Tous entrepreneurs? Pas si vite…

L’un des messages de l’Effectuation, la logique d’action des entrepreneurs experts, est que n’importe qui peut devenir entrepreneur, et ce pour une raison simple: les cinq principes d’action de l’Effectuation peuvent s’apprendre. Si n’importe qui peut devenir entrepreneur, cela signifie-t-il pour autant que tout le monde doive le devenir? Loin s’en faut.

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Les motivations suspectes de la campagne pour relancer l’industrie en France

Le vent de panique qui saisit nos élites face au différentiel de croissance entre la France et l’Allemagne s’est récemment traduit par des appels à la relance de l’industrie en France. En effet, le tissu de PME industrielles très focalisées et très performantes est clairement identifié comme l’une des grandes forces de l’économie allemande. Bien sûr, tout le monde ne peut qu’être favorable au développement de l’industrie française. En outre, de nombreuses entreprises ont touché aux limites de la délocalisation à l’extrême et un mouvement de “relocalisation” se dessine, tirant avantage des coûts de transport, de l’instabilité géographique et de l’avantage qu’il y a à produire près de ses clients, notamment au niveau de la réactivité. Mais espère-t-on vraiment qu’on reviendra aux temps glorieux de la manufacture?

Paul Krugman, prix Nobel d’économie, observe qu’en 1970, les américains consacraient 46% de leurs dépenses dans l’achat de biens (manufacturés, agricoles ou miniers). En 1991, ce chiffre était tombé à 40,7%, les gens consacrant une proportion de  plus en plus importante de leurs revenus aux services de santé, voyages, loisirs, honoraires d’avocats, restauration rapide etc. Et Krugman d’ajouter “Il est peu surprenant que l’industrie devienne une partie de moins en moins importante de l’économie”. Et nous suivons la même tendance. Nous allons donc vers une société du service et il est illusoire de penser que nous renverserons la tendance. Dit autrement, les emplois industriels qui sont partis ne reviendront pas, un point c’est tout, comme l’observe David Audretsch dans son excellent livre sur la société entrepreneuriale. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’avenir pour l’industrie en France, bien au contraire, mais plutôt que l’industrie qui persistera sera à valeur ajoutée et que les sources de croissance seront essentiellement dans le service.

Mais voilà, le service n’intéresse personne, et en particulier pas la grande bureaucratie pompidolienne qui a vécu son heure de gloire avec les grands projets industriels, ceux qu’on nous ressort en permanence: le TGV, le nucléaire, les usines Renault, etc. Le service, c’est trop petit, pas assez techno, et cela n’intéresse pas les technocrates que le monde entier nous envie. Pire, ce monde qui se dessine, en France plus lentement qu’ailleurs mais qui se dessine certainement, n’aura pas besoin d’eux. Alors la prochaine fois que vous entendrez ou lirez un aristocrate de l’ancien régime, celui de l’économie techno-dirigée, plaider pour le retour de l’industrie, sachez qu’il n’y a rien derrière d’autre qu’un long cri d’incompréhension devant le nouveau monde et de rage quant à ce qu’il implique, à savoir la disparition de leur pré-carré.

Note: la référence à Paul Krugman provient de l’excellent blog Analyse Economique. L’original de l’article de Krugman est ici. Voir mon article plus récent “Pourquoi produire français est un slogan stupide et dangereux”.

Faut-il encourager la création d’entreprise?

Faut-il encourager la création d’entreprises? La question paraît saugrenue, en particulier sur un blog dédié à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Et pourtant la réponse n’est pas aussi simple qu’il y paraît et Scott Shane, un des chercheurs en entrepreneuriat les plus réputés, répond en fait par la négative dans son livre “The illusions of entrepreneurship“, que l’on pourrait traduire par “Les mythes de l’entrepreneuriat”. L’importance de la création d’entreprise est devenue un dogme tellement prévalent qu’il n’est plus du tout discuté. Il faut créer des entreprises, et le plus possible, et les programmes nationaux et régionaux se succèdent et s’accumulent à cette fin.

Or Shane indique qu’aucune étude n’a jamais montré que créer plus d’entreprises contribue à la croissance, développe l’innovation ou crée plus d’emplois. Ce n’est pas tout. Il indique également que généralement, les programmes publics incitent à la création d’entreprises dans des industries à faible barrière d’entrée et fort taux d’échec. Cela s’explique assez facilement: si vous créez votre entreprise en raison d’une incitation gouvernementale, c’est que la motivation n’était pas très forte, vous aurez donc tendance à aller au plus facile. En outre, les entreprises créées en réponse à une incitation gouvernementale ne créent pas plus d’emploi et n’améliorent pas la productivité par rapport à d’autres créations. En fait, l’imagerie populaire véhiculée par les succès tels que Microsoft, Google, Facebook – qui ont indubitablement créé richesse et emplois – est l’arbre qui cache la forêt.

Assez directement, Shane conclut qu’investir un dollar dans la création d’une entreprise est moins efficace qu’investir ce dollar dans le développement d’une entreprise existante. Il rejoint en cela un de mes profs d’entrepreneuriat qui inaugurait ainsi son cours: “Il vaut beaucoup mieux racheter une entreprise qu’en créer une, mais puisque tout le monde ne pense qu’à créer, voici donc un cours sur la création d’entreprise.”

Sur le sujet, on lira avec intérêt l’excellent ouvrage de David Audretsch qui tire les mêmes conclusions: David Audretsch, The Entrepreneurial Society.