Téléchargez le chapitre introductif de mon nouveau livre “Bienvenue en incertitude!”

Mon nouvel ouvrage “Bienvenue en incertitude!  Principes d’action pour un monde de surprises” sortira dans quelques jours. Vous pouvez télécharger le chapitre introductif via le lien en fin de page. Bonne lecture!

Présentation de l’ouvrage

Faillite de Lehmann Brothers et crise de 2008, Printemps Arabe, crise grecque, émergence de Daesch, accident de Fukushima, disparition de Nokia, Brexit, élection de Donald Trump et d’Emmanuel macron, la liste n’en finit pas d’événements que nous n’avons pas été capables de prévoir et ce malgré des moyens parfois très importants.

Dans un monde de surprises, qui change radicalement et devient toujours plus incertain, il n’est pas possible de prédire l’avenir, et ceux qui s’y risquent s’exposent tôt ou tard à une catastrophe. Et pourtant, les outils de décision que nous utilisons reposent tous sur un paradigme prédictif. Ils restent ancrés dans la civilisation de la révolution industrielle née il y a 150 ans. Il est grand temps de les réinventer entièrement pour le nouveau monde. Mais pour proposer de nouveaux outils, il faut d’abord repenser notre appréhension de l’environnement.

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Décision en incertitude: comment le contexte historique limite les options possibles

Les théories de la décision partent toujours du principe que le décideur considère toutes les options possibles de manière rationnelle et équivalente, et est libre de choisir celle qu’il estime être la meilleure, sur la base de ses seuls mérites. C’est très loin d’être le cas. En réalité, il est contraint par le contexte dans lequel il agit, qui réduit parfois considérablement les options envisageables et amène à un choix forcé qui n’est ni optimal, ni même dans son intérêt. Regardons-le avec un exemple historique, celui de l’engagement américain au Vietnam.

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Le Management Stratégique est mort mais ce n’est pas grave

Il est paru dans le Libellio, une revue de recherche en management très originale et injustement mal connue, une intéressante discussion sur l’avenir du management stratégique entre plusieurs chercheurs éminents (été 2017). Le constat dressé sur l’état et l’avenir de cette discipline, aussi bien en tant que pratique qu’en tant qu’objet de recherche et d’enseignement, est très sombre. Étant moi-même enseignant et chercheur en stratégie, je livre ci-après mes réflexions sur les causes de cette situation.

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Transformation organisationnelle: Non, vous n’avez pas un problème d’exécution

C’est une histoire maintes fois vécue: “Notre stratégie de transformation est parfaitement claire. Mais on a un gros problème d’exécution” me confie ce membre du CODIR d’une entreprise du CAC40. En clair, les ruptures surgissent de partout, on dépense des millions en plans de transformation, on met du digital et du startup partout, et rien – rien! – ne se passe. Et pourtant on sait ce qu’on doit faire! Implicitement bien-sûr, et très vite explicitement, l’explication fuse: c’est en dessous qu’ils sont incapables! Ils ne sont pas alignés. Ils ne savent pas exécuter. Ou pire: ils font de la résistance au changement.

Cette réaction traduit une mauvaise conception de ce qu’est la stratégie et explique pourquoi beaucoup de projets de transformations sont bloqués dans de grandes entreprises, entraînant une fuite en avant parfois désespérée de la direction générale et de fortes tensions au sein du management, tout ça pour finir dans le mur: le monde se transforme, mais l’organisation fait du sur-place avec un moteur qui tourne à plein régime et des cadres épuisés.

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La tâche à accomplir, un concept clé en innovation de rupture

La tâche à accomplir (‘Job to be done’ en anglais) est un concept introduit par Clayton Christensen, spécialiste de l’innovation de rupture. Il est important, et pas seulement parce qu’il permet d’imaginer des produits et services nouveaux. Sa véritable importance est stratégique: il peut aider à passer outre les tabous et dogmes de son industrie, ce qui est sans doute la chose la plus difficile dans ce type de situation. En stratégie, la clé est parfois de passer par les détails…

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Prise de décision en incertitude: Utilisation de l’Histoire avec le modèle de Neustadt et May

L’une des caractéristiques des situations de rupture est que l’incertitude qui les caractérise résulte du fait que les décideurs font face à une situation inédite, qu’aucun décideur n’a rencontré auparavant. Ainsi, et presque par définition, ceux-ci n’ont aucun exemple identique sur lequel s’appuyer pour réagir. Cela signifie-t-il pour autant que les situations analogues passées ne peuvent être utilisées? Dans leur ouvrage, “Thinking in time” (Penser dans le temps), Richard E. Neustadt and Ernest R. May pensent que non et défendent l’idée que l’Histoire, même ancienne, peut être mise à contribution par les décideurs. Le sous-titre de l’ouvrage est d’ailleurs éloquent: “The use of history by decision makers” (L’utilisation de l’Histoire par les décideurs). La condition d’une bonne utilisation de l’Histoire, cependant, est de bien comprendre les similarités et les différences entre la situation vécue et la situation analogue à laquelle on se réfère.

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La grille de lecture, un concept déterminant pour la stratégie en situation d’incertitude

The fog of war (les brumes de la guerre), une longue interview de Robert S McNamara réalisée en 2003, montre combien la manière dont on formule une question, et la grille de lecture (ou modèle mental) qui sous-tend cette formulation, influent sur notre capacité à la résoudre. Dès le début de leur implication, les États-Unis présentent le conflit du Vietnam comme la bataille de la liberté contre le communisme. Nous sommes alors au début des années 60, juste après la guerre de Corée, dans un contexte dans lequel le monde communiste semble progresser inexorablement. La théorie des dominos, énoncée par le Président (Républicain) Eisenhower en 1954, prédit que si un pays bascule vers le communisme, les pays voisin suivront. L’importance d’empêcher un tel basculement d’un pays va donc bien au-delà du pays lui-même. Le contexte intérieur américain joue également: Harry Truman, Président  démocrate et prédécesseur de Eisenhower, a été violemment accusé durant la guerre froide, d’avoir “perdu” la Chine en 1949 et d’être faible face aux communistes, notamment durant la période Mccarthyste. Il en est résulté une réputation de faiblesse des démocrates, encore existante aujourd’hui. Au début des années 60, l’équipe du Président Kennedy (démocrate) aborde donc la question du Vietnam encore traumatisée par ces accusations de faiblesse qui sont systématiquement exploitées par leurs adversaires Républicains. Fin politique, Kennedy est donc bien décidé à être intransigeant. Dès le début du conflit donc, les démocrates sont prisonniers, sans le savoir, d’une grille de lecture qui leur est imposée de fait par leurs adversaires politiques! Jamais ils ne parviendront, malgré leurs doutes, à s’en débarrasser. Et celle-ci amènera l’Amérique à la catastrophe.

McNamara raconte, dans son interview, sa rencontre avec ses anciens ennemis lors de sa visite au Vietnam en 1995 au cours de laquelle il réalise que les vietnamiens étaient avant tout des nationalistes. Le conflit pouvait être formulé non pas en termes de communisme contre anticommunisme, mais de guerre civile de nature nationaliste. Il découvre qu’il n’est aucun pays que les vietnamiens détestent plus que la Chine, mettant à mal l’hypothèse d’une grande alliance communiste internationale. On voit également que la théorie des dominos a considérablement augmenté l’enjeu du conflit pour les États-Unis, les empêchant de reculer quand il en était encore temps et limitant considérablement leur marge de manœuvre. Lorsqu’on prétend se battre pour la liberté du monde en expliquant que si le Vietnam tombe, toute l’Asie tombera, il est difficile de renoncer. Si en revanche on présente le conflit comme une lutte nationale dans un petit pays éloigné sans réel enjeu pour l’Amérique, c’est plus facile.

La grille de lecture s’applique naturellement dans le monde de l’entreprise et particulièrement en période de rupture, comme nous l’avions déjà évoqué dans une note précédente. Une rupture inaugure de profonds changements qui nécessitent de revoir la manière dont une organisation perçoit, et donc analyse, sont environnement. Bien des entreprises appliquent à leur industrie une grille de lecture construire au cours du temps. Plus l’entreprise a connu le succès, plus en général la grille est fortement ancrée dans les esprits. Cette grille dicte la manière dont l’entreprise va analyse la rupture. Elevé dans l’excellence technique, l’opérateur télécom minimise l’impact potentiel de la téléphonie Internet, dont la qualité est médiocre au début. GM méprise les premières voitures japonaises en raison de leur mauvaise qualité, Kodak réagit à l’émergence de la photo numérique en inventant un… film numérique simplement parce que l’entreprise ne peut imaginer un monde de la photo sans film. Plus récemment, la réaction hystérique des éditeurs de musique présentant Internet comme une menace et les ados comme des pirates à mettre en prison et basant leur réaction presque exclusivement sur le terrain légal au lieu de réfléchir aux évolutions induites par Internet sur leur modèle économique, etc.

Plus généralement, l’adaptation d’une organisation au changement nécessite un changement de grille de lecture, et certains chercheurs comme Sarah Kaplan estiment même que cela passe par une concurrence interne entre différentes grilles de lectures possibles dont une synthèse résulte en fin de compte.

Mise à jour en 2019: la notion de grille de lecture ou de modèle mental et son importance font l’objet de l’ouvrage que j’ai écrit avec Béatrice Rousset: Stratégie Modèle Mental.

La grille de lecture, un concept important en stratégie de rupture

La réaction d’une organisation face à un changement profond de son environnement (rupture technologique, changement de régulation, etc.) fait l’objet depuis longtemps de travaux de recherche. Pour certains auteurs, un concept important émerge pour décrire cette réaction, celui de grille de lecture (frame en anglais). L’idée est que face à une rupture, l’organisation a besoin de repenser sa manière de voir le monde. Les anciens concepts ne fonctionnent plus, les concurrents changent, l’ambiguité est forte, etc. C’est par exemple Kodak qui prend de plein fouet la révolution numérique et doit transformer son métier de chimiste à informaticien et électronicien. Il s’agit donc en quelque sorte d’effacer l’ancienne grille de lecture et d’en recréer une nouvelle, qui permettra ainsi de guider une nouvelle stratégie.

La notion de grille de lecture est introduite par la littérature psychologique et cognitive, et elle s’applique fort bien à la stratégie. Parmi les travaux typiques et intéressant, citons ceux de Clarke Gilbert, professeur à Harvard, auteur d’une thèse sur la réaction de la presse écrite face à Internet qui montre bien l’évolution de la grille de lecture, forcée par la marche folle des évènements (malheureusement, sa thèse n’est disponible qu’en papier). Gilbert est également l’auteur d’un working paper intitulé “Can competing frames coexist” où il montre que la difficulté de réaction d’une organisation face à une rupture n’est pas toujours due uniquement à un problème d’engagement (commitment) envers son environnement actuel qui l’empêche d’embrasser le changement (thèse promue par Clayton Christensen). Au contraire, la difficulté naît de la manière dont la rupture est perçue par l’organisation. Perçue comme une menace, la rupture entraîne une rigidification et une paralysie (threat rigidity). Perçue comme une opportunité, la rupture entraîne au contraire une réaction positive. Sur la notion de frame, on pourra également lire les travaux de Sarah Kaplan, professeur à Wharton, et auteur de “Framing contest: micro-mechanism of firm response to technical change“. L’idée développée est que face à un “nouveau monde”, le processus stratégique se ramène à une mise en concurrence de différentes grilles de lecture, d’abord au niveau individuel, puis au niveau du groupe, du département et enfin de toute l’organisation, dans une vision “partagée” mise à jour. La stratégie consiste donc à construire cette grille de lecture commune. Toujours de Sarah Kaplan, mentionnons un autre article intéressant sur le rôle du facteur cognitif dans la réponse de l’organisation face à une rupture, dans le cas particulier de l’industrie pharmaceutique: “Discontinuities and senior management – assessing the role of recognition in pharmaceutical firm response to biotech“.

Jim Collins: “The ultimate creation” ou l’innovation organisationnelle

L’article dont il est question ici est issu d’un recueil publié à l’initiative de la Fondation Peter F. Drucker (“Leading for innovation”, Josey-Bass 2002). Dans cet article, Jim Collins prend ses distances avec la pratique managériale qui consiste à focaliser tous les efforts de l’entreprise sur la quête de la prochaine “grande innovation” (la “silver bullet” qui va porter le coup fatal à la concurrence).

Pour ce faire, il rappelle que le cimetière des entreprises est rempli de pionniers de l’innovation : les ordinateurs Burroughs des années 60 étaient bien plus innovants que ceux d’IBM, l’avion civil n’a pas été inventé par Boeing, mais par de Havilland, le premier tableur était Visicalc, pas Excel, etc.

Pour Jim Collins, la forme suprême de l’innovation est l’innovation managériale ou organisationnelle ; c’est Procter & Gamble par exemple qui initie la participation des salariés à la fin du XIXème, environ un siècle avant que la pratique ne devienne courante. Les alternatives que pose au final Collins sont “Est-ce que vous essayez de mettre au point la prochaine grande innovation ?” ou “Est-ce que vous essayez de construire une organisation qui stimule l’innovation ?”