La rénovation de la Samaritaine, symbole d’un optimisme français devenu trop rare

Le grand magasin La Samaritaine a rouvert ses portes après une rénovation qui a duré près de 15 ans. Ce qui, au premier abord, paraît banal – un grand magasin rénové – a en fait une portée symbolique très importante. Tandis que certains dénoncent cette célébration de la consommation et du luxe comme une provocation en temps de crise, j’y vois pour ma part un formidable signe d’optimisme dont notre pays a tant besoin.

Le mail est lapidaire. Ce correspondant me fait parvenir un article sur la rénovation de la Samaritaine et commente d’un air dépité: « 20.000 m2 consacré à la mode et aux cosmétiques… » En ces temps de crise et de Covid, mon premier réflexe est de me dire qu’effectivement, cette frivolité est mal venue, d’autant que je regardais l’émission de France 2, Envoyé Spécial, qui portait samedi dernier sur les retraités pauvres. Ainsi Monique dont la retraite mensuelle est de 900€ et qui, dès le 15 de chaque mois, surveille chaque euro et vit dans la terreur que sa vieille voiture (19 ans) tombe en panne ou soit recalée au contrôle technique; ou ce couple d’agriculteurs qui ne sort plus car ils ne peuvent rien se payer au-delà du strict nécessaire. La crise que nous vivons depuis le début de l’épidémie a aggravé la situation et placé de nombreux français dans une situation économique périlleuse. Comment à cette aune-là, l’inauguration en grande pompe de la Samaritaine, temple de la consommation et du luxe, ne pourrait-elle en effet pas être perçue comme une provocation?

Un bâtiment historique et une rénovation d’exception

En 1870, le négociant Ernest Cognacq ouvre avec sa femme Marie-Louise Jaÿ une boutique à l’emplacement de l’actuelle Samaritaine. Ils s’étendent petit à petit dans les boutiques mitoyennes et décident de voir grand. En 1910 est inauguré un bâtiment Art nouveau, à la pointe de son époque sur les plans architecturaux et techniques, aux ambitieux volumes, doté d’une structure métallique et d’ornementations novatrices. A ce bâtiment vient s’ajouter en 1928 un édifice Art déco conçu par le grand architecte français Henri Sauvage. Le bâtiment fait d’ailleurs partie d’un îlot inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. On peut penser que la Samaritaine a servi de modèle à Zola pour son fameux Au bonheur des dames qui évoque la révolution du commerce qui a lieu dans le Paris de la fin du XIXe Siècle en racontant la naissance et la croissance fulgurante d’un grand magasin. La Samaritaine deviendra l’un des magasins phares de Paris.

Révolution française (Source: Wikipedia)

Fermé en 2005 pour des raisons de sécurité, mais aussi parce qu’il perd de l’argent et est devenu désuet, le bâtiment aura nécessité 15 ans de travaux et 750 millions d’euros de budget pour sa rénovation. Il offre une superficie de 20 000 m², où travaillent 1700 employés et où 600 marques sont représentées. La Samaritaine retrouve sa verrière monumentale (700m2) de structure Eiffel, élément d’architecture spectaculaire datant de 1907 signée par l’architecte Frantz Jourdain, ses décorations Art nouveau en lave émaillée, son escalier monumental, mais également la majestueuse « Peinture des Paons » de Francis Jourdain (115 mètres de long). Les ferronneries des bâtiments Sauvage et Jourdain-Verrière ont été restaurées par l’atelier d’Hautefort en Dordogne ; les peintures Art nouveau par l’entreprise Socra de Périgueux; les 675m de plaques de laves émaillées également par Socra et l’émailleuse Maria da Costa ; enfin, les planchers de verre, signatures historiques du bâtiment, ont été fabriqués par le verrier Emmanuel Barrois, à Brioude (Auvergne). Le chantier a mobilisé jusqu’à 800 personnes par jour!

Un symbole d’optimisme

Au bonheur des dames est un roman important à de nombreux titres, qui devrait être lecture imposée dans toute école de commerce, mais le plus important est le sens que Zola voulait lui donner: En racontant la naissance du commerce moderne, il avait le désir d’en faire un roman optimiste, un « poème de l’activité moderne » célébrant le triomphe d’un « siècle d’action et de conquête, d’efforts dans tous les sens ». Et c’est bien cette volonté d’action et de conquête qui marquera profondément le siècle par son progrès économique et social fulgurant, dont la Samaritaine est le symbole. L’époque est au triomphe du génie français qui mènera le monde des arts, des sciences, de l’industrie et du commerce jusqu’à la catastrophe de 1914.

Un pied de nez aux professeurs de vertu

L’inauguration par le Président de la République d’un temple dédié à la consommation et au luxe n’a évidemment pas laissé tout le monde indifférent. Clémentine Autain, députée LFI, se fendait ainsi d’un tweet rageur où elle écrivait: « Éloge du luxe par le Président Macron, sous les applaudissements du grand groupe LVMH. Ou comment diriger un pays qui traverse un immense carnage social en restant dans sa bulle. »

Une telle réaction n’est guère surprenante, mais elle est regrettable. Elle procède cependant d’une double erreur, morale et économique. L’erreur est morale parce que la condamnation des futilités du luxe et du maquillage a été une constante de tous les professeurs de vertu depuis l’aube de l’humanité. Il n’est pas un dieu, terrestre ou céleste, qui n’ait été offensé par un maquillage ou un fond de teint. Et pourtant cette « futilité » est probablement une des caractéristiques humaines les plus profondes. Dans le Envoyé Spécial évoqué plus haut, Monique expliquait combien sa petite séance de maquillage avant de sortir était importante pour elle: elle l’aidait à se sentir bien pour affronter le monde extérieur. Contrairement à ce que suggère Maslow avec sa malheureuse pyramide, ce que nous jugeons le plus futile est parfois le plus fondamental. Se priver d’un steak pour pouvoir se maquiller afin de maintenir une estime de soi et une dignité quand tout le reste a foutu le camp, qui peut balayer ça comme une futilité?

L’erreur, ensuite, est économique. En effet, la Samaritaine est propriété du groupe LVMH, le groupe de luxe français que les professeurs de vertus décroissantes adorent détester. Il est rare que la France compte un leader mondial dans une industrie, et LVMH fait partie de ces exceptions. Son patron, Bernard Arnault, qu’on adore lui aussi détester, a transformé un groupe hétéroclite médiocre dans les années 80 en un mastodonte géré comme une horloge suisse réalisant 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires, gérant 5000 boutiques dans le monde et employant plus de 160.000 personnes. Il est le fleuron du secteur français du luxe qui compte près d’un million d’emplois directs et indirects, de la maroquinerie aux parfums, aux vins et spiritueux. S’il est indéniable que nombre de nos concitoyens éprouvent des difficultés économiques importantes, et qu’il est grand-temps que les politiques se saisissent de la question, leur sort ne sera pas amélioré le moins du monde en limitant le luxe et la consommation en général. S’il y avait plus de LVMH en France, c’est-à-dire d’entreprises ultra performantes, à la pointe de leur domaine, il y aurait moins de pauvres comme Monique.

Vive la Samaritaine!

Parce qu’elle mobilise les domaines d’excellence française, parce qu’elle traduit un optimisme tourné vers « l’action et la conquête » qu’avait célébré Zola en son temps, parce qu’elle est l’œuvre d’un capitaine d’industrie dont la réussite extraordinaire bénéficie à toute la société, parce que, précisément, elle prend place à un moment de crise sanitaire et économique où il faut sans tarder se mettre à reconstruire, alors oui, cette rénovation à grands frais d’un temple de la consommation et du luxe est une bonne nouvelle. Vive la Samaritaine!◼︎

Pour aller plus loin sur le rôle social et économique du commerce, lire mes articles précédents: ▶︎Le rôle social du commerçant; ▶︎Tout entrepreneuriat est social: l’histoire de Josiah Wedgwood; ▶︎Entreprise à mission et profit: le « en même temps » est-il possible?

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