Innovation : incrémentale, radicale, majeure ou stratégique ?

Dans « Fast second », déjà abordé sur ce blog, C. Markides et P. Geroski proposent une typologie de l’innovation. Ils s’appuient pour ce faire sur deux dimensions :

  • l’impact de l’innovation sur les compétences et les actifs des firmes établies,
  • l’impact de l’innovation sur les habitudes et les comportements des consommateurs.

Lorsque l’innovation s’appuie sur les compétences et les actifs des acteurs existants, et que l’impact sur les habitudes et les comportements des consommateurs est faible, on est en présence du cas le plus simple ; l’innovation incrémentale.

L’introduction en octobre 1978 (déjà) par Mercedes sur ses modèles S de l’ABS (Antilock Braking System) développé par Bosch en est un exemple typique.

L’innovation majeure est caractérisée par un impact fort sur les habitudes des consommateurs, mais ne remet pas en cause les compétences des acteurs établis. L’introduction des services bancaires sur internet constitue un bon exemple d’innovation majeure. Même si cette innovation a changé assez profondément l’utilisation des services financiers par les clients, ce sont bien les banques traditionnelles qui possédaient les compétences et les actifs pour les développer. Les difficultés rencontrés par les « pure players » internet (Egg) ont confirmé cette analyse.

Les choses deviennent plus dangeureuses pour les acteurs établis lorsque les innovations remettent en cause, voire détruisent, les compétences et les actifs accumulés pendant de longtemps années.

Lorsque l’innovation met en danger ces compétences et ces actifs, et lorsque l’impact sur les habitudes des consommateurs est limité, Markides et Geroski parlent d’innovation stratégique. On peut analyser de cette façon la vague actuelle des téléviseurs à écran plat. Ils ne changent pas fondamentalement la façon dont les clients utilisent leur télé, mais les technologies mises en oeuvre (LCD, plasma…) ont la capacité à mettre en danger vital les acteurs qui peinent à sortir des technologies historiques (tube cathodique).

Enfin, lorque l’innovation met en danger les compétences et les actifs des firmes établies, et déclenche un impact majeur sur les habitudes des consommateurs, Markides et Geroski parlent d’innovation radicale. Les téléphones mobiles, les PDA, les magnétoscopes, sont quelques exemples historiques d’innovations radicales.

Un des intérêts de cette typologie est évidemment que les entreprises peuvent adopter un comportement spécifique selon la nature de l’innovation qu’ils essayent de pousser ou à laquelle elles sont confrontées.

A noter que les travaux de Clayton Christensen (qui n’aime pas beaucoup Markides…) dans le domaine de l’innovation montrent que la distinction qui compte réellement, c’est celle entre innovation de rupture et innovation continue. Voir le billet sur la question ici.

Revue de livre – C. Markides et P. Geroski : « Fast second »

Et si les entreprises gagnantes dans la compétition économique étaient des suiveurs? « Fast second », écrit par Constantinos C. Markides Professeur de management à la London Business School et Paul Geroski, Professeur d’économie, ancien doyen du MBA de la LBS, et actuel Président de la « Competition Commission » britannique, est une approche un peu iconoclaste de l’innovation. Quelle société a popularisé la vente en ligne de livres dans les années 1990 ? Si vous pensez immédiatement à Amazon, vous êtes dans l’erreur. L’idée de la vente en ligne de livres est née et a été mise en pratique par Charles Stack, un libraire de l’Ohio, dès 1991. Amazon a commencé à vendre des livres en ligne en 1995… Dans le même ordre d’idées, Ford n’a pas créé le marché automobile et Procter & Gamble n’a pas inventé le marché des couches jetables.

C. Markides et P. Geroski rappellent ce que nous savons tous ; les individus ou les entreprises qui créent de nouveaux marchés en innovant ne sont pas forcément les mieux placés pour les développer. D’autres organisations sont souvent mieux équipées pour donner au nouveau marché tout son potentiel. A lire si vous pensez toujours que le « first mover advantage » est une règle d’or de la stratégie…