Gérer l’innovation de rupture au sein d’une entreprise existante: Les trois horizons d’IBM

J’évoquais dans un article précédent la difficulté pour une entreprise existante de gérer une innovation de rupture sans l’étouffer. On ne compte plus en effet les entreprises qui veulent vraiment innover mais qui ne réussissent pas. La solution souvent proposée consiste à loger l’innovation de rupture dans une entité séparée pour la protéger du modèle d’affaire existant. Mais j’évoquais également les difficultés que cela comporte: la distance par rapport à l’organisation peut entraîner un isolement de l’entité innovante, l’hostilité à son égard de ceux qui sont restés dans la “vieille” organisation, et la difficulté à se réintégrer une fois l’innovation réussie. Cependant il est possible de gérer une innovation de rupture au sein de l’organisation, c’est ce que fait IBM avec son modèle dit “en trois horizons”. Regardons-le de plus près.

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La valeur d’une ressource est relative: Dragon Lady et la création de valeur entrepreneuriale

C’est l’histoire de Cheung Yan. Au cours d’un voyage aux Etats-Unis avec son mari, cette chinoise modeste observe que les Américains consomment beaucoup de papier–plus de 300 kg par personne chaque année. Or elle sait que les Chinois ont désespérément besoin de boîtes en carton pour les produits qu’ils exportent dans le monde entier, carton qui est produit à partir de papier. Elle crée America Chung Nam (ACN) en 1990 sur un investissement personnel de… 3.800$. Son plan est simple: récupérer le déchet papier aux États-Unis et l’exporter vers la Chine.

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Ce que l’iPad nous apprend sur le coût du travail en général et sur l’innovation en particulier

Les chercheurs de l’Université de Californie à Irvine se sont livrés à un exercice très intéressant et très utile qui consiste à étudier la structure de coût et de profit d’un iPad, la tablette d’Apple vendue à plus de 35 millions d’exemplaires, pour ceux qui auraient vécu sur Mars ces trois dernières années. Concrètement la question qu’il s’est posée est la suivante: quel pays gagne quoi lorsqu’un iPad est vendu? La question est  importante, et la réponse est des plus intéressantes. Le découpage montre en effet que sur un iPad vendu 460 dollars, le coût du travail ne représente que… 33 dollars, dont 8 seulement pour la Chine. Oui, vous avez bien lu, huit petits dollars. C’est à dire que sur un iPad, la Chine ne gagne rien! Comment cela se fait-il? C’est simple: en brut, la Chine gagne plus, mais pour fabriquer le-dit iPad, elle doit elle-même importer de nombreux composants. En substance, l’iPad ne fait que “passer” par la Chine pour y être assemblé. La valeur ajoutée y est donc très faible. On conçoit donc qu’avec un tel pourcentage, l’avantage en terme de coût du travail ne joue pratiquement plus, surtout compte tenu de la marge énorme gagnée par Apple sur le produit.

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Ce que Vaclav Havel nous enseigne sur le manque d’innovation dans les grandes entreprises

Dans son livre “Le pouvoir des sans-pouvoir”, Vaclav Havel raconte la réflexion que lui inspire une expérience toute simple de la vie quotidienne dans la Tchécoslovaquie des années 80: l’observation dans la vitrine d’une épicerie d’une affiche du parti communiste, “Travailleurs de tous les pays, unissez-vous”. Qu’est-ce qui peut bien motiver l’épicier pour avoir mis l’affiche, se demande-t-il? De toute évidence, l’épicier n’est pas un militant communiste (il n’en reste guère à l’époque). Havel conclut Il met l’affiche à la fenêtre simplement parce que cela se fait depuis des années, parce que tout le monde le fait, et parce que c’est ainsi que ce doit être. S’il refusait, il pourrait y avoir des problèmes.” Pour lui, l’attitude de l’épicier est symptomatique de la façon dont les tchèques et les slovaques réagissaient à la dictature décérébrée qu’était devenue leur pays.

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Créer une entité “innovation” dans votre entreprise: une fausse bonne idée?

La réaction fréquente d’une entreprise confrontée au manque d’innovation est de créer une entité “innovation” chargée de lancer des initiatives dans ce domaine. Très souvent une telle initiative, lancée en fanfare, s’étiole et l’entité finit par disparaître. Pourquoi? Pour le comprendre, il est intéressant de reprendre l’histoire d’une entité innovation emblématique, le groupe ODD de l’opérateur télécom AT&T aux Etats-Unis.

ODD, qui signifiait “Opportunity Discovery Department”, fut créé en 1996 par huit chercheurs issus des fameux Laboratoires Bell, à Murray Hill dans le New Jersey. Ces chercheurs étaient conscients des ruptures qui à l’évidence menaçaient la position stratégique d’AT&T, à l’époque opérateur historique américain venant tout juste de perdre son monopole, et ils voulaient que ces sujets déclenchent une discussion sur la stratégie du groupe. Pour aggraver la situation, la stratégie d’AT&T à l’époque était basée sur une logique incrémentale où demain était la continuation d’hier. Au contraire, les créateurs du groupe ODD étaient convaincus que l’avenir d’AT&T ne ressemblerait pas du tout à son passé. ils décidèrent de partager leur vision et, pour cela, eurent l’idée assez originale d’inventer un vocabulaire propre qui, selon eux, permettrait de faire passer plus facilement leur message.

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La manque de diversité a paralysé la CIA – Il peut aussi paralyser votre organisation

Mon article (en anglais) avec Milo Jones paru dans le magazine Forbes: “Lack of Diversity Paralyzed the CIA. It Can Cripple Your Organization, Too”

L’article est défend la diversité de l’organisation pour des raisons pratiques, et non seulement morales. L’absence de diversité a en effet aveuglé la CIA en l’empêchant de reconnaître une menace à plusieurs reprises. Des organisations trop homogènes sont ainsi plus facilement victimes de surprises stratégiques.

Lire  l’article ici.

Des “Faits” apparemment évidents – Précautions statistiques à propos des BRIC (en l’honneur de Igor Birman)

L’utilisation des données quantitatives et de statistiques pour estimer une situation incertaine est indispensable, mais elle comporte de nombreux risques: une estimation peut devenir tellement familière qu’elle devient un fait admis par tous, des sources apparemment distinctes peuvent en fait s’appuyer sur la même source, etc. Ces biais contribuent ainsi activement aux surprises stratégiques, une situation définie comme “la réalisation soudaine qu’on a opéré sur la base d’hypothèses erronées qui se traduit par l’incapacité d’anticiper une menace grave sur ses intérêts vitaux.”

Vers la fin des années 80, par exemple, les experts américains de la CIA “savaient” que le PIB soviétique était de 2.500 milliards de dollars, soit environ 52% du PIB américain. Comment? Leurs modèles informatiques le leur indiquait.  Ces modèles étaient basés, entre autres choses, sur une hypothèse de parité de pouvoir d’achat (PPA) exprimée Rouble-Dollar. Les soviétologues occidentaux, de leur côté, “savaient” également que le PIB soviétique était de 2.500 milliards de dollars, ce qui renforçait la crédibilité du chiffre. Comment? Ils s’appuyaient sur une source qui faisait autorité… la CIA.

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Le praticien réflechissant: apprendre de la pratique

Il y a quelques temps, un ami a vécu une expérience intéressante au sein de sa start-up. Il a vendu une licence à un client, et le retour client n’a pas été très bon. En substance, le client se plaint de la complexité du logiciel et des bugs qu’il rencontre. Ce fut très surprenant, car le même logiciel est par ailleurs utilisé en environnement de production “intensif” par d’autres clients, qui leur sauteraient dessus à la moindre bug; or le front est calme de ce côté-là. La réaction des commerciaux, fort naturelle, fut de demander à l’équipe de développement d’améliorer son processus de test lors de la sortie du produit, et de travailler à une interface plus intuitive, et de demander au support d’améliorer les documentations, la formation, etc. Rien que de très classique me direz-vous. Oui, sauf que ce n’est pas la bonne manière de réagir. La bonne manière consisterait d’abord, comme le suggère Donald Schon dans “The reflective Practitioner” (le praticien réfléchissant, pas disponible en français), à formuler correctement le problème. Seulement lorsque cela est fait peut-on établir un diagnostic. En l’occurrence, une manière plus correcte de formuler le problème n’est pas de dire “Le client se plaint qu’il y ait des bugs et que le logiciel soit compliqué”, mais “le client, avec les moyens dont il dispose, trouve difficile l’utilisation du logiciel, et en plus il rencontre des bugs que d’autres clients ne rencontrent pas.” Cette formulation est meilleure car elle fait intervenir la particularité du client dans la réflexion.

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