stratégique,  Platt avait fini par être remplacé par Carly Fiorina, son contraire absolu, qui correspondait mieux à l’époque sans doute. Sortie de l’ingénieur, entrée du marketing. Les actionnaires voulaient du spectacle, ils allaient en avoir. La suite on la connaît:une fusion calamiteuse avec un Compaq en perte de vitesse, deux unijambistes s’épaulant pour préparer un 100m. Une attaque sauvage contre la "HP Way", la philosophie de management notamment basée sur le respect humain, une organisation démoralisée et sans stratégie, un PDG qui ne communiquait plus que par allocutions télévisées et se déplaçait en hélicoptère aux quatre coins de la planète, et au final des résultats plutôt médiocres. Les 10.000 licenciements en cours, qui concernent également l’établissement français de Grenoble, ne se sauraient sans doute jamais produits avec Platt. Non pas qu’il n’était pas concerné par la performance: quand il s’agissait de chiffres, il était intraitable; il a ainsi présidé à une multiplicaiton par huit du cours de
bourse de 1992 à 1999, une performance similaire à celle de Lou
Gerstner, d’IBM, mais qui a réussi, lui, à se mettre en avant. Simplement, il pensait qu’une entreprise où les employés étaient motivés finissait toujours par avoir de meilleures performances. Une pensée ridiculisée durant la folle époque de la bulle Internet.
Après avoir quitté HP, il était allé remettre de l’ordre chez Boeing, traumatisé par un scandale. Son expérience et sa sagesse y firent merveille.
Il avouait lui-même qu’il n’avait sans doute pas été assez capable de maîtriser la composante politique de son métier, qu’au final il avait peut-être été naïf en souhaitant simplement qu’on se souvienne de lui comme quelqu’un capable de dialoguer avec tout employé de son entreprise.
Sans doute pas. L’éclatement de la bulle Internet a montré les dangers de leaders charismatiques dont les aventures se sont souvent terminées en faillites retentissantes, et parfois frauduleuses. Comme le dit Jim Collins, "Nous avons besoin de plus, pas moins de gens comme Lew Platt". Un temps ringard, les Lew Platt semblent être furieusement revenus à la mode. Une leçon que médite sans doute Carly Fiorina, licenciée sommairement de HP après une courte, mais calamiteuse, période à la tête de HP.
http://www.businessweek.com/technology/content/sep2005/tc20050912_3107_tc119.htm