Tirer parti des surprises pour faire bouger nos modèles mentaux

Une organisation est une collection de modèles mentaux individuels et collectifs, c’est à dire de croyances construites au sujet de soi-même et du monde. Transformer une organisation, c’est transformer ses modèles mentaux. Ceux-ci constituent donc à la fois le point d’entrée dans l’organisation et ce qu’il faut changer pour la transformer. La difficulté réside dans le fait que les modèles mentaux les plus coriaces sont aussi les plus invisibles. Il faut donc avant tout pouvoir les exposer. Une façon pour ce faire est de tirer parti des surprises car celles-ci ont pour effet de jeter un coup de projecteur temporaire sur les modèles.

Source: Wikipedia

Une surprise c’est la réalité qui fait « coucou! », qui nous dit que notre beau modèle mental a un gros trou dans la raquette. Nous sommes surpris parce que la réalité ne correspond pas à ce que notre modèle prédisait. La plupart du temps nous passons à autre chose. Mais on peut aussi profiter de l’opportunité pour se dire « Et tiens, qu’est-ce qui cloche dans mon modèle? »

Dans un séminaire de formation, je faisais travailler les participants sur une surprise qu’ils avaient vécue afin de mettre à jour leurs modèles mentaux et ceux de leur organisation. L’un d’entre eux me racontait l’anecdote suivante: pendant longtemps, dans son esprit, le rôle d’un manager était de rendre ses collaborateurs heureux au travail (modèle mental n°1). Par ailleurs, et toujours dans son esprit, on est heureux au travail lorsqu’on apprend de nouvelles choses et lorsqu’on progresse dans la hiérarchie (modèle mental n°2). Récemment, il avait voulu encourager un collaborateur particulièrement performant. Il lui avait proposé de suivre une formation pour devenir manager. Quelle n’avait pas été sa surprise de se voir répondre par le-dit collaborateur qu’il n’en avait cure, que pour lui le travail était un mal nécessaire et que moins il y consacrait d’énergie, mieux il s’en portait.

Face à une telle réaction, le manager aurait pu conclure que son collaborateur n’avait aucune perspective au sein de l’organisation. Après tout il y avait un évident et avoué manque de motivation. L’hostilité à l’idée même de travail posait problème. Clairement la relation avec l’organisation n’en avait pas pour très longtemps…

Un travail sur les modèles mentaux a cependant permis de voir les choses autrement en partant d’une observation: quelle qu’étrange que soit l’attitude du collaborateur, il n’en demeurait pas moins qu’il était de loin le plus performant de son équipe, faisant la même quantité de travail en un tiers du temps environ.

L’exercice a permis d’exposer deux modèles mentaux révélant deux suppositions. La capacité à tester chacune d’entre elles permettra de les ajuster.

Modèle mental n°1: « Le rôle d’un manager est de rendre ses collaborateurs heureux au travail. » C’est une façon de voir les choses. Il y en a d’autres. Le rôle du manager est parfois conçu très différemment: assurer la bonne marche du service, par exemple, sans se soucier du bonheur de ceux qui y travaillent, avec une attitude de type « tant que vous faites bien votre travail, aucune question posée. »

Modèle mental n°2: « On est heureux au travail lorsqu’on apprend de nouvelles choses et lorsqu’on progresse dans la hiérarchie. » Là encore c’est une façon de voir les choses, mais il y en a d’autres. La progression dans la hiérarchie n’est pas un objectif universel, beaucoup de gens ne souhaitant pas prendre de responsabilités supplémentaires. Ça peut être le cas d’experts notamment. Le bonheur au travail, ça peut simplement consister à être bien traité par ses responsables et ses collègues.

D’une manière générale la question n’est pas de déterminer quel modèle est « correct. », aucun ne l’est, mais a minima de prendre conscience qu’un modèle n’est jamais une vérité universelle. Cette prise de conscience permet alors de tester le modèle et de l’ajuster. Dans l’exemple de notre manager, une fois le choc encaissé, l’ajustement a consisté à aménager les horaires de travail du collaborateur qui a pu partir plus tôt, ayant fini ses tâches. Le manager a cessé d’essayer de le rendre heureux par des promotions et des encouragements. Le paradoxe -mais en est-ce vraiment un?- est que le collaborateur a quelque peu modifié son attitude vis-à-vis du travail et une relation plus constructive a pu s’instaurer.

L’évolution ici est relativement mineure mais l’exemple montre bien comment on peut tirer parti des surprises, petites et grandes, pour exposer nos modèles mentaux, les tester et les ajuster, séquence qui, répétée de manière systématique, finit par faire bouger profondément une organisation. Il s’agit-là d’une approche transformationnelle « de terrain » bien éloignée des big bangs hors sols décidés au sommet de l’organisation et qui s’épuisent rapidement. Pour cela, la capacité à appliquer cette séquence -Exposition-Test-Ajustement- à tous les niveaux de l’organisation pourrait devenir une nouvelle compétence managériale permettant d’ancrer la transformation dans la réalité de celle-ci.

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3 réflexions au sujet de « Tirer parti des surprises pour faire bouger nos modèles mentaux »

  1. Wow !
    Un manager intelligent ! Il faut absolument le remplacer par un logiciel avant qu’il ne contamine les autres…

  2. Les modes mentaux ici proposaient peuvent être définis également par nos croyances, nos façons d’encoder les informations à travers l’ensemble de nos filtres personnels, culturels, familiaux…
    Un préceptes qui me semble particulièrement bien adapté ici est l’un des 4 accords tolteques « ne pas faire de projection » idée similaire à la communication non violente où Marshall Rosenberg explique que dans la vie nous avons 2 options, « avoir raison ou être heureux »
    Initions des démarches collaboratives au sein de toutes les organisations pour vivre et travailler ensemble autrement.

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