Innovation et transformation: la méthode, c’est vous

A la suite d’une de mes interventions dans un séminaire sur la transformation, certains participants ont regretté que je n’aie pas proposé de méthode. Ce n’est pas la première fois que, face à la difficulté de conduire une transformation organisationnelle, le besoin de méthode s’exprime fortement. Mais j’y résiste car je suis convaincu que non seulement la transformation n’est pas une question de méthode mais qu’en outre une méthode, quelle qu’elle soit, est souvent un obstacle à sa réussite.

Dans un article précédent, j’analysais l’échec de la transformation de General Electric qui, après d’énormes investissement dans une démarche entrepreneuriale, a déclaré forfait et remercié Jeffrey Immelt, son PDG. La démarche était basée sur la méthode Lean Startup, très prisée dans le monde entrepreneurial. Des centaines de managers ont été formés à cette méthode et elle était censé les transformer en entrepreneurs. Malheureusement, Immelt avait juste oublié que ces managers ont aussi un travail normal à accomplir et le font dans un contexte institutionnel qui est très difficile à faire évoluer. Quel que soit l’intérêt de Lean Startup, elle ne peut en rien transformer l’organisation car elle n’est qu’une méthode permettant de piloter un projet de développement d’un nouveau produit ou service. Autrement dit, une méthode est tactique: elle agit au niveau d’un processus, ou d’une tâche donnée, et à ce titre peut être très utile et très efficace, mais elle n’est pas stratégique: elle n’agit pas au niveau de l’organisation; elle ne résout ainsi pas le dilemme auquel est confronté une entreprise comme GE entre la rénovation de son activité historique et la création de nouvelles activités en rupture. Elle est peut-être nécessaire, mais elle n’est pas suffisante.

Mais une méthode pose un autre problème: elle fait penser qu’il suffit de trouver la bonne méthode pour résoudre miraculeusement le problème de la transformation. Ce-faisant, elle perpétue une vision scientiste du management, mettant les collaborateurs de l’organisation en dehors de l’équation. La direction générale « pond » une stratégie (ou ce qu’elle pense être une stratégie) et la dépose sur le bureau des managers qui n’ont plus qu’à la « mettre en œuvre » ou à « l’exécuter ». Penser la solution en termes de méthode, c’est ne pas comprendre comment fonctionne une organisation et surtout être à la merci de la potion magique du moment, Lean Startup ou autre Entreprise Libérée. La transformation n’est pas une question de méthode; les dizaines de grandes entreprises comme GE actuellement à l’arrêt dans leur  grand programme, en particulier dans le digital, sont là pour en témoigner.

C’est pas les autres, c’est vous

Le fait de mettre les collaborateurs hors de l’équation est d’autant plus problématique qu’il est déjà largement assimilé par les collaborateurs eux-mêmes. Lorsque dans un séminaire on examine les blocages à la transformation, celui qui revient immanquablement c’est « C’est la faute du management », c’est à dire que c’est au-dessus que ça se passe. De manière intéressante, j’ai cette réponse quel que soit le niveau, y compris le plus haut (la direction générale aura tendance à poser le problème en termes de manque d’exécution, ce qui revient au même). C’est toujours la faute des autres. Une telle posture a plein d’avantages, et notamment de se complaire dans une posture d’impuissance apprise. Comme me le disait ironiquement un participant récemment: « Il est plus facile de souffrir ou de se plaindre que d’agir. »

Et ainsi la boucle est bouclée: l’illusion d’une méthode magique qu’il suffit d’attendre, et le rejet de l’immobilisme sur les autres, explique en grande partie pourquoi les projets de transformation patinent. Seule une inversion radicale de posture peut remettre les choses en marche: le point de départ de la transformation c’est vous, et pas les autres. Ou plutôt c’est vous avec les autres, ceux qui veulent. On peut pleurer sur ce que les chefs devraient faire, ou on peut essayer de faire quelque chose, n’importe quoi, si petit soit-il, car il n’est pas nécessaire de viser grand pour commencer. Et donc du coup, la méthode c’est vous. C’est la seule qui peut marcher. Et ça tombe bien parce que vous pouvez commencer dès maintenant.

Voir l’article Comment le départ de Jeffrey Immelt (GE) illustre les limites d’une approche tactique de l’innovation. Voir également Des tortues jusqu’en haut: Les managers coupables, mais pas responsables du manque d’innovation. Voir enfin Transformation: Non, vous n’avez pas un problème d’exécution.

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9 réflexions au sujet de « Innovation et transformation: la méthode, c’est vous »

  1. L’analyse de Philippe Silberzahn est pertinente.

    Cependant, je ne suis pas totalement d’accord avec l’idée selon laquelle chez la personne concernée, la méthode est moins importante que la prise en charge de son propre changement.
    A mon avis, les 2 sont nécessaires pour parvenir à un résultat mesurable, encourageant et durable.

    Comment changer sans appliquer de méthode?
    Comment mettre en oeuvre un processus cathartique sans changer?

    Oui, le changement radical de posture est la condition sine qua non pour évoluer, mais l’affirmer ne suffit pas.

    Sur quels points doit porter ce changement? (attitude face à soi-même, regard porté sur les évènements, capacité à appréhender sereinement les ambitions fixées, gestion du relationel avec la hiérarchie..)
    Qui a la compétence pour favoriser ce changement de posture chez le managé? (le coach? celui qui a quelle formation?quels diplômes? qui peut justifier de quels résultats? / le psychologue? (TCC, experts en remédiation cognitive…)
    Comment procéder en amont puis contrôler la mise en oeuvre du changement source de créativité et donc de développement de l’entreprise?
    Selon quel protocole?

    Je constate personnellement que dans bien des entreprises, les Managers sont souvent impuissants face à la démotivation de leurs équipes qui ne voient plus l’intérêt de s’impliquer autant qu’on le leur demande.
    Pourquoi?

    Le mal être qui prévaut va persister car changer radicalement de posture est une démarche exigeant tout d’abord une véritable prise de conscience, une compréhension + acceptation des enjeux commerciaux de l’entreprise.
    Ce n’est qu’à ce prix que la motivation intrinsèque apparaîtra et que les comportements évolueront.

    Il serait intéressant de pouvoir demander à des sociologues de différents pays européens de nous exposer en quoi le degré plus ou moins prononcé de protection offert par le droit du travail ainsi que l’impact du statut professionnel (salarié, TNS, Commerciaux avec part variable > 50% des revenus) influencent les comportements des travailleurs.

    Et pour démultiplier les effets, c’est bien une méthode avérée qu’il faudra déployer.
    C’est la méthode qui permettra au sujet de modifier la façon dont son esprit appréhende ce qu’il concoit comme étant la réalité d’entreprise.

    Le chantier reste vaste.
    Les souffrances exprimées par des salariés de plus en plus nombreux indiquent clairement que le changement n’en est qu’à ses balbutiements et que les méthodes restent à ce jour, grandement perfectibles.

  2. Complètement en phase avec vous Philippe.
    Dans un registre très similaire, à chaque fois que j’entends l’expression « méthodes agiles » que ce soit pour Scrum ou pour d’autres frameworks, ça m’hérisse le poil… Ce ne sont que des pratiques, c’est à dire la mise en oeuvre de valeurs et de principes… La réussite de toute transformation repose avant tout sur l’humain ; état d’esprit, comportement…
    Stéphane

  3. « le point de départ de la transformation c’est vous, et pas les autres » : je suis complètement d’accord.

    Toutefois, il y a un point sur lequel j’aimerais un peu plus de détails car j’y ai été confronté et n’ai pas réussi à m’en sortir (en fait au lieu de m’en sortir, j’en suis sorti !) : que faire quand vos hiérarchiques vous ordonnent une manière tactico-tactique, uniformisée et normée de transformation alors qu’à votre niveau vous commencez à mettre une approche plus contextuelle, faisant appel à l’autonomie de vos équipiers et centrée sur des objectifs finaux et non intermédiaires ?
    Merci de votre éclairage.

    1. Parfois il n’y a rien à faire. Il faut prendre la question à l’inverse: que puis-je faire? Si à un moment on ne peut plus rien faire, ou que le coût de faire devient trop important, il faut partir.

  4. Excellent. Après, le défi est d’accompagner les changements de posture, de role, d’approche etc. En plus, il faut professionnaliser les managers. Comment passer de troglodytes à … On ne va pas chômer. Aurais tu la version anglaise? Please.

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