Carrefour Planet: le paradoxe est-il tenable?

Les résultats récents de Carrefour ne sont pas bons, en particulier ceux du concept « Carrefour Planet » inauguré à grand renfort de communication en septembre dernier. J’ai toujours eu du mal à vraiment comprendre ce concept, mais en gros il s’agissait de combiner une offre à prix concurrentiel, terreau traditionnel du supermarché et de Carrefour, avec une offre plus haut de gamme, de type grand magasin, le tout sous un même toit. Ainsi trouve-t-on des stands de grandes marques cosmétiques, un grand rayon bio à l’entrée du magasin, un agencement par thèmes, une librairie décente mais pas de gros électro-ménager. On y trouve aussi un rayon pâtisserie attrayant, proposant quelques produits haut de gamme (macarons), un coin où suivre des cours de cuisine, une fabrication de sushis in situ, au moins 20 sortes de saumon fumé, etc. L’idée est certainement que venu pour acheter du lait, les visiteurs repartiront également avec une boîte de macarons grand luxe, une douzaine de sushis et des enfants contents d’avoir appris à faire les crêpes.

En pratique, cependant, il n’est pas évident que le concept morde. Les gens viennent chez Carrefour avant tout pour le rapport qualité prix de leurs courses hebdomadaires, et une observation – certes non scientifique – suggère que pour ce qui est des rayons haut de gamme, les gens se contentent de regarder. En outre, on se prend à suspecter que quelqu’un doit bien payer les extras haut de gamme, et que ce quelqu’un, c’est probablement le client. Carrefour obtient-il un retour sur investissement sur l’offre haut de gamme? Rien n’est moins sûr. C’est d’autant plus inquiétant que dans le même temps, l’offre classique semble délaissée: une des innovations sur lesquelles Carrefour a beaucoup communiqué est la fameuse ligne bleue: si la queue à la caisse dépasse une certaine ligne, Carrefour se mobilise pour ouvrir d’autres caisses. Dans la pratique ce n’est pas les cas, et les queues sont redevenues le lot du client Carrefour. Or que je m’en étonnais auprès d’une caissière, celle-ci me répondit que cela n’avait rien d’étonnant en période de Noël. Donc la ligne bleue, c’est quand il n’y a pas grand monde. Pas chère, la promesse de ne pas avoir de queue quand il n’y a pas de monde. Par ailleurs les réflexes bas de gamme subsistent, en témoigne la présence de l’animateur qui de son micro vante en continu aux clients l’offre spéciale sur le poulet ou leur fait gagner des lots à partir de questions triviales. Autrement dit, il est à craindre que Carrefour délaisse le coeur de son métier – l’épicerie de bon rapport qualité prix – pour poursuivre une chimère. C’est d’autant plus risqué qu’il est toujours difficile de combiner deux modèles économiques sous un même toit. Carrefour ne peut pas être aussi bon marché que Leclerc ou Auchan, tout en offrant les prestations de Fauchon, car le risque c’est naturellement de finir plus cher que les premiers, et donc de perdre son coeur de cible, et pas aussi bon que le second, et donc de ne pas attirer d’autres cibles. Il est donc possible que Carrefour prenne conscience de ce qui semble être une impasse stratégique et laisse le concept s’étioler – disparition discrète des cours de cuisine par exemple – pour revenir à son coeur d’activité traditionnel, et cette fois s’y consacrer pleinement. Il faudra expliquer cela aux analystes financiers, mais les clients, eux, semblent déjà avoir tranché.

Mise à jour octobre 2011: disparition du coin « Culture » du Carrefour Planet, avec son accueil sympa et ses canapés, remplacé par un simple rayon. Disparition aussi de la plupart des coins de marque thématiques (les fameux « pôles »). Le concept s’est donc étiolé complètement. Il ne reste presque rien du concept « Planet » initial. Et c’est tant mieux. Autre évolution: le « scanlib », où les clients scannent eux-même leurs articles pour passer en caisse plus vite, semble passé de mode. Une observation, là encore non scientifique, montre que beaucoup moins de gens l’utilisent que lors de son lancement.