Effectuation, improvisation et bricolage: point communs, différences

L’Effectuation est souvent associée, voire confondue avec deux notions qui lui sont proches, le bricolage et l’improvisation. Essayons de clarifier ces notions et d’illustrer les différences.

Bricolage

Le bricolage consiste à se débrouiller avec ce qu’on a sous la main. La notion de bricolage a été mise en avant par Claude Lévi-Strauss dans son livre “la pensée sauvage”, et reprise dans le contexte entrepreneurial par Baker et Nelson dans leur fameux article de 2005. En fait le bricolage entrepreneurial comprend deux phases. la première phase est celle de l’accumulation de ressources sans objectif. On récupère des choses sans savoir à quoi ni quand elles pourront servir: peut-être à rien, peut-être jamais. Le but n’est pas totalement absent: on pense qu’elles ont une valeur en tant que ressources, mais on ne sait pas laquelle, ce n’est pas un geste d’accumulation gratuit comme pourrait l’être celui d’une personne victime de trouble obsessionnels compulsifs. La deuxième phase est celle de l’utilisation de ressources précédemment accumulées pour résoudre un problème inattendu. C’est là que son utilisation confère une valeur à la ressource, valeur qui en outre est propre au bricoleur. La valeur est donc ici à la fois contextuelle et subjective.

On voit ici le lien avec l’Effectuation: l’Effectuation théorise également le processus entrepreneurial comme une accumulation de ressources. L’entrepreneur démarre avec ses ressources et détermine ce qu’il peut en faire (les buts émergent des ressources disponibles). Mais il y a deux différences importantes. La première est que l’accumulation de ressources en Effectuation n’est pas préalable à leur utilisation; il n’y a pas de déconnexion entre accumulation et utilisation future. Dans le bricolage en effet, la ressource n’est considérée que lorsqu’un problème doit être résolu; l’inversion entre acquisition de ressource et détermination du but est temporelle, pas logique: on acquiert la ressource avant que son utilisation devienne nécessaire pour atteindre un certain but, on reste dans une logique causale dans laquelle les ressources sont choisies pour atteindre des buts. Avec l’Effectuation, la ressource est recherchée parce que l’entrepreneur cherche à faire quelque chose; l’inversion est substantielle (ou logique): c’est la ressource qui permet de définir le but.

La deuxième différence est que le processus effectual est intrinsèquement social: si le bricolage est essentiellement solitaire, c’est vers quelqu’un d’autre que se tourne l’entrepreneur effectual pour acquérir une ressource nécessaire et, surtout, définir un but. Une partie prenante s’engage dans le projet et, ce faisant, apporte des ressources. Ces ressources sont donc le produit de l’engagement de la partie prenante, et elles déterminent de nouvelles possibilités, permettent de nouveaux buts. C’est en ce sens que le buts émergent de l’engagement de nouvelles parties prenantes.

Improvisation

Le second concept que l’on associe souvent à l’Effectuation est celui de l’improvisation, une notion étudiée par les chercheurs Miner, Bassof, et Moorman. L’improvisation existe quand il se produit une convergence  substantielle (et pas seulement temporelle) entre la conception (planification) et la mise en oeuvre (ou action) en réponse à des événements imprévus. Il y a certes une part d’improvisation dans l’Effectuation car elle ne planifie pas ou peu. Le 4e principe de l’Effectuation s’intitule bien “Tirer parti des surprises”

Cependant l’improvisation n’est pas systématique et l’Effectuation est bien plus que cela: elle introduit une dimension sociale essentielle et surtout elle induit un processus itératif où l’entrepreneur progresse en amenant de nouvelles parties prenantes à s’engager dans son projet. On est parfois très loin de l’improvisation: L’enterpreneur peut par exemple mûrir un plan sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour convaincre telle ou telle partie prenante de rejoindre le projet. Il ne sera certes pas capable de prévoir exactement ce que pourra lui apporter celle-ci, il n’y a donc pas de planification au niveau du projet lui-même, mais il peut y en avoir pour certaines actions.

L’improvisation est donc un concept important mais elle diffère de l’Effectuation: tandis que l’improvisation s’intéresse à la façon dont l’action a été déclenchée, l’Effectuation étudie la substance de l’action entreprise par les entrepreneurs.

On notera également que le bricolage et l’improvisation ont en commun de résoudre des problèmes avec les ressources disponibles – pour des raisons de contrainte de ressources dans le cas du bricolage, et pour des raisons de contraintes de temps dans le cas de l’improvisation. Assez logiquement, le besoin d’improvisation augmente les chances que le bricolage soit mis en oeuvre parce que face à un problème donné, la pression du temps ne permet pas d’obtenir les ressources idéales: on doit faire avec ce que l’on a sous la main.

Improvisation et bricolage éclairent certains aspects d’une démarche émergente comme l’Effectuation mais celle-ci correspond à une vision plus globale du processus entrepreneurial.

Pour en savoir plus sur l’Effectuation, voir mon article introductif ici. L’article de Baker et Nelson est accessible ici, et celui de Miner, Bassoff, et Moorman ici.