Aristote pour tous: et si l’intelligence artificielle était la chance des moins qualifiés?

J’assistais récemment à une conférence sur l’intelligence artificielle. Les participants à la table ronde étaient unanimes pour prédire une sorte d’apocalypse du travail, joignant en cela l’avis de la plupart des experts. En gros l’argument est le suivant: l’IA va rendre obsolète un nombre très important de métiers, avec un impact majeur à très court terme. Les participants ont ajouté que l’IA permettrait certainement d’en créer beaucoup d’autres, comme cela a été le cas lors de toutes les vagues d’automatisation (métiers à tisser, distributeurs automatiques de billets, etc.) mais avec retard, et qu’il y aurait donc un décalage entre temps. En tous cas, les travailleurs les moins qualifiés seraient, selon eux, les principales victimes de cette vague d’innovation qui tire le travail “vers le haut”.

Eh bien je n’en crois rien. Je pense au contraire que l’IA est la chance des moins qualifiés.

En 1990, Steve Jobs déclarait que l’ordinateur était une bicyclette pour l’esprit. Par cela il voulait dire que l’homme avait inventé un outil lui permettant de faire beaucoup plus qu’il ne pouvait faire naturellement, et ce de manière bien plus efficace que les oiseaux d’un point de vue énergétique. Il concluait: la principale différence entre les humains et les animaux est que les humains fabriquent des outils pour faire plus avec moins d’énergie. L’intelligence artificielle, c’est la même chose. Elle va permettre aux humains de faire plus, avec moins d’énergie.

La bonne métaphore pour l’intelligence artificielle? (Photo Wikipedia)

Il y a deux ans je suis allé faire une formation en Russie. Je monte dans un taxi réservé par le client. Je ne parle pas russe, et le chauffeur m’a vite fait comprendre qu’il ne parlait ni français, ni anglais. Mais il avait mon nom, et savait où m’amener. Mais au bout de quelques minutes, il s’est mis à parler en russe. Interloqué je me suis demandé ce qui lui prenait. Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre quelques secondes après une charmante voix féminine m’indiquer que sur la droite se tenait tel musée construit par Pierre le Grand, sur la gauche le monument dédié aux anciens combattants de la seconde guerre mondiale, etc. En fait le chauffeur parlait dans son téléphone équipé de Google Translate. L’application reconnaissait sa parole, la traduisait, et la ressortait en anglais. Je n’en suis toujours pas vraiment revenu. Grâce à Google Translate, ce chauffeur russe “parle” anglais. Il dispose d’une bicyclette pour son esprit qui lui permet de transporter des clients dont il ne parle pas la langue. Il peut faire plus, avec moins d’énergie, malgré son manque de qualification évidente. Sans Google Translate, il aurait dû se contenter de passagers locaux, moins rémunérateurs. En clair, son manque de qualification a été compensé par l’IA.

A tous les prophètes de la peur qui nous assènent ce qu’ils pensent être des évidences avec force courbes et slogans marquants, à savoir que l’IA déclassera les moins qualifiés, on peut donc opposer l’idée suivante selon laquelle, au contraire, comme ce chauffeur de taxi russe, elle permettra aux moins qualifiés de rester dans la course. Ils auront à tout moment leur encyclopédie sous la main, leur Aristote personnel dans la poche. La connaissance deviendra une commodité, et ne sera plus réservée à une petite élite. Autrement dit, l’IA est profondément subversive. Car comme le disait Chris Anderson dans son ouvrage La nouvelle révolution industrielle, “Le changement révolutionnaire se produit lorsque les industries se démocratisent, lorsqu’elles sont arrachées au seul domaine des entreprises, des gouvernements et des institutions et cédées aux gens ordinaires.”

Au lieu d’être une grande soustraction, l’IA est peut-être au contraire la grande addition ultime qui va mettre fin à l’inégalité résultant de la formation.

Et si l’IA était la chance des gens ordinaires?

Voir mon article précédent Intelligence artificielle: Votre prochain concurrent est un Centaure; Êtes-vous prêt?. Voir également mon intervention sur ce sujet au Lab Postal 2017 avec Béatrice Rousset: https://youtu.be/sbT7hvhkFo4?t=3m47s

18 réflexions au sujet de « Aristote pour tous: et si l’intelligence artificielle était la chance des moins qualifiés? »

  1. Merci pour cette position intéressante, résolument optimisme, qui apporte nettement plus de fraîcheur que les “prophètes de la peur” que vous dénoncez à juste titre.
    Une nuance toutefois : l’intelligence artificielle est surtout la chance des plus débrouillards, plus que des moins qualifiés.

    L’intérêt de l’intelligence artificielle, c’est qu’elle rebat les cartes. Les plus adroits seront les premiers à s’en servir, en fait les personnes les plus “effectuelles” pourront en tirer profit.
    Pour l’exemple du chauffeur de taxi : il y a le chauffeur qui, de lui même, va voir le potentiel pour son taxi. Et il y a celui qui voit l’opportunité de lancer une nouvelle compagnie de taxi orientée internationale, en s’équipant de tout l’outillage pour tirer un profit maximum de l’IA (système de sonorisation adéquat, mécanisme pour permettre au passager de répondre, etc…)

    L’avenir appartiendrait aux débrouillards ?

  2. J’en suis aussi convaincu. Il n’y a qu’à voir la quantité de compétences que l’on peut utiliser/apprendre grâce au Net et l’électronique en général.

  3. 1 encore faut il avoir les moyen de se procurer l’usage de cette IA
    2 encore faut il que l’usage de cette IA ne rende pas tout simplement obsolète certains emplois non qualifiés. Quelle place pour les chauffeurs de taxi dans une voiture autonome ? Pour les chauffeurs poids lourds dans des camions autonomes?

  4. Je pense votre exemple un mal choisi pour deux raisons:

    1) Si ce chauffeur vous avait fait, à l’inverse, parler dans son téléphone pour pouvoir comprendre la destination voulue seriez-vous monté? Ici, un tiers de confiance a pu faire l’interprète et vous assurer de la bonne compréhension mutuelle de cette info essentielle après laquelle il suffisait de se faire conduire… Le reste n’ayant au fond été que du bonus.
    2) L’IA me semble plutôt partie, avec les progrès des véhicules autonomes, pour faire purement et simplement disparaître le métier de Taxi, qui se foutra alors bien de l’apport de la béquille Google Translate!

    Maintenant, on peut certes penser qu’en matière d’intelligence… l’artificielle puisse offrir des opportunités à ceux qui n’ont pas assez (pu ou su) développer la naturelle (ou plutôt ici les savoir qui vont avec).

    Mais de manière globale il me parait plus probable que l’on observe un effet proche de la mécanisation sur les métiers manuels, mais avec moins de solution de reclassement derrière: En résumé si le cerveau avait pu permettre aux mains de changer d’activité (passer des champs à l’usine) voir prendre carrément leur relais pour gagner sa vie, qu’envisager cette fois?!

  5. Il est loin le temps où les chauffeurs de taxi parisiens devaient connaître toutes les 600 rues de Paris sur le bout des doigts. C’était un test éliminatoire à l’examen avec des “plans muets” à compléter. Aujourd’hui ça ne compte plus que pour 2 points.
    Si l’étape d’après c’est le véhicule autonome à commande vocale multilingue en libre service, ce cher Dmitri devra songer à se reconvertir en “Relocaliseur”, celui qui connait encore le nom des rues pour aider trouver son chemin en cas de panne des services de géolocalisation (extrait du “Dictionnaire du Futur” de l’agence Dufresne, Corrigan, Scarlett).

  6. Il m’est arrivé là même chose avec le papa d’une famille géorgienne perdue vers 21:30 dans une gare bretonne en hiver . Sa fille – 11/12 ans utilisait son portable pour la traduction

  7. J’ai lu l’article avec beaucoup d’intérêt et les divers commentaires.
    L’IA va créer des nouveaux emplois, des nouveaux services et aussi détruire ou simplifier des emplois complexes..

    Que va devenir le traducteur, la personne qui traduit des textes dans les entreprises ? Quid de la rémunération d’une personne qui parle le russe et l’anglais, et autre , qui a passé de nombreuses années à apprendre des langues ?.

    L’IA apporte des mutations profondes et des pertes de repères, de valeur. Avec l’IA , les divers capteurs IOT, outil , on souhaite rendre expert des débutants, petit a petit on y arrive. On raccourci les délais d’apprentissage.

    Maintenant, comment motiver un humain , sachant que son futur métier sera has been à cause de l’IA. L’humain va t’il accepter le diktat de la machine ?

    1. Merci de votre commentaire. De toute évidence je ne conseillerai pas à mes enfants de faire des études d’interprête-traducteurs. Certains métiers disparaissent ou évoluent profondément depuis toujours. Il y avait, figurez-vous, des gens dont le travail consistait à frapper aux fenêtres pour réveiller les habitants à une heure convenue. Faut-il regretter ce temps? Aujourd’hui un réveil-matin suffit.

  8. Merci pour cet article optimiste
    la traduction automatique c’est une excellente nouvelle, en particulier pour nous Français. On peut en attendre beaucoup de croissance.
    J’attends avec impatience l’oreillette qui me permettra de suivre les conversations de plusieurs groupes d’anglais, en même temps, dans un bar bondé. Et aussi de mieux se comprendre avec les Chinois.

    Une fois que ce sera opérationnel, ce ne sera plus l’anglais la langue commune, mais l’oreillette !

  9. Nous sommes aux prémices de l’IA, ces exemples opportunistes peuvent effectivement ouvrir des perspectives intéressantes… pour mieux les museler ou les contrôler par la suite ? Comment rendre ouverte et pleinement collaborative l’IA ? Pour l’instant elle n’existe que par quelques très gros acteurs qui, si rien ne change, auront un potentiel énorme dans leurs mains ; et seulement les leurs. C’est un organe de pouvoir impressionnant qui est en train de se développer. Ce qui m’effraie peut être plus que ce que l’on pourra faire avec, c’est le pourquoi.

  10. Comme l’écrit P Silberzahn, l’intelligence artificielle ne touchera qu’assez peu les métiers peu qualifiés, qui ont déjà été très marqués par l’ère de l’automatisation mais bien les métiers à haute valeur ajoutée. L’automatisation a remplacé les actions faisant appel à des tâches plus ou moins simples mais séquençables en une somme de petites tâches simples. C’est ainsi que les robots ont progressivement remplacé les manœuvres, et continuent à le faire.

    L’intelligence artificielle tranformera très rapidement surtout les métiers de la connaissance, donc les métiers où le savoir est le principal atout : médecine, droit, management des entreprises, investissements, etc etc

    Que restera t’il alors à l’homme ? le plus beau, ce qui le différencie totalement des robots ou des logiciels… sa capacité d’empathie.

    Tant qu’on n’aura pas inventé l’empathie artificielle, l’homme aura sa part à jouer, en s’appuyant sur l’IA, et sur l’automatisation, pour être à l’écoute de son voisin, et l’accompagner dans l’existence.

    Nous n’aurons peut être rien d’autre à faire qu’à prendre soin les uns des autres…

    Mais l’empathie fait peur car elle mlis rapproche de nos propres limites

    1. Merci. je crois qu’il nous restera bien plus que l’empathie et que l’IA nous permettra de faire de très grandes choses, que nous n’imaginons même pas encore.

  11. L’intelligence artificielle, celle développée actuellement, ne sont jamais que des supers systèmes super-experts avec un algorithme dont la conception n’est pas le fruit d’un expert et d’un développeur, mais résulte d’une méthode d’apprentissage, à l’image de celle utilisée actuellement : votre résultat est bon ou pas bon – et dont l’intelligence se souvient.
    Il s’agit donc avant tout d’un super outil d’optimisation et d’automatisation. D’un super outil. Outil.
    Autrement dit, tout dépendra de qui l’utilisera et dans quel contexte.

    Si nous prenons Watson qui il y a quelques années a en quelques heures (si ce n’est minutes) diagnostiqué le bon cancer d’une malade japonaise là où toute une floppée de médecin cancérologue et oncologue séchaient. Croyez vous que ça a mis les médecins de côté ? ou que ça pourrait le faire ?

    Oui et non. Oui si l’on considère qu’ils sont devenus “obsolètes”. Qui est ce On ? Les institutions qui les forment et les emploient, les malades qui n’iront plus les voir.
    Non si l’on considère qu’ils seront alors en capacité de :
    1. moins se tromper dans leur diagnostic
    2. traiter, avec succès, un nombre plus important de malades.

    La facilité dans le débat sur l’Intelligence Artificielle est de la doter, de manière totalement irréaliste aujourd’hui, le principe d’une conscience qui nous permet de l’individualiser, de lui conférer une personnalité et donc de pouvoir l’utiliser comme objet de stigmatisation, comme bouc-émissaire des maux que nous avons aujourd’hui et qui se situent, bien évidemment, ailleurs.

    Nous sommes aujourd’hui dans un contexte tel que tout progrès ne peut ni ne doit être anticipé mais accompagné en conservant un questionnement éthique permanent. Loin d’avoir des réponses, pour le coup à la manière de Socrate, l’intérêt n’est pas dans les réponses mais plutôt dans les nouvelles questions que cela fera naître.

    Obtenir des réponses enferme quand obtenir des questions ouvre le champs des possibles.

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