Êtes-vous sérieux à propos de l’Empowerment de vos collaborateurs?

Parmi les nombreux remèdes proposés au désengagement des collaborateurs et au blocage des programmes de transformation, l’empowerment (ou subsidiarité en français) figure en bonne place. Il s’agit de donner plus de pouvoir aux collaborateurs, et surtout au management, dans l’idée qu’un problème se règle plus facilement au niveau où il prend sa source qu’aux niveaux supérieurs. L’empowerment semble très pertinent à une époque qui se veut plus entrepreneuriale et dans laquelle l’organisation prend conscience qu’elle a tout à gagner à permettre une large initiative à ses collaborateurs. Pourquoi les résultats ne sont-ils alors pas à la hauteur des espérances? En grande partie parce que l’empowerment, à supposer qu’il traduise une intention sincère de la direction, n’est souvent qu’un slogan vide de sens décorrélé de la réalité de l’organisation et de son fonctionnement.

« Il faut que les collaborateurs prennent plus d’initiative! » L’empowerment (subsidiarité) est très à la mode, mais il ne suffit pas de le décréter pour qu’il se produise. Ainsi, dans cette grosse PME, les managers sont insatisfaits depuis des années des KPI (indicateurs de performance) utilisés pour mesurer leur performance commerciale. La situation est arrivée à un blocage. Le PDG, sensible à l’idée d’empowerment, décide de jouer cette carte et leur propose de redéfinir ces KPI eux-mêmes. Mais rien ne se passe. Le PDG est déçu ; alors que les managers se plaignent de leur manque de pouvoir, ils ne saisissent pas l’occasion qu’il leur offre ! Il conclut que l’empowerment ne marche pas, qu’il faut tout faire soi-même.

Si l’on interroge les-dits managers, ils vous diront qu’il est impossible de s’organiser pour travailler sur les KPI. C’est une tâche complexe, qui nécessite une expertise et la collaboration de plusieurs domaines ; leur agenda ne leur permet pas de dégager du temps pour cela, car ils sont surchargés de travail. Ils ont l’impression que le PDG cherche seulement à leur en ajouter. Ils estiment que c’est à lui de porter la cohérence de l’ensemble, alors qu’eux n’ont qu’une partie de l’équation. Ceci alors qu’en incertitude, le monde est tellement complexe que plus personne n’en a la totalité! Chacun n’en a qu’une partie.

Intention sincère contre modèles mentaux enfouis

Ce qui est demandé va à l’encontre des modèles mentaux collectifs de l’organisation (« C’est au PDG de porter la cohérence de l’ensemble » et/ou « C’est le travail du PDG. Nous demander cela est un manquement à ses responsabilités. »). Le contexte généré par les modèles mentaux ne permet pas à la subsidiarité de fonctionner. Sans un contexte adéquat, et l’explicitation des modèles mentaux collectifs pour permettre leur discussion, l’empowerment n’est qu’un slogan. L’intention sincère s’écrase, comme toujours, sur la réalité identitaire de l’organisation, c’est à dire ses modèles mentaux, d’autant que ceux-ci sont bien enfouis et bien difficiles à identifier.

Plus généralement l’utilisation même du mot empowerment traduit un modèle mental particulier, dans lequel la direction générale donne un certain pouvoir à ses managers et pensent -hop!- qu’ils seront en mesure de l’utiliser. Mais bien évidemment ce n’est pas comme cela qu’une organisation fonctionne. Dans empowerment, il y a power, c’est à dire pouvoir. Or le pouvoir est forcément une dialectique. On ne peut pas donner du pouvoir comme on donne du grain aux poules. On ne peut pas imaginer que des collaborateurs tétanisés depuis des années se transforment soudainement en entrepreneurs; d’une part parce que ceux qui en avaient la capacité sont partis depuis longtemps vers des structures plus propices à leur expression; d’autre part parce que des années de passivité ne sont pas annulés par un coup de baguette magique; et enfin et surtout parce que pour que ça marche il faut à la fois que la direction soit sincère et que les collaborateurs aient confiance en elle, ce qui, après des années d’autoritarisme est rarement acquis. L’approche actuelle d’empowerment revient à lâcher des enfants dans une piscine en espérant qu’ils vont nager du premier coup. Évidemment, ils se noient et on conclut « Ah vous voyez ils ne sont pas courageux! »

Créer le contexte

C’est donc tout un contexte de confiance et de dialogue qu’il faut reconstruire, ce qui prend du temps et nécessite une méthode, et non pas s’imaginer qu’un mot d’ordre avec un slogan va tout résoudre. Et pour que ce contexte se crée, il faut aider tous les collaborateurs à comprendre comment leur organisation fonctionne vraiment, c’est-à-dire à apprécier la dynamique des modèles mentaux, et leur fournir les moyens d’agir vraiment dessus. Pour qu’une transformation organisationnelle réussisse, l’exposition, le test et l’ajustement des modèles mentaux doit donc devenir une compétence managériale essentielle.

Sur l’importance des modèles mentaux dans la transformation organisationnelle, voir mon ouvrage co-écrit avec Béatrice Rousset: « Stratégie modèle mental: cracker enfin le code des organisations pour les remettre en mouvement. » Voir mes articles précédents:  Les gilets jaunes ou la confusion des modèles mentaux dans un monde qui change. Lire également Comment le modèle mental s’oppose au changement: la tragédie des colons du Groenland.

10 réflexions au sujet de « Êtes-vous sérieux à propos de l’Empowerment de vos collaborateurs? »

  1. Cher Philippe,

    C’est avec un immense plaisir que je découvre votre blog, tout à fait par hasard dans le fil « discover » de wordpress qui me propose d’ordinaire rien qui ne m »intéresse vraiment.

    J’apprécie la qualité de votre analyse et de votre prise de position dans le présent article et j’imagine que c’est une constante sur votre blog. C’est donc avec empressement que je m’y abonne !

    Quant à l’empowerment il est tout a fait vrai de signaler qu’il s’agit d’une culture d’entreprise avant tout. Si cette culture n’est pas ancrée, impossible que des changements opèrent sans un long temps de gestation et une grande implication de la part de la direction. On voit trop souvent ces slogans dans les entreprises qui veulent être tendance… Ces mêmes slogans qui s’étalent comme de véritables coquilles vides.

    Au plaisir de vous lire.
    Bien cordialement,
    Romain

  2. L’empowerment, lent pauvrement.

    J’ai trouvé un superbe modèle pour lutter contre les contradictions en entreprise : une boite à « meuh ». On l’active dès qu’il y’a un loup et le thème de l’opposition entre dirigisme et le fait de devoir se débrouiller seul et prendre des initiatives est récurrent.

    Hé bien vous savez quoi ? Le constat est édifiant :
    – Les personnes qui, passé l’étonnement, s’énervent de l’utilisation de la boite à « meuh » ont 99% du temps quelque chose à se reprocher. Pour les autres, c’est quelque chose de drôle, pas courant, un peu couillon mais finalement constaté comme utile.
    – Les personnes qui se voient opposer plusieurs « meuh » venaient avec des propositions, solutions techniques et procédés incomplets et/ou flou.
    – Les gens qui s’opposent à l’utilisation de la boite à « meuh » (procédé gamin, pas sérieux, on est en entreprise !) sont ceux qui laissent les problèmes non gérés à leurs subalternes / autres services alors que les carences viennent généralement de leurs insuffisances. Pour eux, l’empowerment c’est du dirigisme pour la base et du « débrouillez vous » pour ce qu’on ne sait pas gérer. Ils ne savent généralement pas gérer les relations autrement que par l’imposition des choses et l’opposition des personnes ou services mais ce sont les premiers à dire qu’il faut améliorer le management.
    – La boite à meuh n’est jamais activée par l’encadrement, du top vers le down. C’est toujours l’inverse afin de souligner la non possibilité de réalisation ou les incohérences de discours.

    Une seule fois j’ai dû m’imposer pour signaler que la boite à « meuh » est une idée d’opérateurs qui ont pris l’initiative de s’en servir pour être enfin écoutés et améliorer les pratiques. Contre qui ? Le responsable de l’amélioration continue !

    1. Je présume que le mode de désignation du « responsable de l’amélioration continue » ressemblait à « il ne manquera pas beaucoup dans son job actuel » ? L’incompétence, facteur de promotion…

  3. Bonjour,
    Votre analyse et vos conclusions sont tout à fait exactes selon moi.
    Au delà de l’empowerment, les modèle mentaux et la sincérité sont les axes fondamentaux de chaque mise en œuvre de toute nature. Sans tenir compte de ces facteurs on est dans l incantations et la communication creuse qui est bien entendue identifiée par les individus impactees qui ne sont jamais dupe et qui a l effet exactement inverse a celui escompté, cela abouti a une déception , une résignation globale et la perte de sens malheureusement si rependu en ce moment.

  4. Merci Philippe !
    « …l’exposition, le test et l’ajustement des modèles mentaux doit donc devenir une compétence managériale essentielle. »
    Le meilleur « empowerment » passe par l’effectuation et non par des grands programmes écrits par le haut !

  5. Et ça c’est quand par chance «  l’empowerement » a une définition de prise en charge par l’employé de ses taches comprise par la direction. Chez moi ça a donné:
    D. Il faut donner à nos employés le pouvoir d’agir.
    Managers: Ok
    Quelques temps plus tard:
    D. MAIS QU’EST CE QUE VOUS FAITES??
    M. Ben on change nos méthodes de travail pour être plus productif?
    D. Non, il faut procéder comme ça, puis comme ça, puis comme ça!
    M. Ok
    Toujours plus tard:
    D. Ah, si seulement les gens étaient plus proactifs dans cette société!

  6. merci pour votre article,
    je pense que de nombreux dirigeants sont sincères, et convaincus que cet empowerment est porteur de sens. Mais la marche suivante est très haute: définir soi-même ses objectifs, c’est de l’empowerment, mais seulement si on peut les changer au fur et à mesure !

    En nommant KPIs les indicateurs qui s’ajoutent aux éléments comptables et financiers légaux, KPIs et empowerment sont contradictoires…
    C’est l’empowerment du service militaire (pas des vrais militaires en opération): « le contrôle renforce la confiance », ou « la confiance n’exclut pas le contrôle ».

  7. … Une autre version évoque un autre vocabulaire en parlant de l’engagement du cochon et de l’implication de la poule, pour indiquer qu’il n’y a pas de retour arrière possible pour le cochon… sans pour autant que ni l’un ni l’autre n’a seul le pouvoir de déterminer la réussite des œufs au bacon…

  8. Ce sujet est d’une incroyable actualité au moment où l’exigence d’une transformation digitale des organisations vers davantage d’agilité, d’innovation… semble s’imposer avec une telle priorité et une aussi forte d’ampleur… Alors, étudiant, j’entendais avec autant d’hypocrisie parler de « délégation participative »… Nous dirions « collaborative » de nos jours… Alors j’ai pensé à la petite histoire des œufs au bacon. Qui de la poule et du cochon participe ? Lequel est « impliqué » ?

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