Et l’optimisme était une bonne idée? Le pari de Pascal de l’innovation

« Nous les Français, nous savons faire des fusées, des satellites, nous savons tout faire. Alors comment se fait-il qu’il y a 8 expéditions sur Mars et que les Français soient seulement spectateurs ? » Ainsi s’exprimait Jean-Luc Mélenchon juste après le succès de la mission Perseverance (envoi d’un robot sur mars). Bonne question en effet! En fait, le député n’a pas bien choisi son exemple car il y a de la technologie française dans le robot, mais il n’en reste pas moins que sa déclaration exprime un malaise assez largement partagé sur le déclassement de notre pays en matière de science et d’industrie. La France qui tombe, ce n’est pas un thème nouveau, mais c’est une réalité sur de nombreux plans, et les explications les plus diverses fusent. Il ne s’agit pas de réduire un problème complexe à une seule explication, mais dans ce qui suit je défends l’idée de la nécessité d’un changement fondamental de notre attitude face à l’avenir, qui me semble la clé d’un sursaut qui devient urgent si notre pays ne veut pas être définitivement déclassé.

Il y a 100 ans, jusqu’à la catastrophe de la Première guerre mondiale, la France éclairait le monde de son génie dans les sciences, l’industrie et les arts. Entre 1870 et 1914, le monde avait subi une transformation incroyable, étourdissante, et tout semblait possible. Il n’y avait aucun problème que la science ne s’apprêtait à résoudre. Puis il y a eu les deux guerres mondiales, et deux fois notre pays s’est relevé, en redevenant une puissance scientifique et industrielle. Il n’était peut-être plus le phare du monde, mais il n’avait pas à rougir de son rang. Nous en sommes loin désormais.

Disons-le tout de suite, la France n’est pas en déclin parce qu’elle n’a pas su envoyer une mission sur Mars. Méfions-nous de ces grands projets symboliques qui masquent d’autres réussites tout aussi, sinon plus importantes, mais moins visibles, et qui amènent souvent nos politiques à tirer des conclusions fausses. Ainsi en 1957, le succès du satellite Sputnik a convaincu l’Amérique qu’elle perdait la course technologique avec la Russie, alors que cette dernière était en déclin accéléré et plaçait ses maigres ressources dans des projets de prestige. Il n’en demeure pas moins qu’un malaise se développe assez largement sur le déclin de la France en matière d’industrie et de science. Le fiasco sur les vaccins Covid l’a cruellement mis en lumière, mais il y a beaucoup d’autres signes. Notre pays n’est présent avec son industrie dans quasiment aucune des grandes courses technologiques actuelles, que ce soient les biotechs, l’intelligence artificielle, la robotique, le digital ou l’énergie. Nous avons beaucoup de startups, mais nous ne faisons pas émerger de géant mondial. Nous avons des ressources humaines remarquables, mais elles vont créer de la richesse ailleurs. Nous regardons passer les révolutions technologiques comme les vaches regardent passer les trains, conscients qu’il s’agit de quelque chose d’important, mais sans vraiment s’y intéresser.

Ce qu’il y a derrière cela, c’est un modèle mental, une croyance profonde qui s’est développée depuis plusieurs années et qui prend de l’importance: celle de la crainte de l’avenir. Nous avions confiance en l’avenir, nous en avons désormais peur. D’où vient cette peur? Le pessimisme issu de la première guerre mondiale, où la technologie censée être au service du progrès, a servi à massacrer les hommes, joue certainement, mais l’origine est plus ancienne: Dès le XIXe siècle, le romantisme allemand constitue une réaction contre la technologie et la civilisation industrielle avec son rêve de retour à la nature. Ce courant traversera tout le XXe siècle et perdure aujourd’hui dans le culte de Gaïa, la terre nourricière. Le progrès a également été combattu par les réactionnaires, qui ont refusé d’accepter la destruction des société traditionnelles. Plus avant c’est Rousseau et son culte du naturel, qui fait qu’aujourd’hui « naturel » a une connotation positive, tandis que « artificiel » a une connotation péjorative.

Peur du risque

Ce modèle mental de peur de l’avenir a une conséquence directe sur la façon dont nous considérons le risque. Il nous amène à privilégier la réduction du risque de faire aux dépens du risque de ne pas faire. Autrement dit, par souci d’éviter un danger possible nous prenons le risque de ne pas faire quelque chose qui aurait pu être utile. C’est l’essence même du principe de précaution. En interdisant une innovation (Produit OGM ou antenne 5G), on prend en effet le risque de se priver du bénéfice que celle-ci aurait pu apporter. Comme l’écrit Matt Ridley dans son livre sur l’innovation, le principe de précaution impose au nouveau un niveau plus élevé d’exigence que l’existant et constitue essentiellement un obstacle à toutes les innovations, aussi sûres soient-elles, au nom de toutes les pratiques existantes, aussi dangereuses soient-elles. En substance, l’incertitude propre à toute innovation permet d’inventer n’importe quel risque, même le plus farfelu (vaccin=autisme), sans pouvoir être infirmé, alors que le bénéfice doit être prouvé, bien qu’il soit également incertain. Au final, le progrès scientifique est bloqué. Les dés sont pipés d’entrée de jeu, et ce principe induit une biais de préférence pour ne pas faire.

Loser (Source: Wikipedia)

Inverser le pari de Pascal

Le mathématicien et philosophe Pascal estimait qu’il fallait croire en Dieu, et agir en conséquence, parce que cela représentait un bon pari: si Dieu n’existe pas, nous ne perdons rien; mais s’il existe, nous avons eu raison de croire en lui car nous gagnons le paradis tandis que celui qui n’y croyait pas va en enfer. Nous n’avons donc pas grand-chose à perdre, et beaucoup à gagner, à décider d’y croire. L’argument semble imparable jusqu’au moment où l’on prend conscience qu’on va organiser toute sa vie sur la base d’une croyance qui n’est pas certaine. Il n’est donc pas exact qu’on n’a rien à perdre: on peut y perdre sa vie. Un croyant qui n’attend rien d’autre de la vie qu’elle finisse ne vivra pas comme un non croyant qui pense n’avoir que la vie pour s’épanouir. Autrement dit, le pari pascalien de croire nous fait trouver inutile de faire des efforts pour améliorer notre vie sur terre; c’est un pari coûteux et surtout dangereux.

Nous avons aujourd’hui un pari du même ordre à faire. Nous pouvons décider de croire à la catastrophe et refuser les nouvelles technologies – vaccination, 5G, robots, intelligence artificielle, OGM, thérapie génique, etc. à cause des risques qu’elles comportent, en multipliant les moratoires, les interdictions administratives et les entraves à l’innovation. Il n’en résultera qu’une protection illusoire. Le pari de Pascal, ici, c’est se condamner à une vie misérable en se privant des apports de la science et de l’industrie, pour se lamenter ensuite de notre déclin. C’est le pari d’un faible gain avec une perte importante.

Nous pouvons faire le pari inverse en acceptant que les nouvelles inventions comportent des risques, mais qu’il est encore plus risqué de s’en passer. Le premier pari paralyse et mène à la résignation, et non seulement n’offre pas de protection mais augmente notre risque (pas de vaccin anti-covid par exemple), tandis que le second ouvre des possibles à l’action et à l’exercice du génie humain. Le renversement du pari de Pascal, c’est prendre le risque de vivre; c’est ne rien supposer de l’avenir, mais de penser que nous avons entre nos mains la possibilité d’apporter des solutions à nos problèmes. C’est celui d’une perte faible avec un gain potentiellement immense. C’est celui de tous les réformistes: une conscience des fragilités du système actuel, mais un optimisme prudent, une posture de confiance dans l’ingéniosité humaine et sa capacité à toujours résoudre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Ce pari en vaut la peine; c’est désormais l’enjeu français.

Sur le même sujet on pourra lire mes articles précédents: Katalin Kariko sauveuse de l’humanité: cinq leçons d’innovation pour la France, Tech for good: Et si c’était une très mauvaise idée?

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8 réflexions au sujet de « Et l’optimisme était une bonne idée? Le pari de Pascal de l’innovation »

  1. Bonjour,
    Pourquoi est-ce accepté ? Parce que la jalousie évite de se confronter à ses échecs. Et que, s’il y a un « mal français », c’est bien celui-là. Ça commence par l’anonyme qui met du désherbant sur le « trop beau » massif de fleurs de son voisin, ça continue par les « libertés sauvages » qu’il faut « contrôler ». Ou les restaurants finistériens qu’il faut maintenir fermés pour éviter les jalousies. Et finalement, on en vient à accepter n’importe quel privation de liberté du moment que les autres la subisse aussi. Surtout si c’est « pour notre bien.
    La jalousie fait accepter beaucoup de choses… Vous connaissez l’histoire du dieu qui rend visite à un de ses croyants, et lui dit « je te donnerai ce que tu voudra, mais je donnerai le double à ton voisin » « alors, crève moi un œil ! » ?

    D’ailleurs, la plupart des gens estiment « ne pas avoir besoin » de tout un tas de libertés. D’ailleurs, qui a besoin d’avoir le droit (sans obtenir une autorisation préalable) de tester des fusées ? Ou de bosser sur la fusion nucléaire ? Ou de fabriquer des laser de puissance ? Ou d’acheter un simple analyseur de spectre ? Personne, n’est-ce pas ? Alors, autant l’interdire, comme ça tout le monde est logé à la même enseigne… Et tant pis si un innovateur est « bloqué » parce que je suis trop bête pour innover…

    Une dernière chose : comment fait-on pour « ne pas accepter » ? En pratique ? De base, « les français sont des veaux » et, de nos jours, un pistolet à bouchon est considéré comme une « arme », donc interdite. Quant à la guillotine, une directive européenne en interdit la « mise sur le marché ».
    Un certain Lalanne a tenté le coup tout récemment : il est à la fois ridicule, traité de fou, et bientôt en taule. Et aucune élection ne permet de revenir sur le pouvoir des technocrates (par exemple : Rocard avait décidé de « libérer » la cryptographie. Les rantanplans ont hurlé à « l’excès de pouvoir des politiques » (sic), puis ont regagné le terrain perdu par de la casuistique administrative. On pourrait aussi parler de la « déclaration de travaux » devenue une « demande d’autorisation de déclaration de travaux », bref un permis de construire bis).

  2. Bonjour,
    Que la France soit en train de s’enfoncer dans l’insignifiance n’est hélas que trop visible, mais je ne partage pas votre diagnostic : non, la cause n’est pas « la peur de l’avenir », mais beaucoup plus simplement le pouvoir que donne la capacité de blocage (ça plus de basses jalousies, notamment vis à vis de la réussite).
    Je situerait le début du phénomène à fin 1940. quand l’état français a donné les pleins pouvoirs à de « purs gestionnaires » sans le moindre contre-pouvoir (si ce n’est l’obéissance à l’occupant). À la libération, le mouvement s’est poursuivi, entre « nécessités de la reconstruction » et « évidente supériorité de la planification centralisée soviétique ». L’ENA a simplement remplacé l’École des Cadres d’Uriage (avec plus verbiage et moins de sport).
    Avant la guerre, Esnault-Pelleterie a pu lancer ses fusées quasiment sans rien demander à personne, J. Perrin a pu installer des appareils scientifiques réellement dangereux dans son « Palais de la Découverte », chaque paysan avait au moins un fusil (en vente à Manufrance, ainsi que des pistolets et même des feux d’artifices complets « prêts à tirer »). Il y avait des « radio libres », aussi (réquisitionnées en 1939 « pour faire de la propagande », jamais rendues ensuite). Tout un tas de libertés, « petites » ou « grandes » qui, après le « coup d’arrêt » décrété par Vichy, ont progressivement disparu, pour nous construire une société où on ne peut rien faire sans « en avoir reçu l’autorisation administrative’.
    Je me souviens d’une interview de M. Dassault sur « l’art et la manière de faire fortune » : son idée était de « repérer une chute d’eau, puis installer son petit moulin’. Nos technocrates, depuis l’état Français, ont construit des tas de barrages, de toutes tailles, et ont installé leur « moulin », c’est à dire leur carrière et leur pouvoir. Dans un pareil contexte, celui qui veux s’affranchir d’une règle inutile est un enquiquineur. Ou un criminel.
    Preuve de l’ancienneté du problème : dire que « la Russie … était en déclin accéléré et plaçait ses maigres ressources dans des projets de prestige » s’applique très bien aux « grands projets » Gaulliens, quand on faisait des Concordes invendables, utilisant une technologie « éprouvée » (ce qui signifie « dépassé », hormis l’aérodynamisme) avec des machines-outils allemandes. Ou quand on réunissait plusieurs petites sociétés qui fonctionnaient pour en faire une grosse qui ne fonctionnait pas. Des exemples comme cela, il y en a par dizaines : « casser » des initiatives pour imposer un « gros machin beaucoup géré ». On sait d’ailleurs maintenant que le Général était parfaitement conscient de soutenir à bouts de bras l’image d’une France en déclin… En accélérant ce déclin ? C’est moins sur…

    Au fond, en faisant l’hypothèse d’une « peur de l’avenir », vous faites beaucoup d’honneur à une bande d’égoïstes surtout préoccupés par leur « pouvoir de Niet », ainsi qu’à quelques jaloux adeptes du nivellement par le bas.
    Dans ces conditions, quel intérêt à consommer sa vie et son intelligence à vouloir bâtir un projet en France ? Alors que ce sera stérilisé / confisqué avant même de commencer ?

    1. Vous avez du style c’est sûr, mais je crois que vous ne « crackez » pas la source du problème. Si c’est ce que vous dites, pourquoi est-ce accepté par la population? Pourquoi contribuons nous-même à cela?

  3. Un grand bravo pour votre texte, votre coup de gueule !
    Le principe de précaution en France est une véritable catastrophe, et je lutte contre, mais c’est difficile
    J’ai publié au début de l’année deux longs billets sur mon blog qui adresse le même problème : Et si notre monde était devenu incapable de s’adapter à l’innovation :

    https://nauges.typepad.com/my_weblog/2021/02/et-si-notre-monde-%C3%A9tait-devenu-incapable-de-sadapter-%C3%A0-linnovation-premi%C3%A8re-partie.html

    Encore merci pour votre texte.
    Cordialement,

    Louis Naugès

  4. « Un croyant qui n’attend rien d’autre de la vie qu’elle finisse ne vivra pas comme un non croyant qui pense n’avoir que la vie pour s’épanouir. Autrement dit, le pari pascalien de croire nous fait trouver inutile de faire des efforts pour améliorer notre vie sur terre. »
    C’est votre lecture de Pascal. Un croyant, sachant que la vie ne se limite pas à ce qu’il en voit, peut sublimer sa vie terrestre en vue d’une autre vie postérieure. Un non-croyant peut sombrer dans la passivité du « à-quoi-bon » ou au contraire chercher à s’épanouir comme vous l’évoquez.
    Il en va de même avec les technologies, qui ne sont pas intrinsèquement bonnes ou mauvaises mais qui dépendent de l’usage qu’on en fait. Et la question à mon sens n’est pas tant une question de croyance (la technologie est-elle bonne ou mauvaise) qu’une question de bénéfice/risque (puis-je retirer plus d’avantages que d’inconvénients de cette technologie) en fonction de ce à quoi je l’ordonne ou de sa finalité (« l’efficacité technologique » et l’impact social, comme évoqué dans vos précédents articles). Et c’est à l’aune de ces deux dimensions qu’il faut regarder l’évolution de la France pour mieux caractériser le déclin : il est technologique, mais est-il aussi sociétal/environnemental etc… ?

    1. Merci. L’important est de comprendre que l’usage que l’on fait des technologies n’apparaît souvent que très longtemps après leur mise en service ce qui rend toute discussion éthique largement spéculative et, en tout cas c’est l’idée que je défends, défavorise l’innovation car le risque d’utiliser peut très facilement être exagéré tandis que le risque de ne pas l’utiliser est presque impossible à imaginer.

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