Zidane, le sauveur et la notion d’équipe

Je ne connais rien au football à part le nombre de joueurs sur le terrain, et j’avais cru comprendre qu’il s’agissait d’un sport d’équipe; mais j’ai du me tromper. On nous a en effet annoncé le retour de Zinedine "magic" Zidane au sein de l’équipe de France. Ce que beaucoup ont vu comme un divine surprise me semble, en fait, traduire l’échec de l’équipe de France à être justement une équipe après le départ des héros de 98. Jim Collins, dans son ouvrage Good to Great, soulignait le danger pour une organisation à faire appel à un génie charismatique. Il oppose le "génie entouré de mille assistants" au leader modeste capable de créer un groupe performant. Le génie, parce qu’il est un génie, produit en général des résultats spéctaculaires très vite, mais tout seul. On peut s’attendre à un festival de buts, avec le reste des joueurs qui vont faire de la figuration. Mais il ne règle pas le problème de fond qui est que la France n’a pas été capable de construire une vraie équipe de football depuis 1998. Quand une telle équipe fait le constat de son échec et s’en remet à un génie qui dit être guidé par des voix qu’il entend, on peut craindre le pire quant à se qui se passera le jour où il prendra vraiment sa retraite. Il aura masqué les faiblesses, mais ne les aura pas réglées.

Zara, ou comment l’innovation peut sauver le textile européen

Le textile chinois est parti à l’assaut de l’Europe, et rien ne semble pouvoir lui résister. Rien, sauf une entreprise …espagnole, qui montre que face aux t-shirts à 1 Euro, il vaut mieux choisir un autre terrain que celui des coûts.
Dans un article paru dans son édition du 16 juin 2005, The Economist relatait l’incroyable succès de Zara, filiale du groupe Inditex, fondé en 1963 et dont le chiffre d’affaire atteint désormais 5 milliards d’Euros. Pas mal pour une jeune entreprise dans un secteur en crise permanente depuis vingt ans.
Quel est le secret de Zara? En un mot, la réactivité et la mise en œuvre d’une chaîne logistique incroyablement sophistiquée, pour mettre en place ce que The Economist appelle “fast fashion”, un peu comme il y avait le fast food. Tout est basé sur un suivi étroit des tendances et attentes dans les différents magasins. L’idée est de réagir immédiatement à la moindre évolution, et d’assurer un renouvellement des collections en permanence, non pas tous les six mois (hiver/été) mais toutes les semaines! Ainsi, une cliente peut revenir souvent dans le magasins et ne jamais y retrouver la même chose. La chose passe par une intégration totale des opérations, de la conception (Zara emploie 300 designers) à la fabrication, confiée en grande partie à une myriade de micro sous-traitants de Galicie. Cette approche est intéressante: seule la fabrication à proximité permet une telle réactivité. Une délocalisation en Asie abaisserait les coûts, mais nécessiterait un allongement substantiel des délais, en contradiction directe avec le concept économique.
Zéro stocks, des toutes petites séries pour éviter les invendus, calamité du secteur, le maître mot est la vitesse et la légèreté.
Les magasins, eux, sont entièrement informatisés, permettant au siège de suivre en temps réel les ventes, ce qui lui permet d’être réactif. Bien sûr, l’entreprise fait face à quelques défis: maîtrise de la croissance et faiblesse aux États-Unis, mais Zara illustre bien qu’il est possible de rester concurrentiel, voire leader, dans des secteurs réputés en crise, grâce à l’innovation. Elle montre qu’il n’y a pas de secteur mature ou en déclin par nature, et qu’il n’y a rien d’inéluctable. Voir mon billet “Il n’y a pas de marché mature” à ce sujet.

L’innovation, dans le cas de Zara, n’est pas technologique. Il ne s’agit pas de sortir des habits hauts de gamme ou toujours plus sophistiqués; Elle porte au contraire sur les processus et sur le concept économique de l’entreprise (modèle d’affaire), qui consiste à offrir au client des vêtements à la mode tout en étant très bon marchés. En un mot, un bon concept économique soutenu par une organisation originale et une mise en œuvre parfaite.

Mise à jour: voir l’article de La Tribune “Ce que Philips a à apprendre de Zara” de mars 2011.

L’intérêt pour les entreprises européennes de textile de baser son modèle d’affaire sur la réactivité, la qualité et la proximité en évitant les grands volumes, laissés aux asiatiques, est illustrée dans mon billet sur Alsatextiles de novembre 2010.

La Renault Logan, un bon exemple d’innovation de rupture “interne”

Le lancement par Renault du modèle Logan est un cas d’école intéressant car il constitue une exception à la thèse de Clayton Christensen selon laquelle les grandes entreprises leader sont incapables de lancer des innovations de ruptures dans leur propre marché.
La pente naturelle de toute entreprise est la montée en gamme de ses produits: alors que l’entreprise se développe, sa structure de coût augmente, son point mort s’élève, elle a donc besoin de produits plus hauts de gamme pour maintenir ses marges. Il est très difficile pour elle de continuer à créer des produits bas de gamme, car ceux-ci ne correspondent plus à sa structure de coût. Un produit haut de gamme apporte de la marge supplémentaire sur une structure de coût inchangée, ce qui est très attractif; à l’inverse, un produit en descente de gamme “mange” la marge sur une structure de coût inchangée, ce qui n’est pas attractif. Les entreprises sont donc facilement victimes de ce que Christensen appelle “la rupture par le bas“. Au bout d’un certain temps en effet, lorsque le leader d’un marché monte ainsi en gamme, il finit toujours par se faire attaquer par une offre bas de gamme. Dans l’automobile, ce fut notamment le cas aux Etats-Unis: alors que Ford avait basé son développement sur le modèle T, trois fois moins cher que ses concurrents, la marque avait progressivement abandonné ce segment pour le moyen et haut de gamme. Dans les années 70, les Japonais envahissent le marché par le bas, et les fabricants américains s’avèrent incapables de répondre en proposant leurs propres modèles. Une fois installés, les fabricants japonais sont inévitablement montés en gamme jusqu’à produire des voitures de luxe comme la Lexus. Ils furent ensuite eux-même attaqués par les Coréens.

Je suis une rupture à moi toute seule! (Source: Wikipedia)

C’est dire si le lancement de la Logan est important: il constitue un rare cas d’une entreprise qui tente de résister à la fuite vers le haut de gamme en proposant le premier modèle à 5000 Euros. Renault est cependant familier du fait: la Twingo était déjà une tentative, réussie, de conserver une présence dans ce segment, mais la voiture n’a jamais été rentable! Elle constitue donc presque une preuve de la difficulté de rester sur ce segment. Pour que le projet Logan soit rentable, l’entreprise a totalement revu ses méthodes de conception et de production (voir mon billet à ce sujet et le livre de Christophe Midler sur le projet Twingo). Comme dans le cas de la Twingo, la résistance organisationnelle à la descente en gamme a été très forte, et le projet n’a été jusqu’au bout que grâce à l’insistance du PDG Louis Schweitzer lui-même. Celui-ci raconte en effet que la direction financière de Renault lui avait démontré, chiffres à l’appui, que la logan ne gagnerait jamais d’argent. Aujourd’hui, le segment low cost de Renault, appelé pudiquement “Global Access”, représente 35% des ventes du groupe et un pilier de sa profitabilité.
On lira avec intérêt l’entretien que Kenneth Melville, le designer écossais de la Logan, avait accordé à BusinessWeek où il explique comment les difficultés de produire une voiture à si bas prix tout en restant rentable ont été résolues grâce à une approche particulière du design.

Pour en savoir plus sur la rupture par le bas, voir mon ouvrage “Relevez le défi de l’innovation de rupture“.

[Mise à jour décembre 2019] Le “père” de la Logan, Gérard Detourbet, est décédé. En savoir plus ici sur cet innovateur de rupture inconnu du grand-public.

[Mise à jour avril 2011]: ce billet posait initialement la question en termes d’opposition entre innovation radicale et innovation continue. Les travaux récents de Christensen insistent sur le fait que l’opposition pertinente est plutôt entre innovation continue et innovation de rupture. La distinction est qu’une innovation peut être radicale (c’est à dire très fortement novatrice) mais pour autant correspondre assez bien au modèle économique de l’entreprise. Une innovation est de rupture lorsqu’elle s’accompagne d’un modèle économique nouveau, souvent incompatible avec le modèle existent de l’entreprise, ce qui explique la difficulté. Voir mon billet plus récent sur cette opposition continue/rupture.

Ruptures technologique, économique et d’usage : le cas du magnétoscope

Si vous interrogez quelqu’un sur les origines du magnétoscope, vous obtiendrez dans de nombreux cas des réponses tournant autour de JVC, Panasonic et du standard VHS. Une audience plus âgée se souviendra sans doute de Sony et du Betamax. Cette mémoire sélective est tout à fait cohérente avec la théorie de Michael Shrage sur l’innovation : “l’innovation n’est pas ce que font les innovateurs ; c’est ce que les clients adoptent” (notre post du 19 janvier : “Innovation diffusion”). Une variante pourrait être : “Le public ne se souvient pas de l’invention, il se souvient du moment où il l’a adoptée

Ceux qui se souviennent de JVC et ceux qui se souviennent de Sony comme inventeurs du magnétoscope sont dans l’erreur. L’histoire mérite d’être racontée, parce qu’elle illustre bien les différentes ruptures qui accompagnent une innovation.

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Pourquoi Firefox n’a aucune chance

Risquons nous à faire un pronostic, ce n’est pas si courant en management, et encore moins dans le domaine de l’innovation, où 99% du travail porte sur des analyses a posteriori. On a beaucoup parlé ces derniers temps du phénomène Firefox, le navigateur Open Source. Basé sur l’organisation Mozilla, qui est renée de ses cendres récemment; Firefox se pose en challenger direct de Mirosoft Internet Explorer, qui détenait, avant l’attaque, plus de 97% de “parts de marché”.
Il n’y a pas, objectivement, de raison d’abandonner Explorer pour Firefox. Bien sûr, on vous dira que Firefox est plus rapide, qu’il est plus agréable d’emploi avec quelques fonctions ergonomiques bien conçues, et, cerise sur le gâteau, qui fait beaucoup vendre en ces temps de terrorisme, qu’il est plus résistant aux virus et autres attaques malignes. Mais ces avantages sont bien ténus. Pour utiliser Firefox depuis plusieurs semaines, je ne vois pas grande différence avec Explorer, si ce n’est que plusieurs sites importants ne fonctionnent pas avec, ce qui est agaçant. Je me risque à prévoir l’échec de Firefox à remettre en question la domination écrasante de Explorer.

En fait, Firefox est ce que Clayton Christensen, notre gourou innovation, appellerait une innovation incrémentale par rapport à Explorer. Il ne change pas fondamentalement les choses, il se contente d’améliorer – et bien modestement – quelques faiblesses d’Explorer. En fait, on pourrait dire que le seul avantage de Firefox est de n’être pas Explorer. C’est dire si son adoption relève plus de la démarche militante contre Microsoft que d’un choix rationnel pour un produit supérieur.

Et c’est là qu’est le danger. Car non seulement les démarches militantes allant à l’encontre d’un choix rationnel sont fragiles, mais encore Christensen nous apprend qu’attaquer une entreprise dominante avec une innovation incrémentale est voué à l’échec. Dans son livre “Innovator’s dilemma”, Christensen indique en effet que les innovations incrémentales favorisent toujours les leaders en place, et qu’au contraire, seule une innovation de rupture les fragilise. Ceci suggère donc que Firefox n’a aucune chance. Bien sûr, chaque demi pour cent de part de marché gagnée fait l’objet de commentaires triomphants dans la presse, les adeptes de l’Open Source et ennemis de tous poils du géant de Redmond exultent. Mais Explorer possède toujours plus de 92% du-dit marché, restons réalistes.

Que va-t-il se passer? Pris en flagrant délit d’endormissement – Explorer n’a pas vraiment été amélioré depuis plusieurs années – Microsoft va réagir de manière totalement prédictible: la prochaine version 7 sera un festival d’innovations ergonomiques et sécuritaires, à côté de laquelle Firefox fera l’effet d’un vieux poste à galène, et se fera fort de supprimer toute raison rationnelle de basculer vers Firefox. Restera la foi militante, dont on sait certes qu’elle peut déplacer des montagnes, et quelques niches (Linux, Apple) dont le seul objet sera de permettre à Bill Gates de clamer qu’il n’a pas de monopole. La part de marché d’Explorer cessera de baisser, remontera de 92% à 95%, les lignes de front se stabiliseront ainsi, et la messe sera dite.

Ca ne fait peut-être pas plaisir, mais, comme le dit Jim Collins, il faut regarder la réalité en face: ce n’est pas avec Firefox que Microsoft sera fragilisé. Mettons-nous ça en tête! A suivre, j’ai hâte de voir les résultats.

Mise à jour: Voir billet sur Firefox écrit en 2011 ici.

Le viaduc de Millau : derrière l’exploit, un festival d’innovations

La technique des ponts haubannés remonte au XVIIIème siècle. Mais différents incidents, notamment des ruptures consécutives à des oscillations déclenchées par le vent, ont mis cette approche en quarantaine jusque vers les années 1960. A revoir à ce sujet : le film de l’effondrement du Tahoma Bridge aux Etats-Unis (1940). Quelques images disponibles sur http://www.thefilmvault.com/disasters/tahoma_bridge.html.

Le viaduc de Millau a beaucoup été mis en avant pour différents records. La hauteur de ses piles tout d’abord ; la pile 3 avec 221m et la pile 2 avec 245m (343m avec le pylone supportant les haubans) pulvérisent évidemment le précédent record pour la catégorie (180 m). La portée entre piles ensuite ; avec 340m, le record précédent (140m) pour un pont métallique semble bien court. Mais l’intérêt de l’ouvrage est ailleurs, dans les nombreuses innovations qui ont été mises en oeuvre pour ce chantier hors du commun.

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StarAcademy, ou la rupture dans le monde du spectacle

Warhol l’avait bien prédit: à l’avenir (c’est à dire maintenant), chacun aura droit à quelques minutes de célébrité à la télévision. Etant chez des amis samedi soir, et ceux-ci ayant eu la (déplorable) idée d’allumer la télévision, je fus donc contraint de regarder StarAc du coin de l’oeil. A quelque chose malheur est bon car je me suis fait la réflexion suivante, outre le fait qu’il fallait peut-être que je choisisse mieux mes amis: StarAc est une innovation de rupture de la télévision face au modèle dominant des artistes “professionnels”.

Le monde du spectacle est basé sur le mécanisme suivant: un artiste démarre au bas de l’échelle, et à force de travail développe son image de marque et son public, qui devient une rente qui rapporte énormément. Nous avons donc un marché occupé par des artistes établis qui contrôlent le marché du spectacle, ce qui leur permet d’exiger des tarifs astronomiques. D’où StarAc: l’idée est de fabriquer une star à pas cher en quelques semaines pour opérer une rupture radicale. Du coup, l’antenne est occupée par ces stars non payées, la concurrence est aiguisée avec les “vrais” professionnels. Ceux-ci, bien sûr, ont beau jeu d’expliquer que les starAc ne savent pas chanter, qu’ils partiront comme ils sont venus. Réaction typique de leader confronté à une rupture. Les fabricants de mainframes considéraient aussi que les PC étaient des jouets. La nouvelle star occupera l’antenne quelques mois, rendant folles les jeunes filles, puis disparaîtra dans les oubliettes de l’histoire, remplacée par une nouvelle star montante. Le fait que ces stars chantent horriblement mal (le petit minou nous a massacré un Brel l’autre soir que c’en était pénible) n’est pas un accident, mais une condition indispensable au côté jetable de l’artiste. Si par malheur il avait du talent, il risquerait de faire une carrière autonome et de rejoindre les professionnels, établissant le rapport de force même que les chaînes de télévision cherchent à briser. La rupture, c’est donc que la domination du marché du spectacle est en train de passer des artistes (producteurs) aux chaînes de télévision (distributeurs) qui créent leur marque blanche. Comme quoi les ruptures ne sont pas toutes technologiques…

La résistance des organisations à l’innovation : l’histoire du Lieutenant Sims

A la fin du XIXème siècle, la précision des tirs de la marine américaine était encore approximative : une étude de l’époque indiquait que seuls 121 tirs sur 9.500 atteignaient leur cible ! En 1900, le lieutenant américain William S. Sims, rencontra l’Amiral anglais Percy Scott à l’occasion d’une affectation en Chine. Ce dernier avait mis au point un nouveau système de visée qui compensait le roulis des bâtiments et avait la capacité de multiplier par 30 la précision des tirs.
Sims accumula des données sur le nouveau système de visée pour conforter son opinion et, légitimement enthousiasmé par les performances qu’il découvrait, commença à envoyer des notes au Bureau des Ordonnances de la Marine Américaine (le département R&D de la Marine), à Washington. Il se produisit exactement le contraire de ce qu’il escomptait: il ne reçut aucune réponse…

Au lieu de se décourager, Sims commença à diffuser plus largement à diffuser ses notes sur le nouveau système de visée, jusqu’à acquérir un statut d’empêcheur de tourner en rond. A partir d’un certain stade, l’état-major de la Marine ne put plus l’ignorer ; le bureau des Ordonnances prépara donc un rapport qui expliquait:

1. que la Marine américaine avait les tirs les plus précis du monde et que ce niveau de précision avait grandement contribué au succès des forces américaines dans leur conflit avec l’Espagne,
2. que le nouveau système ne pouvait pas permettre d’obtenir une amélioration des performances dans les proportions décrites par Sims,
3. qu’une amélioration des performances ne devait pas être recherchée du côté de la technologie, mais plutôt du côté de la formation et de l’entraînement des tireurs.

Le lieutenant Sims, qui n’avait plus rien à perdre, commit alors l’impensable ; il fit une synthèse de tous ses rapports et l’envoya directement au Président des Etats-Unis en personne, Théodore Roosevelt. Celui-ci, ancien Secrétaire d’Etat de la Marine, lut le rapport, et au mépris de tous les usages, fit venir Sims à Washington en 1902 avec comme mission… de faire évoluer les dispositifs de visée de la marine américaine !

Les Lieutenants Sims en entreprise ne finissent malheureusement pas tous leurs carrière de cette façon.

Comment Nokia est devenu leader dans les années 90

Comment Nokia est-il devenu le leader de la téléphonie mobile dans les années 90 ? Rien ne prédisposait une entreprise finlandaise, un ancien groupe minier et forestier de surcroît, à occuper cette position. Nokia ne découvrait pas totalement le secteur; il fabriquait des équipement radio-téléphoniques depuis les années 60.

Ce qui a déclenché son formidable succès dans le grand public est venu par contre d’une rencontre avec le consultant Gary Hamel. Pour booster la créativité du constructeur finlandais, celui-ci proposa d’envoyer des équipes d’ingénieurs et de cadres de Nokia, dans trois endroits assez particuliers de la planète : Venice Beach en Californie, King’s Road à Londres, et le quartier des nightclubs à Tokyo (pour le plus grand bonheur des intéressés, qu’on imagine plus habitués au cercle polaire…). L’étincelle créative n’est pas toujours cachée dans un rapport de 250 pages du Gartner Group, ou dans une série de réunions interminables de groupes de travail internes … ; il vaut mieux parfois aller se glisser dans la peau de ses clients, dans des endroits un peu lointains, et elle est sous vos yeux. C’est à la suite de ces “expéditions”, notamment en regardant évoluer les skaters de Venice Beach, que Nokia comprit que les mobiles avaient dépassé leur statut utilitaire d’outil de communication pour devenir des accessoires de mode.

Kodak, un raté de l’innovation?

On a coutume de nos jours de moquer la reconversion ratée de Kodak, qui aurait raté la révolution numérique, arc-boutée sur son activité photo argentique traditionnelle. La réalité est plus nuancée. Kodak est en fait un des tous premiers à avoir activement travaillé à la photo numérique. En 1992, pour un de mes projets clients de l’époque, nous avions acheté un appareil photo numérique. C’était un Kodak DCS 100, et il coûtait 220.000F (oui, environ 50K Euros aujourd’hui). On ne peut pas dire que Kodak ignorait la révolution numérique! Les cruelles fermetures d’usines auxquelles Kodak procède actuellement ne sont en fait que l’aboutissement d’un cycle de transformation du business de la société de chimiste en électronicien. Que Kodak ait été victime du dilemme de l’innovateur décrit par Clayton Christensen est indéniable: ils ont d’abord essayé de forcer le numérique dans le moule traditionnel avec le pathétique APS, mais ça ne les a pas empêché d’avancer pour, au final, finir pas trop mal dans le peloton des fabricants d’appareils numériques. Le dilemme initial, toutefois, leur a coûté, peut-être pour toujours, leur place de leader.

Voir mon billet plus récent sur la fin de Kodak ici.