We don’t need another method: l’effectuation ou l’approche suffisante

L’une des choses sur lesquelles j’insiste lorsque je présente l’effectuation, la logique des entrepreneurs, est qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle méthode au sens où on l’entend d’habitude, c’est dire d’une démarche systématique permettant au moyen d’étapes clairement définie d’arriver à un but donné. Plus important, les principes mêmes de l’effectuation font qu’elle se glisse aisément dans l’existant et ne vous demandent pas de renoncer aux méthodes que vous utilisez. Elle peut donc être adoptée sans risque.

L’adoption d’une nouvelle méthode est souvent un pari à haut risque. En témoigne l’aventure de General Electric, la multinationale américaine qui a misé sa transformation sur la méthode Lean startup. L’idée était de transformer chaque cadre en entrepreneur. Six mille d’entre eux ont été formés au moyen de cette méthode, sans résultat tangible. Au-delà du fait qu’il est illusoire de miser sa transformation, qui est une question stratégique et organisationnelle, sur une méthode de conduite de projet innovant, la mésaventure de GE montre que la réticence à adopter une nouvelle méthode est souvent légitime.

C’est cette réticence que je rencontre souvent en présentant l’effectuation. On me demande souvent « Comment mettre en œuvre l’effectuation sans risque? » La réponse est dans la nature même des principes de l’effectuation.

Avant tout chose, l’effectuation n’est pas une nouvelle méthode. Elle est née de l’observation de ce que font les entrepreneurs, spontanément, et non d’un travail de recherche qui viserait à leur dire ce qu’ils devraient faire. Ensuite, elle n’est pas une méthode comme on le définit habituellement. Elle correspond simplement à cinq principes empiriques, ce qui signifie qu’on a constaté qu’ils fonctionnent bien en observant des centaines d’entrepreneurs les mettre en pratique avec succès. La recherche a simplement consisté à montrer en quoi l’application de ces principes par les entrepreneurs est rationnelle. Elle n’est donc pas une méthode avec des étapes bien définies, comme peut l’être Lean startup par exemple. Elle peut à la rigueur être considérée comme une méthode comme l’est la méthode scientifique qui émerge à partir du XVIIe siècle avec la science moderne et prône l’observation et l’expérience pour tester des hypothèses. Elle définit des grands principes d’action qui peuvent être mis en œuvre de plein de façons différentes.

L’effectuation: une logique d’addition (Image: Wikipedia)

Logique d’addition (ou de suffisance)

Mais le plus important est que l’effectuation procède de ce que j’appelle une logique d’addition. Elle ne nécessite pas d’abandonner d’autres méthodes. Elle n’est pas incompatible avec d’autres approches. Par exemple, l’effectuation propose qu’il n’est pas nécessaire de démarrer avec un objectif très clair pour entreprendre ou innover. Elle prône une approche largement émergente de l’entrepreneuriat. Mais elle peut parfaitement se développer au sein d’une organisation qui dispose d’un plan stratégique. On peut utiliser les principes de l’effectuation en complément d’une démarche de design thinking ou de Lean startup.

Ainsi, l’approche effectuale se combine aisément avec l’existant, quel qu’il soit, en vertu du principe n°1 (démarrer avec ce qu’on a). Démarrer avec ce que vous avez, c’est à dire la réalité de l’organisation. Le principe n°2 énonce qu’il faut raisonner en perte acceptable, et non en gain attendu. C’est à dire que l’on pourra essayer une démarche effectuale sur un projet qui ne représente pas de risque majeur pour l’organisation. Si ça marche, les participants s’habitueront à la démarche effectuale et elle pourra être essayée sur un autre projet, toujours sans risque. Le reste de l’organisation pourra fonctionner selon ses principes habituels. Le principe n°3 énonce que le projet progresse grâce à l’engagement de parties prenantes qui apportent leurs ressources. Ce principe tire parti du fait que l’organisation est un construit social. Joint au principe n°1, il implique une forme de respect de l’organisation existante et de ses membres: le changement ne peut se faire qu’avec eux (ou avec certains d’entre eux au début, l’idée est que le réseau de parties prenantes engagées dans le projet s’étende progressivement).

En quelque sorte, le niveau d’abstraction des principes fait qu’ils sont « logiquement antérieurs » aux diverses méthodes à votre disposition: ils permettent de créer le contexte (principe n°5) dans lequel ces méthodes sont mises en œuvre ou de créer un contexte sans risque (principe n°2) pour y pratiquer l’effectuation.

De manière importante, l’effectuation est modeste : elle ne dit pas ce que vous devez faire, mais ce que vous pouvez faire. C’est la notion de suffisant. Dans certaines circonstances, vous pouvez utiliser les principes; dans d’autres circonstances, vous les ignorerez. Ainsi face à une situation complexe et incertaine, vous pouvez essayer de développer une vision (approche classique de la stratégie), mais vous pouvez aussi partir de vos moyens (principe n°1) et co-créer vos objectifs avec d’autres (principe n°3).

Avec l’effectuation, vous n’avez donc ni à adopter une nouvelle méthode, ni à renoncer à vos méthodes existantes, juste pratiquer des principes alternatifs en contrôlant le niveau de risque pris dans cette pratique. Loin d’exiger un remplacement, elle permet d’élargir son spectre d’approches et de méthodes.

Sur l’échec de GE avec Lean startup, lire mon article Comment le départ de Jeffrey Immelt (GE) illustre les limites d’une approche tactique de l’innovation. Pour une introduction à l’effectuation, lire mon article Effectuation: Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment.

4 réflexions au sujet de « We don’t need another method: l’effectuation ou l’approche suffisante »

  1. Chacun peut découvrir aussi qu’il utilise l’effectuation sans le savoir. Mais en prendre conscience augmente à mon sens notre capacité à créer le futur plutôt que de le subir. J’ai beaucoup apprécié aussi l’épisode 2 relativisant la notion de but: plus flou il autorise davantage de trajectoires potentielles…

  2. Merci pour cette précision qui évite l’amalgame. Ce qui est intéressant dans l’Effectuation, c’est qu’elle donne un cadre de réflexion de comportements basé sur des observations consolidées au risque de frustrer les méthodistes adaptes du y-a-pas-à-réfléchir-faut-juste-suivre-le-process-clé-en-main.

    1. Précisément! Il y a derrière une éthique du respect de ce qui est, ce qui ne signifie pas qu’on l’accepte. Au contraire, on ne peut changer que ce que l’on accepte comme la réalité.

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