Les quatre modèles mentaux qui plombent l’écologie politique

L’échec d’une institution – entreprise, Etat, organisation, parti politique – a généralement de nombreuses causes, mais la principale d’entre elles est souvent l’enfermement dans des modèles mentaux contre-productifs. Le récent échec des écologistes à l’élection présidentielle en est un bon exemple, dont d’utiles leçons peuvent être tirées au-delà du seul champ politique.

Même s’il était finalement attendu, le score de 4,63% obtenu par son candidat Yannick Jadot représente une cruelle déception pour le camp écologiste. Mais il est surtout en lui-même très étonnant. Comment peut-on obtenir un score aussi faible alors qu’une grande majorité des français se disent sensibles à la cause écologiste? Au-delà de la question purement politique (choix du candidat, conduite de la campagne, etc.) ce résultat suggère une déconnexion entre un collectif (une institution) et la réalité qui l’entoure. Cette déconnexion est un marqueur traditionnel de déclin organisationnel. Comment s’explique-t-il?

Déclin organisationnel: le rôle des modèles mentaux

Un collectif se constitue autour d’un certain nombre de croyances profondes appelées modèles mentaux. Ces croyances déterminent son identité et constituent la base de son action. Kodak croit qu’une photo, c’est quelque chose qui existe sur du papier, et investit donc des milliards dans le développement d’une activité d’imprimantes photos pour la famille. Mais ces croyances peuvent aussi représenter un enfermement lorsque la réalité évolue. Au début des années 2000, les gens cessent d’imprimer les photos et les regardent désormais sur écran. Les investissements de Kodak sont donc faits en pure perte, et la firme fera faillite peu après. Lorsqu’on cherche à comprendre le déclin d’un collectif quel qu’il soit, il est donc important d’examiner ses modèles mentaux, car cela pointe vers des causes d’enfermement possibles.

Si l’on tente l’exercice sur le mouvement écologiste (avec un œil organisationnel plus que politique, et donc avec les limites de l’exercice), on peut identifier quatre modèles mentaux candidats à ce type d’examen.

Premier modèle: L’écologie, c’est forcément à gauche. On l’oublie, mais la sensibilité à la nature et l’hostilité à la révolution industrielle n’ont jamais été exclusivement de gauche (cf le mouvement romantique allemand par exemple). Autrement dit, la sensibilité écologique se trouve aussi bien à gauche qu’à droite. La question écologique est de celles qui ne se conforment pas au cadre (modèle mental) divisant le pays entre droite et gauche. Elle est transverse. En ancrant l’écologie à gauche, et plutôt dans une gauche dure, la traduction politique du mouvement se coupe mécaniquement d’une partie de ses électeurs potentiels. Dans le langage de l’innovation de rupture, l’écologie se coule dans le modèle existant (droite/gauche) et se prive ainsi de son côté disruptif.

Mental model error (Source: Wikipedia)

Deuxième modèle: La science est l’ennemi de l’écologie. Bien que le mouvement soit une nébuleuse, dont les positions restent diverses, nombre d’acteurs importants arborent des positions anti-scientifiques ou anti-progrès en général sur des sujets comme la vaccination, les OGM, ou encore la 5G. Ces positions, qui ne sont pas majoritaires mais néanmoins fortement présentes, traduisent une façon de concevoir l’écologie comme un retour à un idéal pastoral « d’avant » la révolution industrielle, bien que celui-ci n’ait jamais existé. Un modèle alternatif serait d’accepter qu’une large part des solutions aux problèmes actuels réside au contraire dans le progrès scientifique, ou à tout le moins que certaines questions sont complexes. Par exemple, le fait que les OGM tant décriés sont souvent la meilleure façon d’éviter les pesticides, eux aussi décriés.

Troisième modèle: Le capitalisme est l’ennemi de l’écologie. Très lié au point précédent, une large partie de l’écologie politique semble penser que la solution aux problèmes de l’environnement réside dans moins, et non plus, de capitalisme, et que plus généralement ces problèmes prennent leur source dans le capitalisme lui-même. D’où l’idée de décroissance. C’est oublier que les catastrophes écologiques pré-datent le capitalisme, et qu’elles se sont produites aussi dans des régimes non capitalistes. Un modèle mental alternatif serait d’admettre que ces problèmes sont liés à l’activité humaine mal contrôlée, ce qui permettrait d’envisager l’idée qu’un système démocratique, libéral et capitaliste comme le nôtre est mieux placé pour les résoudre, tant par l’action politique que par l’innovation qui en constitue le cœur, que des pays hostiles au capitalisme.

Quatrième modèle: L’écologie est une idéologie universelle. Partie d’une problématique relativement spécifique, protéger l’environnement menacé, l’écologie s’est transformée en une force politique qui prétend avoir une position sur tous les sujets. Les écologistes emploient désormais une expression comme « justice sociale et environnementale », associant le social à l’environnement, prennent position sur les questions de diversité et d’inclusion, voire sur les questions internationales comme le conflit au Moyen-Orient, alors que ces questions n’ont aucune dimension écologique. Ce faisant, l’écologie s’aventure au-delà de son domaine de pertinence, et prend deux risques: le premier, celui de diviser ses troupes, et le second de rebuter encore plus ceux qui sont sensibles à l’écologie mais qui ne se reconnaissent pas dans ces combats sans lien avec cette question. En substance, le mouvement est victime du « qui trop embrasse mal étreint ».

Le blocage des modèles mentaux

Ce qu’illustre cet exemple tiré du monde politique, c’est que le déclin institutionnel est souvent le résultat d’un blocage produit par l’enfermement dans des modèles mentaux obsolètes ou non pertinents, qui rend difficile voire impossible de tirer parti de la réalité changeante. L’institution se coupe d’une réalité qu’elle perçoit de moins en moins clairement. Le paradoxe est que lorsque les premiers signes d’un tel déclin apparaissent, la tentation est de renforcer ces modèles. C’est le fameux « il faut travailler plus dur » de la Ferme des animaux, qui tend à renforcer les positions extrêmes, ce qui accentue le déclin. Au contraire, le renouveau institutionnel nécessite une exposition et un examen lucides de ses modèles. Ce n’est pas facile, car cela nécessite une remise en question profonde de sa propre identité collective. L’histoire est pleine de ces institutions qui n’ont pas voulu, pas su, ou pas pu, procéder à cet exercice, et qui ont disparu plus ou moins rapidement. A l’heure de l’incertitude et des ruptures du monde, il est pourtant devenu indispensable.

➕Pour aller plus loin, on pourra lire mes articles précédents: 📄Choisis ton camp camarade! Pourquoi diviser le monde en deux nous empêche de le transformer; 📄Les gilets jaunes ou la confusion des modèles mentaux dans un monde qui change

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6 réflexions au sujet de « Les quatre modèles mentaux qui plombent l’écologie politique »

  1. les troisième point est un peu plus général à mon avis: la croissance est ennemie de l’écologie.
    cela vient du célèbre « pas de croissance infinie dans un mode fini », mais la phrase correcte serait plutôt « pas de croissance infinie des productions matérielles (mesurées en tonnes) dans un monde fini ». La toute petite différence, c’est l’immatériel… qualité, image de marque, goodwill, rareté, etc.

    1. Vous avez raison sur un plan de création intellectuelle, etc …

      Mais cette phrase, sur laquelle est beaucoup construite l’écologie, en effet, est FAUSSE également sur un plan physique : la terre reçoit de manière continue l’énergie du soleil.
      Notre planète « finie » sur le plan de la matière mais pas du tout sur celui de l’énergie : si, chaque jour, on reçoit plein d’énergie, ça fait une énergie infinie (en tout cas à l’échelle humaine).

      Et, avec de l’énergie infinie, on peut recycler ce qu’on veut autant de fois qu’on veut même si ça a été mal conçu, éliminer les déchets radioactifs en les envoyant dans le soleil, faire tous les voyages qu’on veut, transporter des matières d’un bout à l’autre de la planète, etc …)
      Je ne dis pas qu’il faudrait faire cela, je donne des exemples de ce que l’énergie infinie veut dire.

      Et ça montre à quel point ce modèle mental d’une planète finie conduit à une mauvaise appréhension du problème de l’environnement…

  2. En parlant de modèles mentaux :
    « Partie d’une problématique relativement spécifique, protéger l’environnement menacé » , d’aucuns pourraient estimer que c’est une problématique relativement globale ….

  3. Bonjour,
    Merci pour votre analyse.
    Je viens de finir un très bon livre sur l’écologie : « Réaliste : soyons logiques autant qu’écologistes », de Bertrand Piccard (le gars qui a, entre autres, fait le tour du monde dans un avion solaire).
    Son propos est que pour faire changer les choses, il faut que tout le monde trouve son compte dans le changement sinon, tout simplement, il n’aura pas lieu.

    Par exemple, il faut que les entreprises y trouvent leur compte (et donc qu’elles puissent gagner de l’argent).

    Et, là où c’est convaincant, c’est qu’avec sa fondation, ils ont identifié (et labellisé) plus de 1200 solutions pour améliorer l’environnement. Et ils choisissent des solutions réelles (existantes) et rentables.

    Je vous invite à lire (au moins) la 4ème de couverture, si vous en avez l’occasion …

  4. « Deuxième modèle: La science est l’ennemi de l’écologie ». Et de donner comme exemple l’opposition de certains écologistes à la 5G.
    Rappelons que la 5G, c’est une énorme consommation d’énergie, donc de production de gaz à effet de serre.
    Je suis peut-être enfermé dans un « modèle mental contreproductif », comme vous le dites. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas le « contreproductif ». Avec votre modèle mental, vous n’avez pas encore compris que la seule solution viable, c’est de produire moins.

  5. Bonjour,

    Et encore, Sardine Ruisseau n’avait pas passé les primaires. Comme modèle débile-mental, nous aurions été fort gâtés!

    Ce score n’est en effet pas fameux, surtout après quelques grandes villes gagnées aux dernières municipales (mais des électeurs ayant vite compris ce que l’écologie politique, essentiellement punitive, signifiait au quotidien?) et des socialistes, alliés quasi systématiques depuis au moins 2 décennies, que Anne (Âne?) Hidalgo vient d’achever: Même pas de vases communicants entre eux pour atteindre 5% et le remboursement des frais de campagne, ce qui semblait pourtant largement atteignable dans ces circonstances plutôt favorables.

    A croire que tout ce que ce parti panier de crabes touche gangrène!

    Mélenchon devrait faire attention: Niveau militants, la base PS a toujours profondément détesté les écolos. Que voter pour l’un soit en pratique voter pour l’autre, ce que le désistement de Jadot pour Hamon en 2017 avait officialisé, les a plus vidé des derniers sympathisants qu’aidé à remonter la pente.

    Au final, il en va un peu de l’écologie comme de l’islam politique, autre sujet (avec hélas un poids, encore très incomplètement exprimé en prime, incomparable) avec LFI qui a dragué l’électorat musulman au point d’en récupérer 70% du vote exprimé au 1er tour: Cela devient à l’usage des sectes plus que des partis, tout simplement car ce n’est en effet pas des sujets partisans. Et notre chaviste national de réussir l’exploit de cumuler ces deux problèmes chez LFI! Bon courage: Stratégie sans doute payante à court terme, mais au delà gare à toutes ces forces antagonistes.

    L’écroulement PS/LR, c’est au final un 1er tour qui a tout de même rassemblé quasiment 1/3 de vote exprimés protestataires à « gauche » (PC, Lassalle, écolos, LFI) et sensiblement pareil à droite (NDA, Zemmour, Le Pen). Avec un sursaut républicain du second tour plus faible que jamais.

    Macron n’a pas fini de devoir choyer les forces de l’ordre, bien qu’elles ne votent globalement pas pour lui: Ce monde politique est vraiment fou!

    Cdt.

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